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Spot, Kin, Courier… ces bonnes idées gâchées par Microsoft

Florian Innocente

dimanche 13 mai 2018 à 10:30 • 112

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Microsoft a essuyé plusieurs échecs ces dernières années dans le domaine matériel et pourtant, l'entreprise n'avait pas tout faux dans la réflexion qui prévalait au développement de ses téléphones, tablettes ou montres.

Jon Friedman, « General Manager, design, research, & product incubation » chez Microsoft, a profité de la conférence des développeurs du groupe pour revenir sur certains d'entre eux. Un exercice d'autoflagellation comme on n'en voit pas souvent ailleurs.

Les montres avec le système de communication SPOT.

En tant que designer industriel ou responsable d'équipes il a été en première ligne de quelques-uns de ces loupés. Il travaille aujourd'hui dans le groupe Office et Skype.

SPOT

Arrivé comme stagiaire, il était plus disposé à aller travailler plus tard chez Apple mais il est resté chez Microsoft à un moment où était développé SPOT (pour Smart Personal Objects Technology) qui se servait de la bande FM pour expédier des informations vers des objets connectés à la maison ou des montres (pas de 3G ou de Wi-Fi partout à l'époque). Chose devenue naturelle aujourd'hui et plus encore avec l'Apple Watch et toutes ses concurrentes.

Tout ce truc autour des montres intelligentes… nous étions en avance sur notre époque. Mais il n'y avait pas vraiment de téléphones Bluetooth, les smartphones n'avaient pas encore décollé. C'était bien, c'était plutôt cool, ce fut une bonne expérience et on a beaucoup appris, je pense qu'on a laissé tomber trop tôt. Ça faisait partie des projets à part, Bill Gates l'aimait beaucoup, il était très intéressé pour avoir un ordinateur sur chaque poignet. C'est exactement comme ça qu'il en parlait et en définitive ça s'est réalisé aujourd'hui.

UMPC

Il y a une douzaine d'années, bien avant l'iPhone et l'iPad, Jon Friedman a rejoint une équipe qui voulait améliorer la mobilité pour les appareils informatiques. Cette initiative qui fut consacrée par quelques lancements commerciaux était baptisée UMPC (Ultra Mobile PC).

C'était une idée géniale, des appareils de 7" à 10", super fins, qui s'allumaient d'un coup, toujours connectés, avec des écrans tactiles capacitifs, pour 400 $. Ça sonnait comme une super idée.

L'équipe était emballée par ce concept et a voulu convaincre la direction de Microsoft de lui accorder les ressources ainsi que le temps nécessaires pour le mener à bien : « On pense que c'est la prochaine vague informatique, c'est très important, on a besoin de, mettons, 300 personnes pendant 2 ans. »

La réponse fut : « C'est génial, c'est super, on vous donne 20 personnes pendant 6 mois. Le lancement de Windows Vista approche… foncez ». Le projet séduisant de départ s'est transformé en un « gros appareil, avec un écran résistif, avec 2 heures de batterie, vendu 1 200 $ » et une compatibilité aux forceps avec Vista.

Friedman avoue avoir développé des applications « vraiment mauvaises » qui pouvaient fonctionner en tactile par dessus Windows Vista « et c'était tout […] c'était un peu déprimant ».

Kin

Il a alors rebondi dans une équipe du groupe Xbox qui cogitait sur des projets où seraient mêlés matériel, logiciel et services. Ce fut le Kin, un « téléphone social » qui fut lancé (en deux versions) sur un marché où l'iPhone, arrivé trois ans plus tôt, et Android, avaient déjà bien commencé leur travail de sape :

Il a été commercialisé sur un total de six semaines, ma mère en a acheté un et je m'en mords les doigts, je crois qu'on a dû en vendre quelque chose comme 8 000 en tout.

C'était pourtant un appareil construit sur des idées qui se révèleront pertinentes plus tard : « C'était le début de l'informatique dans le nuage, l'idée que la 'vérité est dans le cloud', que si vous cassiez votre téléphone ou qu'il tombait dans les toilettes, il suffisait de s'identifier sur son compte [et repartir sur un autre téléphone, ndlr] ».

