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L'amitié difficile entre John Carmack, le créateur de Doom, et Steve Jobs

Mickaël Bazoge

lundi 14 mai 2018 à 21:11 • 30

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John Carmack, créateur légendaire de Doom, co-fondateur du studio iD Software et désormais un des plus importants promoteurs de la réalité virtuelle chez Oculus, entretenait des relations pour le moins tumultueuses avec Steve Jobs. Dans un billet sur Facebook, il relate quelques anecdotes connues et moins connues sur le fondateur d'Apple, à commencer… par son fichu caractère.

Quand iD Software a commencé à gagner de l'argent (avec les jeux Commander Keen et Wolfenstein 3D), le premier achat personnel que s'est offert John Carmack n'a pas été une voiture, mais une station de travail NeXT. Un gros cadeau qui a poussé tout le studio à développer ses logiciels sur les ordinateurs du constructeur.

« Nous adorions nos machines NeXT, et nous voulions que pendant le chargement de Doom, il y ait un logo explicite "Développé sur des ordinateurs NeXT". Mais quand nous avons demandé, la demande a été rejetée », explique-t-il. Alors que le jeu commençait à connaitre le succès que l'on connait, Steve Jobs a changé d'avis et « il aurait été heureux d'apposer la marque NeXT [sur ce phénomène culturel] ». Mais c'était trop tard…

Cette occasion manquée marquait le peu d'appétit du fondateur d'Apple pour le jeu vidéo, estime Carmack. Jobs « a toujours espéré [que le jeu] ne devienne pas aussi important sur ses plateformes. Je ne l'ai jamais pris personnellement », assure-t-il aussi.

Après l'acquisition de NeXT par Apple (à moins que ce ne soit l'inverse), John Carmack a été invité à parler avec le constructeur sur les besoins des développeurs de jeux vidéo. Il est celui qui a poussé Apple à adopter OpenGL comme API graphique. Mais visiblement, cela a été très dur de convaincre Steve Jobs.

En 2007, durant la WWDC. Photo : Jonathan Snyder pour Wired.

La méthode de Jobs était assez perverse, du moins avec Carmack : le premier passait son temps à tourner en dérision les options disponibles, le second devait le persuader qu'il avait tort. Ces solutions contemporaines pouvaient être « pragmatiques », mais elles ne pouvaient être bonnes dans l'esprit de Jobs : « J'ai Pixar », rétorquait Jobs. « Nous pouvons faire quelque chose [une API] qui soit bon ».

C'était souvent frustrant, parce qu'il pouvait parler, en totale confiance, de choses sur lesquelles il avait complètement tort, comme le prix de la mémoire pour les cartes vidéo et la bande passante exploitable par les extensions AltiVec [Velocity Engine chez Apple]. Mais quand je savais de quoi je parlais, je pouvais tenir jusqu'au bout contre n'importe qui.

Et quand une décision était prise par Steve Jobs, il était résolu : « des ordres étaient donnés, des entreprises acquises, des keynotes programmés, et le champ de distorsion de la réalité se déclenchait ». Et toutes les précédentes idées ne valaient plus tripette.

Avec le recul, le support d'OpenGL par Apple a, selon John Carmack, permis au constructeur de préparer le terrain aux appareils mobiles. « C'était tellement mieux que ce que nous aurions eu si la moitié des constructeurs de systèmes-sur-puce avaient créé leurs propres API, au tout début de l'âge de la mobilité ».

Keynotes héroïques

Les keynotes étaient des moments particulièrement stressants, sur scène bien sûr, mais aussi pendant leur préparation. Pas suffisamment de temps de préparation, des efforts « héroïques » de la part de plein de gens pour que les choses se mettent en place… « J'ai tendance à croire que c'était calculé et que cela faisait partie de la méthode [de Jobs] ».

Une anecdote décrit bien la manière dont Steve Jobs pouvait pressurer les personnes qui travaillaient avec lui. Un jour, se remémore John Carmack, Jobs lui demande de présenter quelque chose durant le keynote de la MacWorld prévue le 5 janvier 2000. Seul problème : l'événement se déroule peu après le mariage du créateur de Doom…

« Dans un grand sourire et très charmeur » (la fiancée de Carmack était présente à cette réunion…), « [Steve] propose de reporter le mariage ». Refus net des deux tourtereaux bien sûr, mais Jobs continue de réclamer la présence de Carmack durant ce keynote.

