Il y a plus de dix ans, faire fonctionner Windows sur un Mac tenait de la gageure. Au début de l’année 2006, Apple lança la transition vers les processeurs Intel ; de fait, les Mac devenaient des PC presque comme les autres. Surtout, cette nouvelle période ouvrait la voie au démarrage sous Windows (Boot Camp) et aux logiciels de virtualisation.
Le 15 juin de cette même année, Parallels lançait la première version de Parallels Desktop, un logiciel permettant d’exécuter simultanément OS X et Windows sur un Mac. Depuis, le logiciel a fait du chemin, en ajoutant de nouvelles fonctionnalités et en s’adaptant à iOS. Ce sont cinq millions d’utilisateurs qui, ces dix dernières années, ont pu utiliser les logiciels Windows (et d’autres systèmes d’exploitation) sur Mac grâce à Parallels.
À l’occasion de cet anniversaire, nous avons voulu faire un point sur le passé et sur l’avenir de Parallels avec Nikolay Dobrovolskiy, le créateur de Parallels Desktop et de son cousin mobile, Parallels Access.
MacGeneration : Techniquement parlant, j’imagine que c’est compliqué de suivre l’évolution de Windows et d’OS X.
Nikolay Dobrovolskiy : Oui effectivement, c’est difficile. Nous avons commencé à travailler sur les systèmes d’exploitation en 2000, pour livrer nos premiers produits en 2005. Il nous a fallu cinq ans pour mettre au point une première « vraie » version fonctionnelle du logiciel. À l’époque, c’était pour Windows et Linux.
C’est quand nous avons vu qu’Apple avait choisi les processeurs Intel et la demande très importante des utilisateurs Mac qui voulaient Windows que nous avons travaillé dur pour adapter le logiciel. Il a fallu six mois pour livrer une version commerciale du produit.
En 2007, nous avons inventé ce que nous appelons le mode Coherence, qui repose sur l’idée que les utilisateurs n’ont pas besoin de Windows en tant que système d’exploitation. En réalité, ils ont besoin des applications Windows sur leurs Mac. C’est ce que nous leur proposons depuis ces neuf dernières années. Nous essayons, autant que possible, de faire « disparaître » Windows et d’intégrer les applications Windows au Mac. Vous oubliez complètement à quoi Windows ressemble, vous oubliez que vous utilisez Windows.
Est-ce que vous pourriez distribuer Parallels Desktop sur le Mac App Store ?
C’est quelque chose qui nous intéresse. Nous voulons être là où les gens peuvent nous trouver. Cependant, l’App Store a des limitations techniques dues à la manière dont Apple le fait fonctionner. Cela modifierait certaines fonctions de Parallels.
OS X Yosemite a introduit un nouveau framework, Hypervisor, qui permet de développer assez facilement des logiciels de virtualisation. Il y a par exemple Veertu, disponible sur le Mac App Store. Êtes-vous intéressé par ce framework ?
Hypervisor est assez intéressant. En quelque sorte, c’est une interface qui permet d’accéder au hardware nécessaire à la virtualisation. Le Mac App Store ne donne accès qu’au niveau de l’utilisateur, pas à celui des pilotes matériels. Nous étions inquiets de voir tous les outils indispensables à la virtualisation être disponibles au niveau de l’utilisateur, car cela signifiait que les performances allaient être modestes.
Heureusement, Apple a veillé à ce que ce ne soit pas le cas, ils ont réalisé plusieurs optimisations du système qui font maintenant partie de l’OS. Dans nos tests, Hypervisor est un peu plus lent, mais pas de manière significative.
Apple améliore sans cesse la sécurité et la confidentialité des données. Tout cela est bon pour l’utilisateur, mais est-ce que ça ne vous pose pas de problèmes ?
Pas vraiment en fait. Vous devez penser à la sécurité des utilisateurs, à vous défendre contre les virus. Si vous prenez Android par exemple, la sécurité est un vrai problème. Vous ne savez pas si vous êtes en sécurité ou pas. Personnellement, j’ai deux smartphones, un iPhone et un Android. Je ne conserve aucune information confidentielle sur mon Android. Sur iOS, je suis plus rassuré avec la manière dont Apple protège mes données.
Ce qu’Apple fait sur iOS, elle le fait aussi sur Mac. C’est une stratégie qui a été mise en place il y a trois ou quatre ans, avec le lancement de Gatekeeper. Je pense que d’ici deux à trois ans, macOS sera en grande partie lié au Mac App Store, avec des applications sandboxées et signées par Apple [NDLR : c’est déjà le cas dans macOS Sierra, Gatekeeper : Sierra n’acceptera que les logiciels signés]. Ainsi, les utilisateurs seront bien protégés.
Donc bien sûr, tout cela c’est du travail en plus pour nous, parce que nous avons besoin de nous intégrer profondément au système. À cause de ces limitations, nous devons travailler de près avec Apple, pour les convaincre par exemple de nous donner accès aux API dont nous avons besoin.
Est-ce que c’est facile de travailler avec Apple ?
