Certains ont été déçus par l'annonce de l'iPhone 4S : ils attendaient un iPhone 5 plus fin, avec un écran plus grand, et un design en goutte d'eau. Ce design a été mentionné pour la première fois en avril dernier sur le site This is my next, formé par l'équipe démissionnaire d'Engadget (lire : iPhone 5 : une évolution majeure ?), et a été repris par les fabricants de housses en Chine, encore, encore et encore (lire : De nouvelles photos d'étuis iPhone 5). Au lendemain de l'annonce d'un nouvel iPhone sans nouveau design, c'est la douche froide pour les fabricants, les distributeurs, et tous ceux qui les ont crus, journalistes y compris. Pour mieux comprendre les causes de ce ratage en clair, nous avons contacté un distributeur en Chine (Wagner), et plusieurs accessoiristes et acteurs du marché en Europe, ainsi que des acteurs plus modestes comme des auto-entrepreneurs français (qui ont souhaité rester anonymes).
Tout part des conditions de production : le marché des accessoires iPhone est extraordinairement concurrentiel, notamment dans le domaine des accessoires en marque blanche. Dans ce cas précis, les grandes chaînes européennes et les accessoiristes mettent en concurrence les fabricants et sous-traitants pour obtenir des produits au prix le plus bas possible, et le plus rapidement possible. La moindre information est donc vitale pour les fabricants et distributeurs, qui utilisent un réseau de sources chez les sous-traitants d'Apple… et la presse spécialisée.
Les premières rumeurs tangibles autour de l'iPhone 5 naissent avec un billet de Joshua Topolsky sur This is my next le 22 avril 2011. L'ancien rédacteur en chef d'Engadget est traditionnellement plutôt bien informé : il a été le premier à obtenir une photo d'iPad, d'iPhone 4, et à obtenir des informations sur le nouvel Apple TV. Son historique prouve cependant qu'il obtient des scoops plus sûrs chez les autres fabricants qu'Apple : on attend toujours l'iPad 2 à Retina Display qu'il avait annoncé. Il décrit, à partir de plusieurs sources, un iPhone plus fin, rappelant l'iPod touch, avec un écran plus grand, un bouton doublé d'une zone tactile, un profil en goutte d'eau.
Quelques semaines plus tard, le réputé Wall Street Journal embraye. Alors que le WSJ est traditionnellement renseigné directement par Apple, personne ou presque n'ose alors douter que l'iPhone 5 sera un « iPhone bien différent ». D'autant qu'entre-temps, les premières housses pour ce nouvel iPhone arrivent de Chine… et elles semblent confirmer ce design.
Les sources de ces fabricants et distributeurs ? Les plus gros, les mieux implantés, les mieux connectés, ont obtenu de leur réseau des plans. Ces plans, qui décrivent l'iPhone 5 sous toutes ses coutures, doivent servir de référence pour la conception des moules nécessaires à la fabrication des housses. C'est un employé d'un sous-traitant travaillant pour un accessoiriste américain travaillant avec Apple qui l'a vendu au plus offrant — sans préciser s'il avait obtenu le plan d'Apple, de son imagination, ou d'un travail sur les sources journalistiques américaines.
Les plus petits fabricants et distributeurs, ceux qui n'ont pas de réseau d'information, prennent en effet le risque de considérer que les grands sites et journaux occidentaux ont de bonnes informations, et travaillent directement avec ces rumeurs. Le risque, on le comprend, est non seulement qu'ils se trompent, mais que la presse spécialisée pense que les fabricants confirment la rumeur… alors qu'ils ne font que la suivre.
Ceci est valable aussi bien pour les petits que pour les grands fabricants et distributeurs, qui dénoncent tous un même problème, la communication d'Apple. Contrairement aux autres, la firme de Cupertino ne travaille pas en bonne intelligence avec ses partenaires. Elle n'envoie pas de prototypes ou de dessins aux fabricants d'accessoires (alors que d'autres le font) et elle ne met les opérateurs dans la confidence que si elle en a absolument besoin (on attend toujours l'iPad 1 avec webcam et l'iPhone plus fin d'octobre 2011 promis par Stéphane Richard, le PDG d'Orange). L'information étant la clef du succès pour arriver sur le marché avant les autres, les fabricants prennent le risque d'avoir tort… pour peut-être avoir raison.
