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Scott Forstall : les développeurs superstars chez Apple s'intéressaient à la philosophie, à la littérature

Florian Innocente

mercredi 16 janvier 2019 à 20:30 • 63

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Des anecdotes sur Apple et des réflexions sur la manière de conduire ses études supérieures ou d'embaucher ses collaborateurs, Scott Forstall a embrassé plusieurs sujets dans le cadre d'un débat intitulé "Creative Life". Il s'est tenu en octobre dernier mais sa vidéo n'a été mise en ligne que ces tout derniers jours.

Le thème de cette discussion, où l'ancien responsable iOS d'Apple était entouré de deux enseignants et où il a répondu à des questions de lycéens et d'étudiants, tournait autour de la créativité. Comment la nourrir, la développer et l'encourager tout au long d'un parcours professionnel.

Cela fait plus de six ans que Scott Forstall a été poussé vers la porte d'Apple. Après le lancement raté de Plans et au vu d'une situation apparemment tendue avec les autres lieutenants de Tim Cook. Dans sa nouvelle vie, Forstall est devenu un producteur de pièces de théâtre, récompensé en 2015 pour une comédie musicale.

« Je savais que j'adorais le théâtre mais je ne savais pas si j'avais une quelconque chance de réussir dans ce milieu, ce fut une énorme prise de risques » dit-il, lorsque la discussion arrive sur la question de se mettre en danger.

Est-ce que la créativité est la conséquence d'avoir connu une succession d'échecs ?, lui demande Ken Taylor, l'un des deux animateurs et professeur de Philosophie, ou est-elle le fruit d'une forte compétence dans un domaine, une facilité dont on a conscience lorsqu'on se lance, mais alors dans ce cas la prise de risque est minimale.

« Faire preuve de créativité ne nécessite pas d'avoir connu des échecs » répond Forstall, « mais elle implique d'envisager la possibilité d'un échec. Il faut être psychologiquement prêt à l'accepter. »

Il l'a illustré par un exemple qui fait partie de la grande histoire d'Apple. L'iPod mini fut abandonné alors même que ses ventes étaient au zénith et qu'elles ne montraient pas de signes d'essoufflement :

Une fois, chez Apple, nous étions au bord de la faillite, nous arrivons avec l'iPod et l'iPod marche bien, nous avions le produit le plus vendu en termes de volumes dans l'histoire de la société. Ensuite, nous sortons l'iPod nano. Nous savions que nous allions le lancer et nous avons abandonné la gamme iPod mini avant même d’avoir commercialisé le nouveau produit, ce qui aurait pu dévaster l'entreprise. Mais nous l'avons fait parce que nous y croyions et que nous prenions des risques.

Sur la manière de créer un environnement où les idées nouvelles peuvent s'épanouir, il donne un autre exemple pratiqué chez Apple — du moins à son époque — et qui fait écho à une politique interne qu'avait aussi Google : consacrer une part de son temps de travail à des travaux personnels.

Pour les développeurs de macOS, le mois qui suivait la sortie d'une version majeure pouvait être employé entièrement à des recherches personnelles : « Durant tout un mois. C'était quelque chose de dingue parce qu'on parle de milliers de personnes pendant un mois, de millions de dollars en salaires et les gens pouvaient faire ce qu'ils voulaient. Et ils travaillaient dur pour revenir avec des idées incroyables. » Les projets les plus prometteurs étaient ensuite présentés à la direction (la fonction "Exposé" dans Panther, transformée plus tard en "Mission Control", est née ainsi, ndlr).

L'Apple TV a été inventé parce que quelqu'un a été encouragé pendant un mois à travailler sur ce qu'il voulait, et il a conçu une interface utilisable à 3 mètres.

Il est important de constamment remettre en question les choses, dit-il plus loin, pour s'affranchir des conventions et les dépasser. Il donne une autre approche de la chose en s'appuyant sur le cas des très jeunes enfants qui n'ont pas la notion de ce qu'ils ignorent, ce qui les conduit à proposer des idées originales.

De cet état d'esprit en a découlé la manière dont son équipe a imaginé Messages sur le premier iPhoneOS :

Le tout premier SMS que j'ai jamais envoyé, c'était sur un prototype d'iPhone. Sur les téléphones c'était tellement mal fichu pour envoyer un message que je n'avais jamais essayé de comprendre comment ça fonctionnait. Lorsqu'on a travaillé sur la manière d'envoyer des SMS sur l'iPhone, on l'a fait avec une forme d'ignorance, en se demandant simplement quelle serait la meilleure façon de procéder, en s'affranchissant de l'existant.

