L’histoire de l’informatique est faite de logiciels qui connaissent leur heure de gloire avant, à quelques exceptions près, de sombrer tôt ou tard dans l’oubli. Sherlock n’échappe pas à la règle. Pourtant, certaines idées derrière ce programme sont plus que jamais d’actualité.
Sherlock : la nouveauté marquante de Mac OS 8.5
Sherlock a fait son apparition pour la première fois dans Mac OS 8.5. Pour ceux qui avaient oublié, ce logiciel système est sorti en 1998. À l’époque, Apple insistait sur le fait que la fonction copie de son système était plus rapide que celle de Windows NT ! Parmi les autres arguments de cette version de Mac OS, il y avait une nouvelle version d’AppleScript revue de fond en comble, l’introduction de thèmes dans le système (15 ans plus tard, cela parait fou), le lissage des polices ou encore l’aide qui passait au HTML. Une autre époque…
Mais la grande nouveauté « marketing » de cette version, c’était Sherlock. Que ce soit sur Mac ou PC, la recherche de données sur son ordinateur était loin d’être au point. Et que dire d’Internet ! Google a été fondé un mois avant la sortie de Mac OS 8.5 !
L’ambition d’Apple avec Sherlock était de proposer un outil à la fois simple et puissant, capable aussi bien de vous aider à dompter votre disque dur qu’Internet. L’un des intérêts de Sherlock, c’est qu’au niveau du disque dur, la recherche ne se limitait pas aux noms de fichiers. L’outil d’Apple était également capable de s’attaquer partiellement aux contenus qu’ils renfermaient.
L’autre intérêt de Sherlock, c’était ses fameuses chaînes, des plug-ins pour ajouter des moteurs de recherche thématiques, qui permettaient de rechercher relativement facilement des informations en ligne. Malheureusement, la plupart des services proposés étaient disponibles seulement en anglais. La chaîne informations permettait avec une seule requête d’interroger plusieurs sites, dont CNET, CNN, The Street ou encore le New York Times.
Sherlock continua d’évoluer en parallèle de Mac OS. La version 2.0, sortie avec OS 9, comportait une interface modernisée et embarquait davantage de plug-ins.
Le logiciel fut porté sur OS X et continua sa carrière jusqu’à Tiger, où il fut remplacé par Spotlight. Apple le supprima définitivement du système avec Leopard, et il cessa définitivement de fonctionner avec Lion. Il n’a jamais été réécrit pour les processeurs Intel.
To Sherlock an app
La version 3.0 incluse dans Jaguar fit l’objet d’une grosse polémique. Pour beaucoup, cette version s’inspirait beaucoup trop de Watson, un outil qui connaissait un certain succès sur Mac, et qui permettait d’interroger de nombreux services Internet.
Watson, qui était développé par Karelia Software, s’était initialement inspiré de Sherlock, mais avait poussé le concept beaucoup plus loin. Il ne s’agissait plus uniquement de recherches, mais d’interroger des services afin d’obtenir rapidement une réponse précise. On pouvait très rapidement obtenir la traduction d’un mot, l’horaire d’une séance au cinéma, le cours d’une action ou encore accéder au programme télé.
L’autre force de Watson était que les modules étaient nombreux et faciles à développer. Et c’était justement le gros point faible de Sherlock. Comme le montrent les captures, les deux logiciels étaient étonnamment proches, tant sur le plan de l’interface que des fonctionnalités. Sherlock 3 permettait lui aussi de suivre les cours de la bourse, d’obtenir la traduction d’un mot, de s’enquérir des horaires d’un avion ou encore des films qui passent au cinéma du coin.
L’affaire à l’époque avait fait grand bruit, beaucoup reprochant à Apple de ne pas avoir acheté l’éditeur. La marque à la pomme proposa à Dan Wood, le patron de Karelia, de l’embaucher, une proposition qu'il a déclinée.
Cette WWDC de 2002 a dû laisser un drôle de souvenir à ce dernier. Le jour même où Apple dévoila cette fameuse version de Sherlock, il reçut un Apple Design Award pour Watson qui récompensait le prix de l’application la plus innovante.
Développeur Mac dans l’âme, Dan Wood envisagea de porter cette application sur Windows avant d’être approché par Sun, qui lui demanda d’en faire une déclinaison Java.
Cet épisode donna lieu à la naissance d’une expression assez utilisée dans le milieu : « to sherlock an app ». On utilise cette expression lorsqu’Apple sort une application similaire à une app tierce populaire (et scelle ainsi parfois son destin), sans pour autant l’acquérir.
Sherlock est le « premier » en quelque sorte d’une longue liste. Parmi les applications qui se sont fait « sherlocker », on pense par exemple à Konfabulator qui popularisa la notion de widgets sur le bureau, et à un degré moindre à un certain Sandvox.
Quand l’histoire se répète (ou presque)
Revenu sur Mac, après avoir fini sa collaboration avec Sun, Dan Wood se lança dans le développement d’un logiciel permettant de créer facilement des pages web de manière simple et élégante (lire notre interview de Dan Wood en 2006). En bêta privé, Sandvox fut dévoilé à Macworld, la veille du Keynote durant lequel Apple leva le voile sur iWeb. Sur un certain nombre de points, les deux logiciels étaient très similaires. Et le parallèle avec l’affaire Watson ne s’arrête pas là. Quelques mois plus tard, lors de la WWDC, Sandvox était dans la short liste dans la catégorie « meilleure expérience utilisateur Mac OS X » des Apple Design Awards. Le logiciel fut battu par Coda.
Toutefois, ce coup-ci, Dan Wood ne se découragea pas et continua à faire évoluer son application. Le développeur a été bien inspiré, l’intérêt d’Apple pour iWeb ayant rapidement décliné. Sandvox [2.8.7 - Français - 69,99 € - Karelia Software] est toujours en vente et continue d’évoluer régulièrement.
Siri : le lointain descendant de Sherlock
Si Sherlock fait partie du passé, sa philosophie est toujours bien présente chez Apple. Pour la recherche en local, Spotlight l’a avantageusement remplacé et rend de fiers services aussi bien sur OS X que sur iOS (même s’il est peut-être moins bien intégré sur ce dernier).
Mais si une technologie essaie bien de reprendre le flambeau de Sherlock, c’est Siri. L’assistant d’Apple a les mêmes objectifs : vous aider à tirer profit des multitudes de ressources disponibles sur Internet.
La souris et le clavier ont été remplacés par la reconnaissance vocale, ce qui rend le défi encore plus hardi pour les ingénieurs d’Apple. Là où il y avait des chaînes dans Sherlock, Siri doit se débrouiller tout seul et vous retourner une réponse qui soit de préférence cohérente, et ce le plus rapidement possible.
Même philosophie, mais même défaut également : Siri rend beaucoup plus de services à un internaute américain qu’à un internaute utilisant une autre langue. Mais qui sait, ce point fait peut-être partie des bonnes résolutions d’Apple pour l’année 2014.
Photo de Dan Wood par Blake Burris (CC BY).