Il est loin le temps où Steve Jobs accueillait Dr. Eric Schmidt à bras ouverts sur la scène de la Macworld pour annoncer le soutien de Google à l'iPhone. Depuis, Android est passé par là et a mis de l'électricité (thermonucléaire) dans l'air.
Apple s'est appliquée à retirer les services de son concurrent préinstallés sur son système mobile. iOS 6 a fait le grand ménage : l'application YouTube a complètement disparu, Google Maps a été abandonné au profit d'une solution maison et Baidu est devenu le moteur de recherche par défaut des iPhone vendus en Chine. iOS 7 a continué le travail : Siri a lâché Google et adopté Bing.
Une très forte présence sur iOS
Pour autant, Google n'est pas absent des terminaux iOS en circulation, bien au contraire. La firme de Mountain View est non seulement très présente dans l'App Store avec plus d'une vingtaine d'applications, mais en plus celles-ci rencontrent un gros succès. Google Maps, YouTube, Recherche Google, etc. trustent régulièrement les charts de la boutique d'Apple.
Un effort bien spécifique à iOS ; l'entreprise évite consciencieusement Windows Phone depuis son lancement. Seul son moteur de recherche est disponible au travers d'une application native sur le système mobile de Microsoft, et encore, sans les dernières fonctions proposées sur iOS et Android (Google Now). Elle semble même prendre un malin plaisir à enquiquiner Microsoft. L'arrêt de l'utilisation d'Exchange ActiveSync a forcé l'éditeur de Redmond à prendre en charge plus vite que prévu CardDAV et CalDAV et l'imbroglio autour de l'app YouTube s'est terminé en sa défaveur.
Sundar Pichai, le patron d'Android et Chrome, a expliqué que Google ne développait pas d'applications pour Windows Phone car ce système n'avait pas « une masse critique d'utilisateurs ». Or, en coupant Windows Phone de ses services incontournables, Google freine justement son adoption — et évite donc qu'un des concurrents d'Android ne progresse. Ironiquement, la position de Microsoft est aujourd'hui comparable à celle d'Apple dans les années 1990. Quand Windows a plié le marché, l'éditeur a commencé à bâcler ses apps pour le Mac. Cette fois, sur le mobile, c'est Google qui fait ce qui lui chante et influe sur l'attractivité des plateformes concurrentes.
Quant à Apple, son système occupe une place importante sur le marché, pas très loin derrière Android aux États-Unis ou même largement devant au Japon. Le modèle économique de Google, la pub, dont provient plus de 90 % de son chiffre d'affaires, lui impose d'être présent là où il y a du monde. Impossible, donc, de faire l'impasse sur 700 millions de terminaux iOS en circulation — certainement un peu moins toujours en fonctionnement.
D'autant plus que les possesseurs d'appareils iOS utilisent plus leur smartphone que ceux qui détiennent un terminal Android, un élément que Tim Cook n'oublie jamais de rappeler quand on l'attaque sur la part de marché.
C'est pourquoi Google s'investit pleinement dans iOS avec pas moins de 23 applications sur l'App Store français et 33 sur le Store américain. Si la quantité est au rendez-vous, la qualité est-elle aussi présente ? Le géant du Net soigne-t-il autant ses logiciels sur iPhone/iPad que sur son propre système ? La réponse apparaît rapidement quand on compare les deux versions d'une même application.
Des applications identiques sur iOS et Android
YouTube, incontournable que l'on aime ou pas Google, est identique sur les deux systèmes. La fonction qui permet de faire une recherche tout en continuant de regarder une vidéo dans une petite fenêtre est arrivée en même temps sur les deux plateformes.
Pour être tout à fait précis, les deux applications ne sont pas strictement identiques... celle sur iPhone/iPad est plus complète. Elle permet en effet de visionner les films achetés sur Google Play (bouton « achats » dans le menu), une fonction réservée à l'application Google Play Films sur Android. Cette dernière est récemment sortie sur iOS, l'éditeur pourrait donc retirer cette fonction de YouTube iOS pour la rendre uniquement disponible sur Google Play Films.
De même, Google Maps iOS est un clone de la version Android, à moins que ce ne soit l'inverse. Lors de la sortie de son application de cartographie sur l'App Store fin 2012, Mountain View avait reconnu que la mouture iPhone était meilleure que celle sur son propre système. Depuis, le tir a été corrigé et les deux versions sont strictement similaires.
Google a fait un vrai travail pour intégrer au maximum son GPS à iOS, et c'est réussi. Il faut dire qu'il s'agit d'une application importante puisque des publicités « pertinentes » y font leur apparition depuis quelques mois maintenant. Pour déloger des écrans d'accueil l'application Plans d'Apple installée par défaut, l'éditeur est forcé de fournir une app de qualité. Ce qu'il fait très bien avec YouTube, Google Maps, mais aussi Chrome.
