La Hadopi, l'organisme qui surveille les internautes coupables de laisser leur ligne internet permettre le téléchargement de contenus culturels est bien sûr la bête noire des pirates adeptes du P2P. L'histoire de la Haute Autorité est émaillée de controverses et ce, depuis sa création en 2009. La dernière en date fait des étincelles : le Conseil constitutionnel, saisi par plusieurs organisations de défense des internautes (La Quadrature du Net, FDN, FFDN et Franciliens.net), a censuré des dispositions qui permettent à la Hadopi d'accéder à des documents sur les internautes. Ce n'est pas le grand soir tant attendu par les opposants à l'Autorité, à peine une demi-victoire : de toute évidence, la Hadopi va poursuivre ses missions.
La « réponse graduée » est le principal dispositif de prévention de l'autorité. Les titulaires des droits d'auteur ou voisin peuvent saisir la Hadopi lorsqu'ils constatent une infraction. Celle-ci peut alors avertir l'internaute sans frais, à trois reprises, pour le mettre en demeure de sécuriser sa ligne (ce n'est pas le piratage en tant que tel qui est sanctionné). Si cela ne suffit pas, le dossier est transmis à la justice par le biais de la commission de protection des droits. Le dernier rapport d'activité qui concerne l'année 2018 indique que près de 60 000 saisines des ayants droit ont été traitées en moyenne chaque jour ouvré, ce qui avait abouti à la transmission de 1 045 dossiers à l'autorité judiciaire.
Le Conseil constitutionnel répondait à une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) transmise le 12 février par les associations. Les Sages ont estimé que deux alinéas de l'article L.331-21 du code de la propriété intellectuelle étaient contraires à la Constitution. Ils permettent à l'autorité administrative d'obtenir « tous les documents quel qu'en soit le support, y compris les données conservées et traitées par les opérateurs de communications électroniques » : « notamment » l'identité, l'adresse postale, l'adresse électronique et les coordonnées téléphoniques de l'abonné fautif. Le terme « notamment » a aussi été censuré par le Conseil constitutionnel.
Les Sages reprochent au législateur de n'avoir pas limité le champ d'exercice du droit de communication ; le législateur n'a pas non plus garanti que les documents qui en faisaient l'objet présentaient un lien direct avec le manquement à l'obligation énoncée à l'article L.336-3 du code de la propriété intellectuelle. Cet article justifie la procédure mise en œuvre par la commission de protection des droits.
Par ailleurs, ce droit de communication peut aussi s'exercer sur toutes les données de connexion détenues par les FAI. Mais voilà : compte tenu de leur nature et des traitements dont elles peuvent faire l'objet, ces données fournissent sur les internautes mis en cause des informations « nombreuses et précises, particulièrement attentatoires à leur vie privée ». Sans oublier que ces données ne présentent pas nécessairement toutes de lien direct avec le manquement à l'obligation de l'article L.336.3.
Il revient donc au législateur de « fixer les règles » touchant aux garanties fondamentales des citoyens pour l'exercice des libertés publiques. Il doit également « assurer la conciliation entre l'objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de la propriété intellectuelle et l'exercice des droits et des libertés constitutionnellement garantis ». Le Conseil constitutionnel fixe l'abrogation de ces dispositions au 31 décembre 2020, ce qui laisse largement le temps au gouvernement de revoir sa copie : « l'abrogation immédiate de ces dispositions étant susceptible d'entraîner des conséquences manifestement excessives ».
Juste après le jugement du Conseil constitutionnel, La Quadrature du Net s'est trop rapidement enthousiasmé, croyant tenir la grande victoire. « Nous présentons nos excuses pour cette fausse joie, il y a bien une censure de morceaux du dispositif, mais nous avons encore certains doutes parmi nous sur l’enchevêtrement de différents éléments du dispositif et allons avoir besoin d’un temps de recul pour fournir une analyse finale de cette décision ».