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Interview avec les concepteurs de L'Homme Volcan

La redaction

vendredi 02 mars 2012 à 18:15 • 24

Logiciels

L'Homme VolcanSorti en fin d'année, L'Homme Volcan [1.0.2 – Français – 3,99 € – iPad – 175 Mo – Flammarion S.A.] est un livre interactif conçu spécifiquement pour l'iPad, en attendant une version dédiée à l'iPhone et iPod touch. Autour du conte fantastique écrit par Mathias Malzieu, leader du groupe Dionysos, les peintures de Frédéric Perrin et la musique du groupe pour une expérience complète.

Florent Souillot, chargé de mission pour le développement numérique chez Flammarion et Samuel Petit, fondateur d'Actialuna, ont accepté de répondre à nos questions.



Qu’est-ce que L'Homme Volcan ? Un livre évolué ? Un CD-ROM « remis au goût du jour » ? Comment le définir ?



Florent Souillot (Flammarion)
Un petit garçon tombe dans un volcan et revient hanter sa sœur sous la forme d’un fantôme incandescent : L'Homme Volcan est un conte avec une dimension fantastique où l’univers de Mathias Malzieu s’exprime à la fois par le texte, mais aussi par les illustrations de Frédéric Perrin et la musique de Dionysos.
Ces effets de distorsion du réel peuvent être représentés naturellement sur un écran en jouant sur des effets de profondeur et de dévoilement : brumes, fumées, chutes, plans montés en parallaxes, dévoilements, etc.

L'Homme Volcan est un texte à lire d’une heure environ dans lequel la forme comme le fond ont été pensés pour les supports tactiles numériques. Ce n’est pas un jeu, ni un dessin animé, ni un CD-ROM : le centre du projet reste la lecture, et dans cette mesure il reste un livre. Par contre nous intégrons le plus conjointement possible au texte des éléments sonores et visuels, interactifs ou non, autour et au sein des pages.

On peut donc penser cette lecture comme une expérience à la fois sur la forme d’un livre numérique enrichi et sur ses contenus, pour profiter le plus possible de ce que l’iPad permet (en l’occurrence pour la première version sortie mi-décembre), tout en essayant de toujours laisser au centre l’acte de lecture (ce qui n’est pas évident : on aurait envie de jouer, de regarder, de se distraire, etc.). Nous avons testé l’élargissement de cet acte en jouant sur la profondeur, la navigation, tout en veillant à ce que cette posture ne soit jamais mise en danger.

L'Homme Volcan

On passe alors « naturellement » de la lecture du texte à la contemplation des peintures ou à l’interaction, à l’écoute. Plus cela paraît naturel et plus c’est compliqué à concevoir, ce qui n’est pas nouveau, et les procédés doivent paraître les plus simples en apparence, parce qu’ils jouent sur le maintien de cette attention fondamentale propre à la lecture d’une fiction.
L'Homme Volcan est un livre augmenté qui n’est plus un livre en tant qu’objet, c’est une lecture augmentée.

Samuel Petit (Actialuna)
Le livre numérique est plus ancien qu’on le croit : la première bibliothèque d’ouvrages numérisés est le projet Gutenberg créé en 1971 par Michael Hart. Quant aux CD-Rom, ils sont clairement notre préhistoire avec ses échecs et ses ratés, et aussi quelques perles. On s’inscrit donc dans cette continuité.

Mais un des gros pièges des CD-Rom a été de mélanger les genres. Mettre des vidéos dans le texte, mettre des jeux… et mélanger le tout. Ça marche pour des livres documentaires, des livres « réceptacles » comme les manuels scolaires, les documents, les livres de cuisine, de bricolage, mais moins pour des œuvres à « lire », dont l’objet est précisément le plaisir de « lire ». Donc pour répondre à la question : L'Homme Volcan n’est pas un livre évolué, ni un CD-Rom, mais une œuvre à lire où animation, musique et typographie ont été pensées pour que le lecteur reste d’abord et avant tout un lecteur.

On se focalise sur l’objet « livre » avec le débat que ça suscite. Mais ce qui est important ce n’est pas l’avenir du livre, c’est l’avenir de la lecture et ici… de la littérature.