En réalité, Apple est un compagnon de route. En fait, travailler avec Apple, c’est bien et difficile à la fois. Nous connaissons beaucoup de monde là-bas, des ingénieurs, des gens du marketing, mais nous ne savons pas ce qui s’y passe, jusqu’au jour où ils annoncent leurs nouveautés. Par exemple, les nouveautés de macOS Sierra, nous ne les connaissons que depuis le keynote de la WWDC, comme tout le monde.
Mais d’un autre côté, Parallels est un logiciel assez important pour Apple. Si vous regardez dans les boutiques d’Apple, vous ne verrez que des logiciels vendus par Microsoft et Parallels. Et Apple discute avec nous sans cesse. En 2007 par exemple, j’ai eu une réunion avec Steve Jobs — c’était quelque chose qu’on ne vit qu’une fois dans sa vie ! C’était assez amusant, nous n’étions que cinq avec Steve, c’était impressionnant.
En résumé, travailler avec Apple, c’est d’un côté difficile, mais de l’autre ils vous écoutent, si vous leur parlez correctement et que vous leur montrez que ce que vous faites, c’est important pour leurs utilisateurs, et pour améliorer l’expérience du Mac.
Windows 10 est la version « ultime » de Windows. Il n’y aura probablement pas de Windows 11, Microsoft livrant à la place des mises à jour en continu. Est-ce que cela peut avoir un impact sur votre modèle économique ?
Je pense que c’est bien. Si vous regardez ce qui se passe du côté de Windows et d’OS X, il y a quelques années ces deux systèmes ont basculé vers un modèle de mises à jour gratuites. Pour moi, cela ne change rien. Et pour l’utilisateur, c’est bien aussi puisqu’il n’a plus à payer pour se mettre à jour.
En bout de course, ce qui compte, c’est de mettre les dernières fonctionnalités entre les mains des utilisateurs. Microsoft va continuer à livrer de nouvelles fonctions, qui seront disponibles plus tôt qu’à l’habitude.
Pensez-vous qu’il sera utile, à l’avenir, de continuer à virtualiser Windows ou un autre système d’exploitation ?
Je pense qu’à l’avenir, il y aura des « espaces de travail standardisés », avec d’un côté des applications et de l’autre, des données. Et savoir où se trouvent les applications ne sera pas si important : est-ce qu’elles seront sur mon téléphone ? Dans le nuage ? Sur un ordinateur distant ? Tout le monde aura son espace de travail standardisé.
Si vous regardez Parallels et notre catalogue de logiciels, nous ne faisons pas que faire fonctionner Windows sur un Mac. Nous permettons aussi d’utiliser des applications Windows ou OS X sur un iPhone ou un iPad [NDLR : avec Parallels Access]. Vous pouvez aussi accéder à votre PC distant avec Parallels Remote. Toutes les technologies que nous avons développées pour ces outils dessinent cette stratégie d’avenir où les applications sont réparties ici et là, et où les données sont partagées entre différents nuages, différents endroits.
Et tout cela sera disponible pour vous à tout moment, sur votre appareil. C’est, de notre point de vue, ce qui est en train de se passer, et nous essayons d’y participer.
Donc vous ne craignez pas qu’Apple lance un jour une nouvelle transition, d’Intel vers ARM ?
Je ne pense pas que ce sera un gros problème. Mais en même temps, je ne crois pas qu’Apple lancera un Mac ARM. Ils ont déjà des iPhone et des tablettes avec des processeurs ARM, et pour les ordinateurs, il faut simplement un tout petit peu plus de puissance.
Quand vous regardez un MacBook, c’est presque aussi fin qu’un iPad mais avec un processeur Intel. Et pourtant, cet ordinateur livre une expérience informatique très riche. Apple ne devrait pas lancer de Mac ARM de si tôt, avec l’iPad [capable d’accomplir beaucoup de tâches dévolues auparavant au Mac].
En ce qui nous concerne, je ne vois pas de réduction de la demande concernant l’utilisation de Windows sur Mac. Les gens sont habitués à leur workflow. Et puis nous avons une stratégie, une feuille de route. Parallels Desktop n’en est qu’un des composants.
Le modèle par abonnement à la manière de Microsoft ou d’Adobe, c’est quelque chose qui vous intéresse ?
Oui, nous nous y intéressons. D’ailleurs, Parallels Access est proposé sur abonnement depuis son lancement, il y a trois ans. Pour Parallels Desktop, nous avons lancé un système de souscription l’an dernier. Nous proposons des versions gratuites de Parallels Desktop, seule la déclinaison Basic est payante en licence perpétuelle [NDLR : à 79 €], pour des raisons historiques. Les versions Pro et Business fonctionnent sur abonnement [à partir de 99 € par an].
Nous pensons que l’abonnement est bien meilleur pour l’utilisateur, car il n’a plus besoin de se demander s’il doit se mettre à jour ou pas. Il travaille toujours avec la dernière version disponible, il a le meilleur support, la disponibilité des mises à jour la plus rapide…
Est-ce que vous conserverez au catalogue la version Basic, avec la licence perpétuelle ?
Je ne peux pas commenter ce que nous ferons à l’avenir, mais actuellement nous n’avons pas en projet de retirer cette version.