Le navigateur est du même acabit sur Android et iOS. On retrouve sur l'un comme sur l'autre la même interface, les mêmes animations, les mêmes fonctions (synchronisation, saisie automatique des formulaires, réduction de la consommation de la bande passante), etc. Même constat pour Google Drive, Google+, Google Earth, Google Traduction... Que l'on utilise ces applications sur un iPhone ou un Nexus, on retrouve la même expérience et les mêmes fonctions à un ou deux détails près.
Le cas le plus intéressant est certainement celui de Recherche Google. Dans cette application qui servait uniquement de moteur de recherche, l'entreprise a inclus Google Now, son assistant personnel intégré à Android. En raison des limitations imposées par Apple, on ne peut pas invoquer Google Now de n'importe où sur iOS comme on le ferait sur Android, mais hormis ce point, l'assistant est du pareil au même sur les deux OS.
Il y a toutefois une exception à cette égalité de traitement : Gmail. Le client mail est étonnement en retard sur iPhone/iPad. Pas d'affichage des photos dans la liste principale, ni de gestes pour archiver rapidement un courrier ni de gestion de plusieurs pièces jointes en une fois... On peut aussi noter la surprenante absence de Google Keep, le service assez réussi de notes et de rappels.
Non content de soigner ses applications, Google les lie toutes entre elles. On clique sur un lien dans un courrier reçu dans l'app Gmail ? C'est Chrome qui s'ouvre. Au fil de la navigation, on tombe sur une vidéo ? C'est YouTube qui prend le relais, et ainsi de suite avec Maps, Google+ et Drive. L'utilisateur ne quitte ainsi jamais Google, même en étant sur iOS. Malin. Malgré les règles très strictes d'Apple, l'entreprise est parvenue à recréer son écosystème à l'intérieur d'un OS sur lequel elle n'a aucun contrôle. À bien y réfléchir, quand on a un iPhone, on a le meilleur des deux mondes : du matériel Apple et des services Google (lire à ce sujet : Je raccroche l'iPhone : des nuages au-dessus des jardins enclos).
Tous ces efforts pour maintenir ses applications identiques sur deux plateformes distinctes, Google pourrait bientôt avoir à les renouveler. D'après des captures publiées par Geek.com, une toute nouvelle interface est actuellement en train d'être testée. On peut voir une application Gmail au design simplifié, mais avec des fonctions supplémentaires comme la possibilité d'épingler un email ou une nouvelle boîte de réception pour les courriers financiers.
Le calendrier suivrait le même chemin, avec une interface inspirée d'iOS 7 et un effet de parallaxe. Selon le site américain qui a pu tester les applications, le calendrier est achevé, mais le nouveau Gmail ressemblerait plus à une bêta dont le but serait de tester des nouvelles fonctions. La Google I/O qui se tiendra à la fin du mois de juin serait le bon endroit pour annoncer un changement majeur d'interface, si c'est bien dans les plans de Mountain View. Si on est optimiste, on peut d'ailleurs imaginer que le retard de Gmail sur iOS est lié à cette nouvelle interface qui sera disponible partout en même temps.
Hell froze over
Et Apple ? Que fait Apple sur Android pendant ce temps-là ? La réponse est simple et tient en un mot : rien. La raison donnée par Steve Jobs dans sa biographie est tout aussi simple :
On s’est demandé si on devait rendre notre musique accessible aux utilisateurs d’Android. On a adapté iTunes à Windows pour vendre plus d’iPod. Mais je ne vois pas l’intérêt de mettre nos applications musicales sur Android, sauf si on veut rendre les adeptes d’Android heureux. Or je ne veux pas les rendre heureux.
Mais voilà, le cofondateur d'Apple n'est plus et le marché de la musique a évolué. Le credo de Jobs pourrait laisser sa place au pragmatisme de Cook, qui déclarait il y a un an ne pas avoir de problème religieux à l’idée de porter des applications Apple sur Android : « si cela peut être bénéfique, nous le ferons ».
C'est précisément iTunes que Jobs ne voulait pas offrir aux utilisateurs d'Android qui pourrait se retrouver en premier sur ce système. D'après des indiscrétions de l'industrie de la musique, Cupertino prépare une refonte majeure de l'iTunes Music Store qui a besoin de se réinventer face à la montée du streaming. Outre une offre de streaming complète à la Spotify, l'une des grandes nouveautés serait l'arrivée du service sur Android. L'idée derrière cette incursion serait de toucher un marché plus large, comme ce fut le cas il y a 11 ans sur Windows. Est-ce qu'iTunes pour Android sera la meilleure application Android jamais écrite ?