Une bonne part des échanges dans la seconde partie du débat a porté sur l'importance pour les étudiants de ne pas s'enfermer trop vite dans une discipline, à garder l'esprit ouvert à différents domaines de connaissances. C'est d'autant plus important que la génération qui vient « connaitra plusieurs carrières professionnelles tout au long de la vie » souligne Forstall.

Cette discussion se déroulant dans le cadre d'un rendez-vous baptisé "Philosophy Talk" il fut souvent question des humanités ou de l'art qui ne doivent pas être mis de côté dans le bagage que l'on se constitue pendant ses études. Là encore, Forstall témoigne de son vécu chez Apple :

Les superstars dans les équipes qui ont créé l'iPhone, OS X ou l'iPad étaient celles qui avaient des connaissances très larges, qui avaient étudié la littérature, la philosophie, la psychologie… des disciplines qui ont rendu ces personnes exceptionnelles. Même pour fabriquer un produit technologique et même en dehors du cadre de la technologie il y a des domaines qui requièrent cet éventail de connaissances.

Et puis il faut embaucher les gens en pensant à ce qu'ils offriront plus tard, et non sur le court terme ou pas uniquement en s'assurant qu'ils remplissent tels ou tels critères correspondant à leur spécialité :

Vous ne devriez jamais embaucher quelqu'un pour ce qu'il va être capable de faire le premier jour de son entrée dans l'entreprise, ou la première semaine ou durant son premier mois. Vous devez l'embaucher pour ce qu'il va être capable de réaliser d'ici un an, trois ans et cinq ans. Et lorsque vous procédez ainsi, vous vous rendez compte qu'une spécialisation dans un domaine n'a presque aucune pertinence, il pourra apprendre une spécialité au moment adéquat.

Si vous recrutez la personne qui s'y connaît parfaitement dans son domaine mais qu'il s'avère qu'elle n'est pas très bonne pour travailler en équipe, ou pour amener de nouvelles idées, ou pour créer de nouvelles fonctions, alors vous avez commis une erreur. Vous devrez réembaucher constamment ou le faire dans l'urgence parce que vous avez une deadline qui approche. Ça veut dire que vous vous êtes trompé un an plus tôt, et vous n'allez rien régler en embauchant quelqu'un aujourd'hui.

Il faut s'ouvrir à plusieurs disciplines, insiste à nouveau Forstall. Ça n'empêche pas d'en creuser une en particulier mais il est bon de ne pas se spécialiser trop tôt et de prendre le risque de se fermer à un horizon plus large.

Lorsque vient la fin du débat, l'un des modérateurs, Josh Landy, a donné l'occasion à Forstall de s'exprimer sur la place prise par les smartphones, et en l'occurence l'iPhone, dans notre quotidien. Pour ce professeur de français et de littérature, l'usage constant de ces téléphones vient empiéter sur ces instants de liberté pour notre esprit, où celui-ci devient le creuset d'une idée spontanée, ou d'une illumination : « Aimez votre iPhone mais éteignez-le de temps en temps » supplie Josh Landy.

Un conseil auquel Scott Forstall, l'un des pères de l'iPhone, souscrit entièrement, comme d'autres qui ont contribué à la genèse de ce produit (lire Tony Fadell met en garde contre l'addiction aux smartphones)

Cet envahissement de notre quotidien par les smartphones est la chose que Forstall « regrette le plus dans cette invention ». Chez les Forstall il n'y a pas de place pour un téléphone pendant les repas, même écran posé face contre table : « Je ne veux même pas le voir physiquement, parce que nous discutons pendant que nous mangeons ».

Il n'aime pas non plus voir les gens tapoter sur leur téléphone au restaurant, ou être à table avec leur oreillette Bluetooth, et il regrette de voir tous ces individus dans la rue rivés sur leurs écrans, au lieu de regarder autour d'eux et de discuter :

Je pense que l'iPhone est un outil. Cependant, je vois aussi que cela a permis aux gens d'établir des relations sociales. Mais ça crée également ces espaces d'isolement qui détruisent beaucoup de choses. Et c'est beaucoup plus inquiétant, mais je pense que vous pouvez créer quelque chose et qu'il y aura de bonnes et de mauvaises utilisations. Nous devons nous sentir moralement responsables pour que nos produits soient créés et utilisés de manière éthique.

  • Le débat dure 1h40, il débute avec une ancienne vidéo de Steve Jobs et Forstall est accueilli au bout du premier quart d'heure.

Source : Via 9to5mac

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