Je m’amusais il y a peu de voir que Le Carnaval des Animaux (2,99 €), qui est un très très joli projet, était classé dans l’App Store dans la catégorie « Enseignement », que l’œuvre en elle-même était un découpage d’un film d’animation avec un mélange de dessins et de films, agrémenté de jeux pour les enfants, et que la première ligne de description de l’App Store parlait d’un « livre magique ».

Le Carnaval des Animaux

Je pense d’ailleurs qu’on fait un peu une erreur quand on parle de livre numérique. En fait, les frontières entre les genres de toutes les « œuvres de l’esprit » peuvent, selon les choix des artistes, se flouter. Ce qui a guidé notre travail d’éditeur, c’est ce qu’on attend de notre « utilisateur ». Notre « utilisateur » est-il un lecteur, un joueur, un spectateur… ?

Si nous voulons qu’il lise, et ce quelle que soit la forme que l’on donne à l’œuvre (texte, images, sons, musique), on doit faire attention à certaines règles. Clairement, L'Homme Volcan est une œuvre à lire ! une œuvre à lire pour le plaisir et pour son intérêt artistique.

Un mot sur le modèle économique : L'Homme Volcan est actuellement vendu 3,99 €. Ce n’est pas très cher pour un livre… Pourtant, ce livre mobilise bien plus de « moyens » humains qu’un livre traditionnel : comment se passe la création d’un tel projet ?



Florent Souillot (Flammarion)
Le budget de production d’un tel projet s’apparente à celui d’un (très) beau livre illustré, donc ce n’est pas si éloigné de ce que l’on peut être amené à produire dans une maison d’édition. La grande différence du point de vue économique est surtout que ce dernier coûte très largement plus cher à l’achat.

L’équation est simple : l’ePub (format standard des livres numériques) ne permet pas aujourd’hui de faire un beau livre animé, donc nous avons choisi de commencer par une application, avec un prix de vente nécessairement bas. À 3,99 € dans la version de lancement, on est dans la moyenne des applications de loisir.

On reste néanmoins sur un rythme de production encore assez semblable au livre (un an et demi en l’occurrence), avec une quinzaine de collaborateurs. La nouveauté du point de vue de la production réside surtout dans notre capacité d’éditeur à orchestrer de nouvelles compétences artistiques et techniques, à trouver de nouveaux leviers de production et de diffusion (multilinguisme, reproductibilité des projets, portabilité vers les supports, etc.) et à maintenir une chaine de valeur. C’est aussi pour cela que le Centre National du Livre participe aux coûts de production.



Trouver les nouveaux relais de prescription, être accessible : c’est à la fois un problème et une chance, car l’App Store est un lieu certes encombré, mais encore faiblement pourvu en contenu éditorial de qualité. C’est donc du côté du marketing et du positionnement commercial que l’on doit beaucoup travailler, car on sait comment vendre un beau livre illustré, par contre, une application de lecture sur l'App Store, c’est très nouveau pour nous.

Contrairement à un livre classique, le livre numérique vit en longueur à partir de sa mise en vente et il y a peut-être autant de travail, voire plus, une fois le livre disponible. Pour l’instant il est trop tôt pour juger de l’équilibre financier, et l’on s’en sortira par l’ajustement constant de la visibilité commerciale une fois le produit proposé.

Samuel Petit (Actialuna)
L’édition est une activité très localisée. Contrairement à la musique ou au cinéma, les maisons d’édition sont souvent des entreprises nationales. Un livre traduit est « cédé » par un accord avec un autre éditeur qui va le faire exister dans son pays, y défendre le texte et l’auteur...

L'Homme Volcan est une œuvre traduite d’emblée, une œuvre multilingue (français, anglais, espagnol et japonais). Donc une première réponse est : oui, le livre est peu cher en regard du travail réalisé, mais c’est une œuvre qui se diffuse.

Sachant qu’il faut alors gérer la traduction et la typographie dans les différentes langues. Ce qui peut paraître anodin, mais qui est en fait loin d’être facile. Bref, il y a un savoir à acquérir, car traduire une interface d’un logiciel et traduire une œuvre n’est pas la même chose… du tout ! Et le contrôle qualité bien difficile… Respecter les règles typographiques par langues, c’est déjà les connaître et c’est un travail dont les gens ignorent la difficulté, la plupart du temps.