C'est alors que la fiancée de John, qui travaillait alors pour une société média, met une proposition sur la table : s'il tenait si fort à « son » John, Jobs devait alors accepter de « prêter » John Lasseter — le grand gourou à la tête de Pixar — à son entreprise pour une journée de consulting. « Steve est passé du mode charmeur au glaçon très rapidement », écrit Carmack, qui n'a finalement « pas fait ce keynote ». 

Il arrivait parfois que Steve Jobs lâche la bride. Alors qu'il devait présenter Doom 3 durant un keynote au Japon — c'était sans doute en 2001 —, John Carmack se fait dire par des cadres d'Apple qu'il devait modifier sa démo car « Steve n'aime pas le sang ». Difficile d'éviter l'hémoglobine pour un tel jeu !

Au fil d'une conversation par mail avec Steve Jobs et les principaux concernés, Carmack obtient le blanc-seing : « Je te fais confiance, John. Fais ce que tu penses être génial ». Personne n'a plus rien dit ensuite.

La brouille des web apps

Le lancement de l'iPhone a refroidi sérieusement les relations entre les deux hommes. John Carmack s'était lancé dans le développement de jeux mobiles avec l'aide de sa femme. À chaque fois qu'il en avait l'occasion, il répétait à Jobs combien ce serait super qu'Apple ait son propre téléphone.

Carmack n'a jamais été mis dans la boucle de développement de l'iPhone. Lorsque le constructeur a dévoilé l'appareil, il était enthousiaste : « Un écran couleur géant (pour l'époque) avec un GPU ! Nous allions pouvoir réaliser des choses fantastiques avec tout ça ! ». La douche froide a donc été d'autant plus glaciale.

Durant la WWDC 2007, Steve Jobs a parlé du développement tiers sur l'iPhone. John était au premier rang — il allait présenter le nouveau moteur de rendu ID Tech 5 pour Mac durant cette conférence —, et quand il a entendu les mots « web apps » sortir de la bouche du patron d'Apple, Carmack a pensé très fort « boooh ».

Après le keynote, John a commencé à dire à Steve en quoi les web apps n'étaient pas un bon choix et qu'elles ne permettaient pas de montrer le vrai potentiel de l'iPhone. « Nous pouvions faire tellement plus de choses avec de vraies applications natives », expliquait-il. Ce à quoi Jobs a répliqué : « De mauvaises applications peuvent endommager des tours d'antennes téléphoniques ».

Sur les dents, Carmack a pris à témoin un ingénieur d'Apple et il lui a demandé si les digues isolant matériel et le logiciel étaient suffisamment solides. L'ingénieur, qu'on imagine dans ses petits souliers, a d'abord tenté de noyer le poisson avant de confirmer que c'était bien le cas.

« J'ai alors dit qu'OS X était certainement utilisé à des choses qui nécessitaient plus de sécurité qu'un téléphone, et que si Apple n'était pas en mesure de fournir suffisamment de sécurité [avec l'iPhone], alors ils avaient de sérieux problèmes ». Piqué au vif, Steve Jobs a alors répliqué : « Tu es un gars intelligent, John, alors pourquoi est-ce que tu ne développes pas ton propre système d'exploitation ? ».

« Va te faire foutre, Steve », pensa alors Carmack. Les relations entre les deux hommes se sont alors distendues, même si John a obtenu par la suite la confidence d'un cadre dirigeant d'Apple selon laquelle « Steve [appréciait] les conversations vigoureuses ».

Le « grand huit de Steve Jobs », qui passe du niveau « héros » à celui de « tête de con », existait donc et après avoir voyagé tout en haut pendant longtemps, John Carmack était désormais tout en bas. Jobs, un rien revanchard, aurait même interdit à quiconque de donner à Carmack un accès préliminaire au SDK de l'iPhone…

En 2010, John Carmack lançait sur iPhone RAGE, adaptation mobile du FPS du même nom (le deuxième épisode vient d'ailleurs d'être annoncé). Un jeu de tir sur rail qui valait d'abord pour ses somptueux graphismes. Carmack savait que son titre avait été bien accueilli à Cupertino.

Peu après le lancement du jeu mobile, pendant un débriefing avec son équipe, Carmack décline un coup de fil. Quelques minutes plus tard, on lui apprend que c'était Steve Jobs. Ils n'ont jamais repris contact par la suite, même si pendant les périodes où Jobs était malade, John Carmack a voulu lui donner des nouvelles : « J'ai commencé à écrire des e-mails pour essayer de dire quelque chose de profond et de positif, mais je n'y suis jamais arrivé, et je le regrette ».

John Carmack convient que le bonhomme Jobs était difficile à vivre. Mais le fondateur d'Apple a aussi contribué à faire de lui ce qu'il est devenu.

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