Ce n'est pas le chant du cygne, mais le chant d'un panda roux. TenFourFox, un fork de Firefox conçu pour Mac OS X 10.4/10.5 et les processeurs PowerPC, est en fin de vie. Dans un long billet de blog paru hier, son créateur annonce qu'il va arrêter le développement dans les prochains mois.
TenFourFox est l'un des très rares navigateurs compatible avec de vieilles versions de macOS qui prend en charge des technologies récentes parfois indispensables de nos jours, comme TLS 1.2 et 1.3. Plus de 2 000 possesseurs de Mac de 15 ans ou plus s'en servent quotidiennement pour continuer à naviguer sur le web en dépit d'un système et d'un matériel officiellement obsolètes depuis longtemps.
TenFourFox FPR32, dont une bêta sera distribuée cette semaine, sera la dernière version à parité de fonctionnalités avec Firefox. Après cela, TenFourFox recevra exclusivement des mises à jour de sécurité jusqu'à la sortie de Firefox 93, prévue en septembre. Cette version marquera la fin de TenFourFox, même si Cameron Kaiser indique qu'il continuera probablement à le mettre à jour rien que pour son usage personnel.
Plusieurs raisons poussent le développeur à mettre un terme à ce projet open source de longue haleine. Au fur et à mesure que les années passent, la complexité va grandissant. « Coder et maintenir le moteur d'un navigateur est foutrement dur et tout va beaucoup trop vite maintenant pour un seul développeur », écrit Cameron Kaiser.
C'est probablement le JavaScript qui a tué le plus rapidement TenFourFox. Pour le meilleur ou pour le pire, le rôle principal des navigateurs web n'est plus d'afficher des documents, c'est d'afficher des applications qui, par pure coïncidence, ressemblent parfois à des documents. […] Le JavaScript est assez binaire : soit ça fonctionne, soit ça ne fonctionne pas du tout, et de plus en plus de sites refusent de marcher si une petite partie de JavaScript ne fonctionne pas.
Les obstacles techniques sont de plus en plus nombreux. TenFourFox repose sur Firefox 45 ESR (« ESR » pour durée du support étendu), une version remontant à 2016 que le développeur s'attache donc à améliorer en piochant les nouveautés introduites dans les mises à jour sorties depuis. Quand bien même le fork passerait à Firefox 52 ESR, ce qui représenterait beaucoup de travail, l'absence de support du langage Rust pour les processeurs PowerPC 32-bits empêcherait d'aller au-delà de Firefox 54. « Au bout du compte, cela ne ferait que nous rapprocher d'une impasse. Ça me coûte de le dire, mais ça n'en vaut tout simplement pas la peine », déclare le développeur.
Et puis, surtout, la motivation n'y est plus. « Je suis fatigué », indique Cameron Kaiser, une fatigue qui transpire dans le billet de blog, où sont relatés plusieurs comportements d'utilisateurs jugés inconvenants :
Si vous ne payez pas un logiciel, ne soyez pas un abruti. Il y a un humain à l'autre bout de ces réclamations et à moins que vous payiez du support, cette personne ne vous doit absolument rien. Les pleurnicheries sont épuisantes à lire, les rapports de bug "ne fonctionne pas" sont fatalement déprimants, les mauvaises plaisanteries sont cruelles et insister sur sa demande ne la rend pas plus importante. […] Aussi gentiment que je puisse l'expliquer, tous les rapports de bug ne sont pas les bienvenus. La plupart sont légitimes et améliorent la qualité du navigateur — et je remercie leurs auteurs —, mais ces tâches utiles représentent objectivement un surplus de travail.
Visiblement lessivé, le développeur préfère se libérer des contraintes liées au projet et consacrer son temps libre à d'autres hobbys. Pour les vieux briscards qui chercheraient un remplaçant à TenFourFox, il recommande Firefox Legacy sur Snow Leopard (Mac OS X 10.6) et Leopard WebKit sur Leopard (10.5) PowerPC. En revanche, il ne semble pas y avoir d'alternative viable sur Tiger (10.4).
Malgré la fatigue accumulée, Cameron Kaiser ne regrette rien : « En cette période de crise économique et de pandémie, [TenFourFox] a aidé des gens à joindre les deux bouts et à continuer d'utiliser ce dans quoi ils avaient mis leurs économies. » Il se souvient notamment de ce missionnaire basé en Birmanie qui n'avait d'autre choix que d'utiliser son Mac mini G4 pour se connecter à internet (car il intègre un modem) et pour qui TenFourFox a été salutaire.
« Est-ce que je recommencerai cette aventure, connaissant tout le travail que cela représente ? Oh que oui, sans l'ombre d'un doute. Ça en valait la peine », conclut le développeur. Le logiciel étant open source, des mordus ont toujours la possibilité de le reprendre — mais sous un nom différent, demande son créateur qui veut définitivement tourner la page.