Qu’est-ce qui vous a poussé à créer votre propre moteur et par conséquent vos propres applications alors qu'il existe déjà des technologies existantes ? Techniquement, comment fonctionne votre moteur de rendu ? Est-ce que vous vous êtes inspiré sur des normes existantes ou est-ce du code 100 % maison ?



Samuel Petit (Actialuna)
Pour répondre à votre question, il faut parler un peu des formats. Aujourd’hui, pour réaliser une œuvre sur tablette, on a deux choix : faire une application ou faire un ePub.

Premièrement, il n’y a chez nous aucun dogme. Nous ferons sans doute des ePub qui offrent une interopérabilité que ne permet bien évidemment pas l'application. La question est souvent politisée, alors que notre choix de faire de une application plutôt que de l’ePub, à l’heure actuelle, est guidé par des choix artistiques.

Faire un ePub réellement interopérable, c’est se limiter au dénominateur commun de ce que les différents lecteurs du marché sont capables de lire, et du coup les possibilités sont très limitées sur le plan de la créativité. Faire un ePub avancé c’est souvent se limiter à iBooks et à une ou deux autres plateformes. Ça évoluera, mais quand on voit que iBooks Author (Gratuit) triche avec l’ePub 3 pour en refaire un format semi-propriétaire… on peut se poser des questions.



Ensuite, il y a là où on accepte de faire des concessions. Pour L'Homme Volcan et d’une façon générale, avec Flammarion nous aimerions être intransigeants sur le plan « artistique ». Et si c’est là que nous mettons le curseur, nous préférons faire des applications. Tel qu’il existe, et bien que ce ne soit pas inscrit dans le marbre du tout, L'Homme Volcan ne pourrait exister aujourd’hui en ePub, ni en terme de performances, ni en terme d’ergonomie et d’optimisation.

Nous voulions faire voler le texte au-dessus d’une brume changeante avec des fonds évoluant au fur et à mesure du récit. On voulait aussi que les images interactives ne se déclenchent pas dans la page, pour garder la posture de lecteur dont je parlais tout à l’heure. Encore une fois, lire un livre n’est pas accomplir des tâches en vue de lire. On voulait donc que l’animation s’intègre dans la gestuelle du lecteur, et qu’elle se déclenche au moment où il tourne la page. Autrement dit… dans l’entre-deux pages, lorsque se joue la rupture visuelle où, comme avec le livre papier, le lecteur sort imperceptiblement du récit pour opérer un geste physique, et ainsi passer à la page suivante. Plutôt que de reproduire un simulacre de page qui tourne (certaines applications de lecture nous accablent aussi du bruit de cette page en mouvement…), la place choisie pour déclencher l’animation se révélait centrale dans le travail ergonomique sur L'Homme Volcan. Et pour cela, il nous fallait avoir le contrôle sur le moteur : impossible à faire avec du ePub !

En fait, l’ergonomie de la lecture se résume à cela : que devons-nous faire pour ne pas déconcentrer notre lecteur ? Si vous prenez le très beau travail réalisé par Albin Michel sur L’Herbier des fées en ePub, l’ergonomie souffre malheureusement de ce que le même geste sert à prendre du recul sur la double page, à lancer l’animation et à tourner les pages. Autrement dit, on se retrouve souvent à interagir de façon frustrante avec le livre, qui est pourtant magnifique à tout point de vue.



Pour conclure, il y aurait une métaphore qui marche plutôt bien : dans le monde papier, certains livres sont « gênants » : larges, épais, avec une forme étrange qui ne rentre pas vraiment dans la bibliothèque, ni même dans le rayonnage d’une librairie. Et bien c’est un peu le but de nos projets : l’ePub va sans cesse faire mieux, évoluer de façon intéressante, mais on pourra toujours chercher à faire des choses « en dehors du format ». Faire un livre « exceptionnel », qui aura ses limites, mais qui ouvrira aussi des opportunités de création particulièrement poussées, hors du « cadre » dont nous définissons nous-mêmes, pour le coup, les contours.

