C'est en décembre 2018 que Microsoft a annoncé qu'il utiliserait Chromium comme nouvelle base de son navigateur web Edge, mais c'est à l'été 2017 que ce mouvement vers Google a débuté, comme l'a raconté Joe Belfiore à The Verge.
À l'été 2017, Satya Nadella, le patron de Microsoft a réclamé à ses équipes des progrès sur le front des navigateurs. Google, disait-il, marquait des points sur les outils de collaboration en ligne, l'équipe Office chez Microsoft ne s'en laissait pas compter mais il y avait cette concurrence avec Chrome qui s'imposait chaque jour davantage face à Edge. Il était impératif que la situation précaire de Edge ne contamine pas celle d'Office 365 et d'autres outils web de Microsoft.
Les lieutenants de Nadella identifièrent plusieurs « vents contraires » pour Edge. D'abord l'obligation d'avoir Windows 10 pour utiliser ce navigateur, qui n'est pas téléchargeable séparément. Ainsi que le reconnaît Belfiore, Windows 10 est un système très répandu (800 millions d'appareils équipés au début mars) mais à l'échelle globale il est en minorité.
Cette dépendance signifiait aussi que les entreprises restées sur Windows 7 ne pouvaient utiliser Edge. Même si elles finissaient par venir sur Windows 10, il y avait le risque qu'elles n'installent pas immédiatement les mises à jour semestrielles, et se reposent sur un Edge toujours en décalage avec la version la plus récente.
Le fait qu'Edge utilise son propre moteur de rendu de pages s'avérait un autre handicap. En cas de problème avec un site, au vu de la part de marché du navigateur, les concepteurs des pages ne voyaient pas forcément d'urgence à les optimiser.
Enfin, Edge avait été développé comme une application universelle (Universal Windows Platform ou UWP) pouvant tourner sur les différentes plateformes de Microsoft, du PC à la Xbox. UWP n'ayant pas la maturité des autres plateformes, des points techniques posaient problèmes ici et là. Belfiore cite un exemple tout bête, la compatibilité perfectible des applications UWP avec plusieurs moniteurs. Il fallait donc un Edge capable de fonctionner aussi bien sur Windows 10 que sur Mac et Windows 7.
Plusieurs options furent mises sur la table pour revoir les bases du logiciel : en faire une application distribuée indépendamment de Windows 10 de manière à détacher ses mises à jour de celles de l'OS ; en faire une déclinaison pour Windows 7 ; passer carrément sur Chromium, etc. Cette dernière hypothèse ne fut pas retenue au départ, au profit d'une volonté d'améliorer la compatibilité d'Edge.
Pour autant, mettre davantage de ressources humaines sur l'amélioration d'Edge ne fit que révéler plus crûment que pour chaque problème corrigé, plusieurs autres apparaissaient. À la faveur d'une réorganisation, l'équipe en charge du moteur html intégré dans Windows 10 (disponible pour Edge mais aussi pour différents services de l'OS et des applications tierces), fut associée à celle développant le navigateur. Mais cela fut sans améliorations notables.
D'autres pistes furent alors explorées, par exemple de glisser Blink, le moteur de Chromium, à l'intérieur de Edge. Ou tout bonnement de se reposer sur Chromium. Cette ultime piste de travail fut montrée à la direction de Microsoft qui valida le principe.
Pendant sept mois suivants, les implications d'un tel changement de stratégie furent soupesées. Bill Gates fut consulté ainsi que d'autres hauts dirigeants de Microsoft. Adopter Chromium cela signifiait rejoindre sa communauté open source ; passer à un rythme de sorties beaucoup plus soutenu ; travailler sur un code complètement différent…
À écouter Belfiore, la collaboration entre les équipes de Google et celles de Microsoft s'est bien passée. Les premiers ont suggéré aux seconds des listes de bugs à corriger pour se faire la main sur les entrailles de Chromium ; les ingénieurs de Microsoft ont offert de communiquer avec les outils de collaboration de Google et proposé de mettre au pot commun des développements déjà bien entamés sur les interactions tactiles avec le navigateur, un domaine que les développeurs de Chromium avaient prévu de parfaire.
Ce choix entériné et les premières versions de ce nouvel Edge disponibles, Microsoft a toujours du pain sur la planche. Au-delà du simple développement de ce logiciel, il va lui falloir maintenir pendant encore un moment trois navigateurs : IE 11, Edge et Edge/Chromium et convaincre les utilisateurs que bien que similaires, Chrome et le nouvel Edge ne sont pas tout à fait pareils.