19 milliards de dollars. C’est l’incroyable somme que Facebook a mis sur la table pour s’offrir WhatsApp. Le montant de cette transaction a suscité bon nombre de commentaires. C’est paraît-il 2,8 fois le coût d’un réacteur nucléaire EPR construit en Chine. Tout ça pour s’envoyer des smiley et des selfies…
Mais comparaison n’est pas raison… Et l'on pourrait disserter sur le fait que nous sommes ou non en plein coeur d’une bulle, sur le fait que c’est une bonne ou une mauvaise chose ou encore sur le fait que nous assistons aux conséquences de la politique monétaire de la FED, mais à vrai dire, ce n’est pas l’objet de cet article.
Ce qui nous intéresse, c’est la manière dont ces « apps » ont construit ou plutôt n’ont pas construit leur business. WhatsApp n’est d’ailleurs pas l’objet d’études le plus intéressant.
Viber : un business modèle, mais pour quoi faire ?
Je me souviens de la présentation de Viber, l’une des premières applications de voix sur IP pour iPhone à être vraiment bien faite, au moment où Apple a commencé à autoriser ce genre d’outils. Cela partait d’une idée simple et géniale. Au lieu de créer un pseudo et devoir inviter un à un vos proches, Viber utilisait en quelque sorte votre numéro de téléphone comme pseudo et repérait automatiquement vos amis en « scannant » votre carnet d’adresses et en le comparant aux numéros enregistrés sur ses serveurs.
Si beaucoup étaient enchantés par la simplicité d’utilisation de ce service, d'autres commençaient à se demander comment ce service allait gagner sa croûte. Forcément, le fait que ce Viber jette un oeil à votre carnet d’adresses appelait dans ce contexte à une certaine méfiance. Il fallut attendre de nombreuses versions avant que Viber commence à proposer des services payants, comme la possibilité d’appeler des téléphones fixes ou portables à un coût réduit. Mais c’était sans doute insuffisant pour qu’un tel service puisse envisager d’être rentable.
Alors le business modèle de Viber ? La réponse est venue il y a quelques jours lorsqu’on a appris que cette start-up avait décidé de répondre favorablement aux avances de Rakuten pour 900 millions de dollars. À ce prix, on pouvait effectivement offrir la gratuité du service aux internautes qui n’étaient qu’une monnaie d’échange. Ce n’est pas tant la technologie de Viber qui séduit l’acquéreur japonais que les 300 millions d’utilisateurs qui utilisent fréquemment ce service.
Mailbox ou la société qui s’est fait acheter 36 jours après la sortie de son app
Les acquisitions d’apps sont en vogue depuis un certain temps déjà. À sa manière, Mailbox avait défrayé la chronique en début d’année dernière. L’engouement autour de ce client Gmail, qui, par certains aspects, était novateur, était tel que l’éditeur avait dû inventer le concept de file d’attente virtuelle pour pouvoir l’utiliser.
Alors, pendant des jours, on attendait de voir ce petit compteur baisser pour pouvoir commencer à trier de manière différente ses mails. En faisant un simple geste, on peut effacer un mail, l’archiver ou encore reporter sa consultation à plus tard.
Là encore, le logiciel était gratuit, mais à vrai dire, on n’a pas bien eu le temps de se poser longtemps la question du modèle économique tant les choses ont été vite. 36 jours seulement après son lancement, Mailbox annonçait son acquisition par Dropbox pour un montant compris entre 50 et 100 millions de dollars. Facebook était apparemment dans la course, mais le montant ne devait pas être suffisamment élevé pour aiguiser l’appétit de Mark Zuckerberg.
À l’époque, l’éditeur avait expliqué que le passage à Dropbox lui permettrait d’avoir une architecture serveur digne de ce nom et de faire face à l’afflux d’utilisateurs. La vie de Mailbox comme entité indépendante ayant été tellement courte, il est difficile de comparer l’avant et l’après-Dropbox.
Quoiqu’il en soit, et même s’il a trusté de nombreuses récompenses à la fin de l’année dernière, Mailbox n’est pas forcément sur la bonne pente. La version iPad a été bâclée, alors que la prise en charge d’autres services mail s’est faite désirer pendant de nombreux mois et n’est arrivée que très récemment. Les défauts de jeunesse du logiciel n’ont toujours pas été gommés (il serait agréable de pouvoir jeter un oeil à ses spams par exemple, de temps en temps) et les versions pour les autres plates-formes (Android, OS X…) se font attendre. Bref, l’acquisition de Dropbox n’a semble-t-il pas permis (sauf au niveau serveur) à l’équipe de Mailbox de passer à la vitesse supérieure. Mais était-ce là le plus important ?
Des start-up qui ne prennent plus le temps de grandir
La vérité, c’est que les acquisitions ne profitent que rarement aux utilisateurs. Et dans un sens, cela n’a rien de surprenant, puisque l’utilisateur n’est plus forcément au centre du business-modèle, c’est plus souvent une monnaie d’échange.