Ce n’est pas parce qu’on peut coder Super Mario en HTML qu’on arrête pour autant de faire des jeux très optimisés pour les consoles. Les deux existent. En revanche, ce qui est sûr c’est qu’il est de notre devoir, si nous continuons à faire des applications, à ne faire en application que ce qui n’est pas possible en ePub.

Du côté des contenus, comment intègre-t-on ce moteur original ? Comment en tire-t-on partie ?



Florent Souillot (Flammarion)
Hormis le texte en lui-même, L'Homme Volcan nous a permis de travailler sur des notions a priori éloignées du numérique et que nous avons volontairement privilégié : la typographie selon les langues, la mise en page, le choix des polices de caractères par exemple.

Finalement la garantie technique du travail d’Actialuna nous a permis de ne pas nous focaliser sur la question du support et du moteur de rendu, pour nous concentrer aussi sur la nécessité des éléments et du contenu : le travail de co-édition s’est apparenté de ce point de vue à un effort régulier pour réduire et abstraire toutes les tentations visuelles et sonores qui auraient alourdi ou distrait le lecteur.

Pour mesurer la qualité de l’immersion recherchée, il suffit de confronter les approches possibles des lecteurs. En survolant ou en « picorant » dans l’ensemble au gré des illustrations, on ne remarque pas ce travail de simplification constante, ou plutôt on ne remarque que lui. Le feuilletage paraît évident et simplissime, comme une suite d’images, on se dit « à quoi bon ? ».



Mais en lisant page à page, par contre, on se laisse prendre par les compositions qui se mettent en place progressivement avec des éléments suggérés ou insinués, des choses que l’on ne découvre pas en première lecture, des moments parfois abstraits, etc.
Plus largement l’activité fondamentale de l’éditeur, qui reste de sélectionner des contenus en amont et de leur faire atteindre des lecteurs en aval, ne change pas ; par contre on peut, avec ce genre de projets, travailler davantage sur la notion d’univers d’auteur et d’œuvre globale, avec des effets de profondeur et de mise en perspective des contenus.

Cela concerne les versions traduites d’un texte, ses états (du brouillon ou de l’estampe au rendu final, chacun pouvant être disponible), de la mise en scène des clefs d’entrée dans un univers d’auteur (la musique, le texte, l’image). C’est ce qui a plu aux auteurs aussi : partir d’éléments disparates et trouver des moyens concrets d’immersion dans un contexte donné.

L’un des reproches que l'on peut faire aux applications, c’est leur durabilité, le fait qu’elles ne fonctionneront plus à moyen terme. Qu’avez-vous à dire sur ce point précis ?



Florent Souillot (Flammarion)
Davantage que la pérennité, c’est l’exclusivité de la diffusion sur iPad de cette première version qui est le problème majeur de L'Homme Volcan. C’est pourquoi nous préparons la sortie pour iPhone pour le mois de mars, avant de possibles exploitations en papier. Nous allons suivre les évolutions des formats interopérables pour les rejoindre quand ils permettront un rendu autant, sinon plus satisfaisant. C’est un point clef pour ces livres « enrichis » : nous irons dans la mesure où nous pourrons maîtriser le rendu de nos contenus.

Idéalement ce livre serait disponible chez tous les libraires numériques, malheureusement le seul à supporter ces contraintes de contenus du point de vue technique (Apple) n’en est pas encore vraiment un aujourd’hui.



Pour revenir à la pérennité, c’est un problème différent et qui est intéressant, car on pense souvent que le livre est plus pérenne en format papier. Ce n’est pas forcément évident vu le taux de rotation des publications en papier et leur exposition. Ensuite cette pérennité ne sera plus un problème lorsque nous aurons trouvé des solutions à l’interopérabilité des formats : un livre numérique est un ou des rendus, contrairement au livre papier qui est un objet. Aujourd’hui ces rendus sont variables, dépendants, soumis à des rythmes technologiques et commerciaux que les éditeurs peinent à contrôler (c’est le cas d’iBooks Author par exemple).