Les deux Kin lancés et abandonnés en 2010

Le malheur pour le couple Kin fut d'être mis en vente à un moment où Windows Phone était réorienté pour affronter la concurrence d'Apple et de Google. La stratégie pour ces deux appareils n'était pas claire, Microsoft avait Windows Phone d'un coté et il lançait de l'autre côté les Kin, avec un système dérivé mais différent. « Arrivé à un moment, il était plus sensé d'avancer avec une seule plateforme », celle de Windows Phone 7, pour attirer les développeurs. « On s'était mal coordonnés et il fallait recentrer les efforts de l'entreprise sur sa stratégie mobile ».

Courier

Un autre projet auquel il collabora fut aussi passé à la trappe avant même le baptême du feu d'un lancement commercial. C'est une fuite auprès de Gizmodo, en 2009, qui en révéla les détails. La tablette Courier, fonctionnant avec deux écrans qui se repliaient comme un livre et un stylet.

Courier

L'idée derrière Courier était de rapprocher « l'univers analogique de l'univers numérique », Microsoft avait estimé que 40 millions de personnes, rien qu'aux États-Unis, appartenaient à la catégorie assez large des « créatifs ». Ils pouvaient être des artistes, des concepteurs de produits, il y avait aussi des chercheurs, des étalagistes, des enseignants. Toutes sortes d'individus qui ont besoin de coucher par écrit leurs réflexions avec des outils analogiques puis de les mettre ensuite au propre pour les partager avec d'autres personnes.

Courier, de par son format de gros carnet et son stylet, traduisait cette idée d'une réunion de deux mondes en un seul outil. Pourquoi l'abandonner ? Parce qu'il n'y avait aucune stratégie claire pour soutenir ce produit :

C'est encore un projet parallèle avec lequel on jouait, le genre de choses pour lesquelles il n'y a pas de scénario pour les développeurs, pas de scénario pour la plateforme. L'histoire imaginée pour les utilisateurs était incroyable mais entre Windows 8 et Courier, nous n'avons pas su réunir les deux.

Lorsque Steve Ballmer vint voir l'équipe pour expliquer que Courier allait être abandonné, il y a eu comme une onde de choc dans les rangs : « Ça a décimé toute une culture et on a perdu pas mal de personnes de talents à ce moment-là » (à l'automne dernier, une rumeur affirmait que Microsoft travaillait de nouveau sur un produit inspiré de Courier). Ce dont il se désole encore plus loin : « Chaque fois que l'on supprime un produit on supprime la culture qui l'entoure ».

Pour ajouter de la peine à la peine, le projet Courier fut stoppé en même temps que les Kin… Reste que si les concepts du Courier ont fait de belles vidéos, rien ne dit qu'il aurait rencontré le succès sous cette forme. Personne n'a lancé de tablette à deux écrans attachés, il y a peut être une bonne raison à cela.

.

Après ces coups durs pour la motivation, Jon Friedman se décrit à cette époque comme un Jeff Bridges dans The Big Lebowski, du genre à errer en peignoir et pantoufles, trainant sa misère tout en réfléchissant à comment rebondir.

Il travaille désormais au sein de l'équipe Office, incluant Skype. Des produits qui n'ont pas connu les destins tragiques de ceux mentionnés plus tôt. Dans la seconde partie de son exposé il cite l'exemple d'une refonte d'Exchange ou de la fabrication de l'actuelle version d'Outlook pour mobiles, bâti sur deux logiciels achetés — Accompli et Sunrise — et dont la culture des équipes a été maintenue (Microsoft a aussi accéléré ses efforts dans les apps iOS et Android en achetant Wunderlist).

Ce sont des logiciels qui ne marquent pas de ruptures aussi franches que celles qui ont failli voir le jour chez Microsoft ou qui ont échoué, mais ils sont utilisés quotidiennement par des millions de clients à travers le monde. Autrement dit, on peut réussir quelque chose sans faire partie de la minuscule minorité qui a eu la chance incroyable d'élaborer des produits révolutionnaires.

On voit aussi à travers ces exemples que la priorité absolue donnée à Windows a pu distraire ou rendre aveugle Microsoft sur le potentiel de certains projets qui incubaient dans ses labos. Il ne faut pas non plus sous-estimer la vista de certains dirigeants plutôt que d'autres, mais peut-être aussi que Google et Apple ont su naviguer entre ces écueils, l'un parce qu'il n'avait pas la charge de l'histoire pour le freiner dans sa course, l'autre parce qu'elle était passée si près du gouffre que plus grand-chose ne pouvait lui faire peur.

Source : Crédit image de Une : TechRepublic

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