La tenue d’une élection est une source de stress intense pour les employés municipaux. Il y a un nombre incroyable de détails à régler et tout doit être prêt pour le jour J. Lors d’un rendez-vous en mairie pour un document administratif, j’ai brièvement assisté à une réunion informelle de quatre agents qui cherchaient à faire en sorte que tout se passe pour le mieux. Intérieurement, je leur souhaitais bien du courage. C’était quelques jours avant la tenue des élections européennes.
À la suite de la dissolution de l’Assemblée nationale, ces mêmes personnes doivent sans doute être dans un état bien pire : les délais sont plus courts, c’est une élection à deux tours, le tout dans un moment de grand stress démocratique.
Cette surcharge de travail, les commissariats de police et les gendarmeries doivent également le sentir. En dix jours, plus d’un million de procurations ont été établies. L’application France Identité facilite la démarche, mais elle demande d’avoir la nouvelle carte d’identité et de se déplacer une fois en mairie pour faire certifier son identité numérique.
Élections : l'app France Identité s'occupe de la procuration de vote
Dans un tel contexte, la question du vote électronique revient fatalement à l’ordre du jour. En fait, cette solution existe déjà, mais uniquement pour les Français vivant à l’étranger, ce qui concerne tout de même 2,5 millions de personnes.
Bienvenue dans la démocratie 2.0
Expatrié en Allemagne, j’ai reçu un courriel du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères m’informant que j’aurai la possibilité de voter par internet entre le mardi 25 juin (12 h, heure de Paris) et le jeudi 27 juin (12 h) pour le premier tour des élections législatives. Les heures d’« ouverture » sont volontairement assez larges de manière à lisser le trafic et permettre aux expatriés du monde entier de voter quand ils le peuvent.
Le rendez-vous est donc pris. Je vote dans la 7e circonscription, une zone géographique relativement large qui comprend l’Albanie, l’Allemagne, l’Autriche, la Bosnie-Herzégovine, la Bulgarie, la Croatie, la Hongrie, le Kosovo, la Macédoine du Nord, le Monténégro, la Pologne, la Réplique tchèque, la Roumanie, la Serbie, la Slovaquie et la Slovénie.
En attendant le jour J, je reçois de temps à autre par email les professions de foi des neuf candidats qui se présentent. Tout cela semble bien encadré. J’ai dû recevoir au total une quinzaine de mails, précisant à chaque fois que mon adresse email provenait de la liste électorale consulaire 2024 avec la possibilité de ne plus être sollicité si je le désirais.
Comment se déroule le vote ?
Le processus de vote est étonnement simple, je m’attendais à quelque chose de plus contraignant. Le 20 juin, j’ai tout d’abord reçu un SMS contenant un mot de passe. Honnêtement, je me suis posé des questions sur l’authenticité de ce message. Mais quelques heures plus tard, mes doutes se sont dissipés lorsque j’ai reçu le courriel ci-dessous de France Diplomatie. Le message en question contenait cette fois mon identifiant de connexion.
Le 25 juin, premier jour d’ouverture du portail, il y a apparemment eu des embouteillages et des dysfonctionnements. 250 000 personnes ont voté en ligne durant les 24 premières heures. Je me suis connecté en début d’après-midi sans encombre pour ma part. Une fois passée la page des professions de foi, il suffit de s’identifier avec les informations reçues.
Il est à noter que le site semble marcher sur tous les navigateurs. Je m’y suis connecté avec Safari et Firefox sans problème. Il ne reste plus qu’à choisir son candidat ou sa candidate ou bien de voter blanc.
Ensuite, c’est comme dans l’isoloir. Il est encore possible de changer d’avis pendant un instant. Avant de procéder à l’enregistrement du vote, le système vous demande de confirmer votre choix.
Afin d’enregistrer votre vote, le système vous envoie un code de validation par email. J’ignore si cela est voulu, mais il m’a fallu attendre deux minutes avant de le recevoir. Il faut reconnaitre également qu’iCloud, mon prestataire de mail, est parfois lent.
Une fois que vous avez appuyé sur le bouton Voter, il n’est bien entendu plus possible de revenir en arrière. Le système vous donne la référence de votre bulletin dans l’urne et la possibilité de télécharger votre récépissé.
Voici à quoi ressemble la preuve de dépôt de bulletin. Outre la référence de bulletin, il contient un cachet électronique qui permet de vérifier que la preuve de vote a bien été produite par le système de vote homologué. À la fin du vote, cet identifiant permettra de m’assurer le cas échéant que mon vote a bien été pris en compte.
Que retenir de cette expérience ?
À titre personnel, je garde une bonne expérience de ce vote électronique, même s’il est un peu étrange de voter alors que la campagne bat encore son plein. Il faut à peine cinq minutes pour accomplir son devoir de citoyen. Cela m’a toutefois pris plus de temps au total, car j’ai tenu à (re)lire les différentes professions de foi.
Quoi qu’il en soit, dans le cas d’un expatrié, c’est un gain de temps important. Il m’aurait fallu sinon un peu plus d’une heure pour me rendre au lycée français de Hambourg pour voter — le vote en ligne n’est pas imposé en effet, des bureaux de vote sont ouverts partout dans le monde. Enfin, une heure de transport n’est pas si pire à vrai dire, il doit y avoir des personnes à plusieurs centaines de kilomètres d’un bureau. D’où l’option du vote en ligne.
En France, les premiers tests de vote électroniques remontent aux années 2000. Si c’est incontestablement pratique, ce type de vote suscite des méfiances, tant auprès des politiques que des citoyens.
Certains arguments sont plus recevables que d’autres. La question de la sécurité et de la fiabilité est souvent mise sur le tapis à tort ou à raison, mais on ne peut pas nier que certaines puissances étrangères tentent d’une manière ou d’une autre d’influencer sur les résultats électoraux des démocraties. C’est potentiellement un axe d’attaque supplémentaire.
Il y a également un souci de transparence. Lors d’une élection traditionnelle, tout un chacun peut se rendre dans un bureau de vote ou en préfecture pour s’assurer du bon déroulement de l’élection. L’informatisation de tout cela rend le contrôle beaucoup moins évident.
Enfin, il y a le caractère solennel, voire quasi sacré du vote qui est régulièrement évoqué. Ce à quoi on serait tenté de répondre que personne ne s’émeut vraiment de déclarer ses impôts en ligne et de ne plus avoir à déposer sa déclaration avant le jour fatidique au centre d’impôts du coin…
Le vote en ligne pourrait présenter des avantages. Les gouvernements pourraient consulter plus fréquemment leur population sur des questions précises. Quand on voit les difficultés que connaissent bon nombre de démocraties occidentales, c’est sans doute un argument à explorer…
À défaut de vote par internet, il y a un autre type de vote qui n’a pas la cote en France, c’est le vote par correspondance. Ce mode de vote est réservé une fois encore aux Français de l’étranger sous conditions. Pourtant, il s’agit d’un mode de vote très pratique là encore, j’ai pu l’expérimenter en Allemagne à l’occasion des élections européennes.
Le mode opératoire est enfantin. Vous glissez votre bulletin de vote dans une enveloppe que vous glissez dans une plus grosse enveloppe dans laquelle vous signez un papier indiquant votre souhait de voter par correspondance. Il ne reste plus qu’à poster le tout. Le système français est plus pointilleux, il faut également inclure une copie de sa carte d’identité. Mais ce système connait outre-Rhin une popularité importante. Aux élections législatives de 2017, 28,6 % des électeurs n’ont pas déposé leur bulletin dans une urne, mais dans une boite aux lettres.