Nous espérons que cette hétérogénéité des rendus soit un jour stabilisée et maîtrisable, car alors ne se poseront plus les questions de pérennité. Comme nous l’avons dit précédemment, pour vendre un livre numérique, surtout sur l’App Store, il faut le maintenir et le mettre à jour : c’est une garantie d’interopérabilité à terme.

Pour revenir à iBooks Author, c’est un peu tôt pour juger. Comme c’est un outil grand public, il permettra aussi aux éditeurs de ne pas se focaliser sur le support, et de provoquer un retour aux contenus et à la façon de les diffuser. De ce point de vue on retombe dans le métier initial, le défi étant que tout le monde peut maintenant fabriquer son livre enrichi (quant à maîtriser sa diffusion…).

Par contre il est évident qu’un tel outil ne règle pas la question de l’interopérabilité, et qu’il renforce un peu plus le conflit entre des logiques de rendu (nous en avons suivi une avec la première version de L'Homme Volcan) et des logiques de permanence et de production professionnelle et intégrée. C’est d’autant plus sensible chez un éditeur « patrimonial » comme Flammarion qui exploite un catalogue très varié et validé dans le temps.


Samuel Petit (Actialuna)
Actialuna est une entreprise vraiment sur le fil entre la partie technique et la partie artistique. Autrement dit iBooks Author pourrait très bien être un outil pour nous.

Pour ne pas être hypocrite, il faut avouer que certaines applications qui se justifiaient avant ne se justifient plus, et que nous proposons même à certains éditeurs de leur réaliser leurs livres sur iBooks Author s’ils ne savent pas le faire.

Nous avons un projet de livre pour enfants que nous dévoilerons prochainement, entièrement en aquarelle interactive et animée. Un projet complètement fou qui durera un an et demi, et qui devrait paraître par étapes. Un travail gigantesque, avec des milliers de dessins. Mais au final un très très beau projet, qui en vaut vraiment la peine !

Nous souhaitons résolument être une agence haut de gamme spécialisée dans la réalisation de très beaux ouvrages numériques. Qu’importent les outils ou les formats, ce sont d’abord et avant tout les contraintes artistiques et ergonomiques qui guideront nos choix.

Quant à la pérennité, oui c’est effectivement un problème quand on fait des applications. On reste dépendant du support, de sa survie ou de ses évolutions, comme avec les consoles de jeu. Mais si vous voulez mon sentiment profond, je souhaite que dans quelques années on trouve des émulateurs qui permettent de ressusciter une œuvre. Regardez comme les vieux jeux ressuscitent de cette manière sur ordinateur et même de façon légale sur iPad, les uns après les autres (Another World, Prince of Persia, Secret of Mana…).

Nos programmes vivront d’une façon ou d’une autre ! Nous ne sommes pas du tout opposés à cette idée. D’ailleurs, pour vivre une application doit se mettre à jour. On est donc de toute façon, dès à présent, dans l’acceptation d’une œuvre mouvante.



Comment s'est passée la genèse du livre ? Comment notamment s'est passée la collaboration avec les différents métiers (auteur, créatifs, développeurs…) pour concevoir cette application ? Est-ce qu'au fond avec cette activité vous n'êtes pas en train de créer ou plutôt de réinventer certains métiers ?



Florent Souillot (Flammarion)
C’est assez simple : partant du principe que nous n'irions sur un livre numérique enrichi qu’à condition qu’il tire absolument parti du support sur lequel il serait diffusé, nous avons choisi de travailler avec des auteurs dont les compétences sont multiples.

C’est le cas de Mathias Malzieu qui écrit, mais compose et joue aussi avec son groupe. C’est le cas de Frédéric Perrin qui peint et anime. C’est très important ce point : avec ce genre de projet il n’y a pas de prévalence d’une matière sur l’autre : elles doivent coexister. Il faut savoir également que l’éditrice « papier » de Mathias est partie intégrante du projet, et que, dans les maisons d’édition, les éditeurs seront appelés à devenir les points d’ancrage de ce genre de projets à mesure que le marché grandira et que les outils et les compétences leur seront rendus disponibles.