Cette stratégie a souvent fonctionné : les plans de l'iPad 2 circulant pour ainsi dire librement, on avait pu voir très tôt des housses dévoilant le design plus fin que la génération précédente. Elle est risquée : les housses d'iPod touch 3G ont été réalisées avec des prototypes possédant une webcam. Au dernier moment, Apple a décidé de la retirer : quelques housses sont parties au pilon.
Tous ces risques sont calculés : la pression des chaînes de distribution occidentales est telle que les commandes sont prises très en amont, et doivent être respectées. Les sites web américains sont en général bien informés, certains sites web de Hong-Kong travaillent dans les mêmes usines qu'Apple, et les plus gros distributeurs et sous-traitants peuvent vérifier eux-mêmes l'information à coups de dollars pour obtenir plans et prototypes auprès des partenaires d'Apple — comme Foxconn, qui n'a jamais perdu un prototype, mais en a déjà vendu.
La mise de départ est de plus assez faible : un moule pour échantillons coûte quelques centaines de dollars pour la fabrication de quelques centaines de housses. C'est suffisant pour que de très petites structures fassent affaire avec une petite société en Europe sans grand risque financier : la commande est payée intégralement au départ de Chine, sans délai à 90 jours par exemple. Quelques auto-entrepreneurs français ont ainsi passé commande de quelques centaines à quelques milliers de housses pour un prix dérisoire… mais se retrouvent avec aujourd'hui quelques milliers d'euros de dette, et n'en se remettront peut-être pas.
Les plus gros peuvent se permettre un coup de poker un peu plus engageant, avec des moules acryliques valant quelques milliers de dollars, et une production selon la demande des partenaires européens. Si la rumeur se confirme, jackpot : des ajustements peuvent être faits à la deuxième tournée. C'est ainsi qu'on a vu beaucoup d'accessoires pour iPad 2 disponibles dès sa sortie, mais ceux-ci ne prenaient pas en compte le système de mise en veille automatique basé sur des aimants. Et pour cause : si tout le monde ou presque avait les plans, le système Smart Cover, lui, était le secret le mieux gardé.
Quelques semaines plus tard, le temps d'ajouter cet élément et de faire venir le cargo de Chine, tout le monde prenait miraculeusement en compte les aimants de l'iPad 2. Si la rumeur se révèle fausse, tant pis : les moins bien organisés, les plus joueurs, les plus fragiles, ceux-là sont en péril. Les autres peuvent espérer effacer leurs pertes avec leurs autres gammes : un distributeur implanté en Chine nous a parlé d'un quart de millions de dollars, un importateur allemand estime ses pertes à un demi-million d'euros.
Avec l'iPhone 5 on le sait, la rumeur s'est révélée fausse — ou du moins, fausse pour le moment. Comment expliquer ce plantage en règle ? Les informations de Topolsky et du WSJ pouvaient faire partie d'une fuite contrôlée, et toute la chaîne s'est reposée dessus : comme un château de cartes, tout s'effondre. Apple aurait ici joué sur les faiblesses du système pour préserver le secret sur ses produits, même s'il parait étonnant qu'elle mette ainsi en péril son écosystème de partenaires. Peut-être qu'au contraire, toutes ces informations étaient bien vraies, mais qu'on parle d'un produit qui n'en est qu'au stade du prototype, qui ne sortira pas avant 2012, voire jamais.
Tout cela, on ne le saura peut-être, donc, jamais. Ce que l'on sait, cependant, c'est que ce système est extrêmement fragile. Le scénario de l'iPhone 5 est un scénario catastrophe pour la pyramide branlante des fabricants chinois, qui naviguent souvent à vue. Faut-il les plaindre, face à Apple ? Sûrement pas : cet échec est d'abord le leur, et celui d'un système entre Chine et Europe-États-Unis qui considère que les accessoires pour un produit doivent être en rayon coûte que coûte le jour de la sortie du-dit produit, même si cela signifie mener une véritable guerre de l'information pour mener à bien cette tâche. Mais cette guerre n'aurait pas lieu si comme d'autres, Apple s'associait mieux avec certains partenaires triés sur le volet. L'économie de la rumeur ne parviendrait cependant pas à résister longtemps et reprendrait de plus belle, entraînant peut-être un plus grand nombre de fuites, indésirables pour Apple.