Mais l’internaute, s’il va souvent de déception en déception, est peut-être tout doucement en train d’en prendre conscience. Encore que l’annonce de l’acquisition de WhatsApp, s’est révélée être un fantastique coup de pub qui a attiré plus de 1,3 million de nouveaux utilisateurs en l’espace de deux jours. Mais en même temps, vous êtes également très nombreux à chercher des alternatives dès l’officialisation d’une annonce de ce genre. Pour preuve, notre sujet sur les alternatives à WhatsApp a connu un certain succès.
Pour les utilisateurs Mac, l’acquisition la plus douloureuse est sans doute celle de Sparrow par Google. Ce logiciel était une petite révolution dans les clients mail. Google a acheté Sparrow pour 15 millions d’euros, puis plus rien. Comme annoncé, le développement du logiciel a été arrêté. Il n’est revu de temps à autre que pour des questions de sécurité. Naïvement, on espérait que les avancées de Sparrow finiraient par rejaillir quelque part. 18 mois plus tard, on attend toujours. Et Gmail sur iOS est toujours une app mal dégrossie, à mi-chemin entre une webapp et une app native, un projet que doivent se passer les stagiaires de passage chez Google.
D’ailleurs, même si le montant de la transaction est à mille lieues de celui de WhatsApp, cette opération illustre en quelque sorte la mentalité de l’époque. Kima Ventures qui a investi dans ce projet était complètement opposé à l’idée d’une revente à Facebook ou à Gmail. Ce fonds d’investissement lancé par Xavier Niel et l'entrepreneur/business angel Jérémie Berrebi, rêvait de mettre au point une structure capable de rivaliser avec Gmail. Ce sont les créateurs de Sparrow qui voulaient absolument vendre. Étonnant, non ?
Une culture d’entreprendre qui a changé
De ce point de vue, Nest est également une grosse déception. Son fondateur Tony Fadell répétait à l’envi, lorsqu'il donnait des conseils aux plus jeunes, qu’il fallait d’abord travailler pour ses héros avant de prendre son envol.
Après avoir travaillé un peu moins de dix ans pour son héros (Steve Jobs), il crée Nest et se lance dans une aventure intéressante, qui aurait pu à terme donner naissance à un géant des appareils connectés. En acceptant les 3,2 milliards de dollars de Google, l’équipe dirigeante a fait le choix de la facilité.
Et c’est bien dommage, car finalement peu de nouvelles sociétés dans le domaine des high-tech parviennent à atteindre le statut de «géant». Celles qui connaissent un succès finissent par tomber tôt ou tard dans l’escarcelle de Google, Yahoo, Facebook ou encore Microsoft. Dropbox pour le moment semble être l’exception qui confirme la règle. Après tout, ils ne sont pas nombreux à avoir dit non à Steve Jobs.
Il est fascinant de voir comment Apple fonctionne différemment de ses rivales en matière d’acquisitions. Deux jours après l’acquisition de WhatsApp, on apprenait que le constructeur n'avait probablement dépensé que quelques dizaines de millions de dollars dans Burstly. Les deux sociétés ne boxent pas dans la même catégorie, pourtant ce ne sont pas les moyens qui manquent chez Apple.
Et même si Apple jure qu’elle a songé à faire des chèques à 10 chiffres pour acquérir certaines sociétés, ce n’est assurément pas la même démarche qu’avec Facebook. Si Mark Zuckerberg a jeté son dévolu sur WhatsApp, c’est parce que son produit maison - Facebook Messenger - est à la traîne et qu’il estime que le marché de la messagerie instantanée est hautement stratégique pour son groupe. Cette stratégie, les Américains la résument en une phrase « If you can’t beat them, own them » (Si vous ne pouvez pas les battre, achetez-les).
Et c’est tout le contraire d’Apple qui préfère investir dans des produits, des services ou des technologies qui lui permettent de se développer. Ainsi, le jour où elle a voulu concevoir elle-même ses processeurs pour ses terminaux iOS, elle a acquis un certain nombre de sociétés spécialisées dans le domaine, dont PA Semi.
Est-ce lié au fait que ces sociétés appartiennent à des générations différentes ? Si Apple et Microsoft avaient vécu dans un tel contexte, seraient-elles restées indépendantes ou auraient-elles fini l’escarcelle d’un IBM ou d’un HP ?
Une chose est certaine : la question de l’indépendance était chère à Steve Jobs. Dans sa « première vie » chez Apple, il a pu mesurer quelles pouvaient être les conséquences d’un conseil d’administration qui vous est hostile. Sur le tard, Steve Jobs a voulu rendre ce que la « Valley » lui avait donné. Il s’entretenait fréquemment avec les jeunes entrepreneurs qu’il appréciait et leur donnait des conseils, fût-il aussi en compétition avec eux, comme Larry Page le cofondateur de Google (lire Steve Jobs : nouveaux extraits de sa bio).
En 2010, il avait conseillé à Jeremy Stoppelman, cofondateur et CEO de Yelp, de rester indépendant et l’avait convaincu de ne pas céder aux sirènes de Google, qui avait formulé une offre. Mais finalement, Steve Jobs était également un utilisateur presque comme les autres, qui appréciait beaucoup Yelp. Et en tant que simple utilisateur il se disait peut-être qu’il valait mieux qu’elle reste indépendante !