Je ne sais pas s’il y a vraiment de grandes oppositions de principe entre le texte et l’image, la musique, ni les gens qui sont derrière. Une fois que les conditions sont équilibrées et partagées, les choses se font simplement. Le livre numérique « enrichi » permet de faire dialoguer ces éléments, ce qui est plus simple qu’on ne croit.

Donc si vous mettez des développeurs sensibles aux contenus et des créatifs suffisamment curieux pour tirer profit des contraintes techniques, il n’y a pas de raisons pour que cela se passe mal, au contraire. Le reste, et l’essentiel à mon avis, est donc un accord sur la façon de créer collectivement un objet.



L'Homme Volcan a été lancé en partenariat avec Flammarion. Nous vivons dans un pays assez réticent au livre numérique : est-ce que cela ne vous complique pas encore la tâche ? Comment l'éditeur a accueilli votre projet ?



Samuel Petit (Actialuna)
C’est une réflexion sur la façon de penser l’« image animée » qui a conduit à la création de ce projet avec Flammarion. La position publique affichée par les éditeurs est parfois très différente de la réalité de ce qui se passe à l’intérieur des maisons d’édition, où ils se révèlent beaucoup moins en retard que ce qu’on peut croire.

Mais tout ça est très politique. Et il faut aussi savoir se garder des envolés lyriques contre le «vieux monde» et voir avec calme et objectivité l’état des choses : un format ePub encore très jeune, du papier électronique noir et blanc, lent. Le rendu de la couleur qui existe est métallisant (cf. Mirasol), les écrans LCD deviennent tout juste « Retina », il y a aussi de gros problèmes juridiques autour du droit d’auteur, l'iPad n’a que deux ans d’existence… Bref, après 40 ans de préhistoire de l’édition numérique, elle ne fait au final que commencer son « histoire ». Je crois que c’est surtout ça.

Ce qui compte à présent, c’est de faire de belles œuvres numériques. Car c’est justement en procurant du plaisir au lecteur sur des œuvres numériques de qualité que l’on va pouvoir le séduire, lui montrer le champ des possibles.

Les Anglo-saxons distinguent le « publisher » et l’« editor », plus que nous. Ce qui est certain c’est que l’édition numérique est une chance pour un vrai travail éditorial de qualité. C’est ce qu’on a essayé de faire avec Flammarion et ainsi, le travail d’éditeur est à mon sens revalorisé par le numérique : son rôle originel de faire accoucher une œuvre, et de la réaliser.


Florent Souillot (Flammarion)
Du côté des éditeurs il n’y a pas de réticence au contraire, mais plutôt des difficultés à combiner un rythme technologique avec un métier dont les frontières sont stabilisées depuis longtemps. Aujourd’hui la chaine de valeur se recompose et les positions tendent à s’interchanger : on a donc une mise en danger des fonctions de création et de prescription.

Parallèlement à des projets comme L'Homme Volcan nous travaillons à la diffusion d’une offre homothétique la plus globale possible (ce n’est que le début), diffusée par un réseau de plus en plus large de libraires, et nous faisons en sorte que ces deux mouvements se rejoignent au cœur du métier de l’éditeur. Il n’y a aucune contradiction entre les deux, bien au contraire.

Le métier d’éditeur sera légitime sur les mêmes critères qui fondent son existence aujourd’hui : la qualité du travail produit et le soin apporté aux créatifs dont il s’entoure et qu’il fidélise, la cohérence avec la marque qu’il représente, enfin la pertinence de ses réponses aux usages de lecture.

Le numérique augmente les coordonnées de chacun de ces axes (la collaboration éditoriale et technique entre Flammarion et Actialuna en est une parmi d’autres) donc ce sont autant d’opportunités à mon sens. Alors certes, ce mouvement prend du temps, mais nous pensons que des projets innovants sont des vecteurs de ce changement du côté des éditeurs, car même s’ils sont confidentiels pour le grand public, ils circulent et sont vus et discutés.

Le métier augmente avec le numérique, mais il ne perd pas sa raison d’être centrale et personne n’est réticent au livre numérique à condition qu’il soit accessible et valorisé (par la façon dont on y accède et par les contenus qu’il recèle). Un des critères de notre collaboration avec Actialuna est de partager cette croyance.
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