On le comprend bien, ce cercle est vicieux, toxique même. Mais Apple a besoin de cet écosystème, et a besoin de le garder dans l'ombre. Et cet écosystème ne peut pas se passer d'Apple, dont les produits sont une garantie de succès. C'est le côté obscur de l'économie de la rumeur…
Un rendu 3D imaginé par MacRumors à partir des rumeurs.
Tout part des conditions de production : le marché des accessoires iPhone est extraordinairement concurrentiel, notamment dans le domaine des accessoires en marque blanche. Dans ce cas précis, les grandes chaînes européennes et les accessoiristes mettent en concurrence les fabricants et sous-traitants pour obtenir des produits au prix le plus bas possible, et le plus rapidement possible. La moindre information est donc vitale pour les fabricants et distributeurs, qui utilisent un réseau de sources chez les sous-traitants d'Apple… et la presse spécialisée.
Les premières rumeurs tangibles autour de l'iPhone 5 naissent avec un billet de Joshua Topolsky sur This is my next le 22 avril 2011. L'ancien rédacteur en chef d'Engadget est traditionnellement plutôt bien informé : il a été le premier à obtenir une photo d'iPad, d'iPhone 4, et à obtenir des informations sur le nouvel Apple TV. Son historique prouve cependant qu'il obtient des scoops plus sûrs chez les autres fabricants qu'Apple : on attend toujours l'iPad 2 à Retina Display qu'il avait annoncé. Il décrit, à partir de plusieurs sources, un iPhone plus fin, rappelant l'iPod touch, avec un écran plus grand, un bouton doublé d'une zone tactile, un profil en goutte d'eau.
Quelques semaines plus tard, le réputé Wall Street Journal embraye. Alors que le WSJ est traditionnellement renseigné directement par Apple, personne ou presque n'ose alors douter que l'iPhone 5 sera un « iPhone bien différent ». D'autant qu'entre-temps, les premières housses pour ce nouvel iPhone arrivent de Chine… et elles semblent confirmer ce design.
Les sources de ces fabricants et distributeurs ? Les plus gros, les mieux implantés, les mieux connectés, ont obtenu de leur réseau des plans. Ces plans, qui décrivent l'iPhone 5 sous toutes ses coutures, doivent servir de référence pour la conception des moules nécessaires à la fabrication des housses. C'est un employé d'un sous-traitant travaillant pour un accessoiriste américain travaillant avec Apple qui l'a vendu au plus offrant — sans préciser s'il avait obtenu le plan d'Apple, de son imagination, ou d'un travail sur les sources journalistiques américaines.
Les plus petits fabricants et distributeurs, ceux qui n'ont pas de réseau d'information, prennent en effet le risque de considérer que les grands sites et journaux occidentaux ont de bonnes informations, et travaillent directement avec ces rumeurs. Le risque, on le comprend, est non seulement qu'ils se trompent, mais que la presse spécialisée pense que les fabricants confirment la rumeur… alors qu'ils ne font que la suivre.
Ceci est valable aussi bien pour les petits que pour les grands fabricants et distributeurs, qui dénoncent tous un même problème, la communication d'Apple. Contrairement aux autres, la firme de Cupertino ne travaille pas en bonne intelligence avec ses partenaires. Elle n'envoie pas de prototypes ou de dessins aux fabricants d'accessoires (alors que d'autres le font) et elle ne met les opérateurs dans la confidence que si elle en a absolument besoin (on attend toujours l'iPad 1 avec webcam et l'iPhone plus fin d'octobre 2011 promis par Stéphane Richard, le PDG d'Orange). L'information étant la clef du succès pour arriver sur le marché avant les autres, les fabricants prennent le risque d'avoir tort… pour peut-être avoir raison.
Cette stratégie a souvent fonctionné : les plans de l'iPad 2 circulant pour ainsi dire librement, on avait pu voir très tôt des housses dévoilant le design plus fin que la génération précédente. Elle est risquée : les housses d'iPod touch 3G ont été réalisées avec des prototypes possédant une webcam. Au dernier moment, Apple a décidé de la retirer : quelques housses sont parties au pilon.
Une maquette d'iPad 2 présentée des semaines avant son annonce officielle
Tous ces risques sont calculés : la pression des chaînes de distribution occidentales est telle que les commandes sont prises très en amont, et doivent être respectées. Les sites web américains sont en général bien informés, certains sites web de Hong-Kong travaillent dans les mêmes usines qu'Apple, et les plus gros distributeurs et sous-traitants peuvent vérifier eux-mêmes l'information à coups de dollars pour obtenir plans et prototypes auprès des partenaires d'Apple — comme Foxconn, qui n'a jamais perdu un prototype, mais en a déjà vendu.
La mise de départ est de plus assez faible : un moule pour échantillons coûte quelques centaines de dollars pour la fabrication de quelques centaines de housses. C'est suffisant pour que de très petites structures fassent affaire avec une petite société en Europe sans grand risque financier : la commande est payée intégralement au départ de Chine, sans délai à 90 jours par exemple. Quelques auto-entrepreneurs français ont ainsi passé commande de quelques centaines à quelques milliers de housses pour un prix dérisoire… mais se retrouvent avec aujourd'hui quelques milliers d'euros de dette, et n'en se remettront peut-être pas.
Les plus gros peuvent se permettre un coup de poker un peu plus engageant, avec des moules acryliques valant quelques milliers de dollars, et une production selon la demande des partenaires européens. Si la rumeur se confirme, jackpot : des ajustements peuvent être faits à la deuxième tournée. C'est ainsi qu'on a vu beaucoup d'accessoires pour iPad 2 disponibles dès sa sortie, mais ceux-ci ne prenaient pas en compte le système de mise en veille automatique basé sur des aimants. Et pour cause : si tout le monde ou presque avait les plans, le système Smart Cover, lui, était le secret le mieux gardé.
Quelques semaines plus tard, le temps d'ajouter cet élément et de faire venir le cargo de Chine, tout le monde prenait miraculeusement en compte les aimants de l'iPad 2. Si la rumeur se révèle fausse, tant pis : les moins bien organisés, les plus joueurs, les plus fragiles, ceux-là sont en péril. Les autres peuvent espérer effacer leurs pertes avec leurs autres gammes : un distributeur implanté en Chine nous a parlé d'un quart de millions de dollars, un importateur allemand estime ses pertes à un demi-million d'euros.
Avec l'iPhone 5 on le sait, la rumeur s'est révélée fausse — ou du moins, fausse pour le moment. Comment expliquer ce plantage en règle ? Les informations de Topolsky et du WSJ pouvaient faire partie d'une fuite contrôlée, et toute la chaîne s'est reposée dessus : comme un château de cartes, tout s'effondre. Apple aurait ici joué sur les faiblesses du système pour préserver le secret sur ses produits, même s'il parait étonnant qu'elle mette ainsi en péril son écosystème de partenaires. Peut-être qu'au contraire, toutes ces informations étaient bien vraies, mais qu'on parle d'un produit qui n'en est qu'au stade du prototype, qui ne sortira pas avant 2012, voire jamais.
Des étuis pour le supposé iPhone 5
Tout cela, on ne le saura peut-être, donc, jamais. Ce que l'on sait, cependant, c'est que ce système est extrêmement fragile. Le scénario de l'iPhone 5 est un scénario catastrophe pour la pyramide branlante des fabricants chinois, qui naviguent souvent à vue. Faut-il les plaindre, face à Apple ? Sûrement pas : cet échec est d'abord le leur, et celui d'un système entre Chine et Europe-États-Unis qui considère que les accessoires pour un produit doivent être en rayon coûte que coûte le jour de la sortie du-dit produit, même si cela signifie mener une véritable guerre de l'information pour mener à bien cette tâche. Mais cette guerre n'aurait pas lieu si comme d'autres, Apple s'associait mieux avec certains partenaires triés sur le volet. L'économie de la rumeur ne parviendrait cependant pas à résister longtemps et reprendrait de plus belle, entraînant peut-être un plus grand nombre de fuites, indésirables pour Apple.
On le comprend bien, ce cercle est vicieux, toxique même. Mais Apple a besoin de cet écosystème, et a besoin de le garder dans l'ombre. Et cet écosystème ne peut pas se passer d'Apple, dont les produits sont une garantie de succès. C'est le côté obscur de l'économie de la rumeur…