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Chroniques numériques de Chine : voyage en terres numériques

Mathieu Fouquet

dimanche 06 mai 2018 à 12:00 • 30

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La deuxième saison des Chroniques numériques de Chine se poursuit. Entre anecdotes personnelles et analyses de faits de société, Mathieu Fouquet continue son exploration des pratiques technologiques chinoises décidément bien étrangères.

Le 1er mai, fête internationale, est l’un de ces rares moments qui rapproche la France et la Chine. Dans les grandes lignes, du moins : si la télévision chinoise ne diffusera pas de sitôt des images de manifestations syndicales dans les rues de Beijing, la première semaine de mai est ici aussi une précieuse source de congés pour tous les travailleurs et les étudiants du pays.

Précieuse, car — et c’est un euphémisme — les congés chinois sont rares (la France n’est-elle pas le plus beau pays du monde, en fin de compte ?). Pire, ce sont généralement les mêmes partout et pour tout le monde. Le résultat est pour le moins prévisible : toute la population voyage au même moment, générant par là même d’impensables embouteillages humains.

Une rue touristique de Chengdu peuplée de « quelques » visiteurs durant les vacances d’octobre (à l’occasion de la fête nationale). Vous souhaitez visiter la Chine ? Vérifiez soigneusement le calendrier.

Dans leur malheur, les Chinois ont toutefois de la chance : leur pays possède en effet des infrastructures à faire pleurer de honte les États-Unis, dont le joyau est sans aucun doute un réseau de lignes ferroviaires à grande vitesse long de 25 000 km, soit environ deux tiers du réseau mondial.

Une autre illustration de l’explosion des infrastructures chinoises : le développement des lignes de métro de 1990 à 2020. Image Peter Dovak.

Ce réseau, dont les lignes les plus anciennes remontent tout juste à 2007, continue par ailleurs à se développer de manière fulgurante — il devrait à terme être long de 45 000 km. Cette situation étourdissante est aussi occasionnellement comique : il m’est arrivé plusieurs fois, alors que je revérifiais un itinéraire pourtant familier, de découvrir qu’une nouvelle ligne de train ou de métro était mystérieusement apparue comme dans la nuit.

Alors qu’il me fallait auparavant environ treize heures de « TGV » pour effectuer le trajet de Mianyang à Changzhou (des villes moyennes séparées de 1500 km à vol d’oiseau que, pour des raisons personnelles, je relie assez régulièrement), il ne m’en faut plus que dix depuis l’ouverture de la LGV Xi’an-Chengdu en décembre dernier.

C’est un peu mieux que de prendre la voiture.

Bref, se déplacer en Chine, c’est facile. Facile et numérisé : la plupart des usagers achètent désormais leurs billets de train en ligne (via l’application idoine ou des services tiers), des billets qu’ils peuvent retirer dans des distributeurs en présentant uniquement leur carte d’identité (contrairement aux étrangers — suivez mon regard — qui doivent montrer leur passeport au guichet).

Cette numérisation croissante m’a poussé à me poser une question plus large : est-il possible d’effectuer un long voyage dans l’empire du Milieu muni en tout et pour tout d’un smartphone et d’une connexion cellulaire, sans recourir à aucun autre outil ?

Le meilleur moyen de le savoir était encore d’essayer.

Ma gare de départ, à Mianyang (province du Sichuan).

9 h 45 (Mianyang, Sichuan) : Légèrement en retard, je saute à la hâte dans un taxi. Je baragouine au chauffeur que je souhaite me rendre à la gare. De temps à autre, il semble m’adresser la parole, mais je réalise qu’il discute au téléphone en conduisant. Habitué depuis longtemps aux habitudes dangere… particulières des conducteurs de taxi chinois, je préfère regarder le paysage qui défile derrière ma fenêtre. C’est un beau jour sichuanais de printemps, sans un nuage à l’horizon.

10 h (Devant la gare) : Nous voilà arrivés. Le taximètre m’indique que je dois payer 13 yuans (1,7 €) pour les six kilomètres parcourus. Fidèle à mon défi, je ne sors pas mon portefeuille (qui de toute manière ne contient que deux ou trois billets de 1 yuan) mais mon téléphone affichant WeChat. Je ne m’inquiète pas d’essuyer un refus, rarissime qu’il est de tomber sur un chauffeur de taxi n’acceptant pas WeChat Pay (contrairement à Alipay, pour des raisons qui m’échappent). Je scanne le code QR collé au tableau de bord, je saisis la somme, je valide avec Touch ID et… c’est tout. Direction la gare.

10 h 10 (Gare de Mianyang) : J’ai passé la sécurité et vérifié le quai de mon train. Il me reste un bon quart d’heure avant le départ, ce qui me laisse le temps d’acheter quelques bouteilles pour la route dans un petit supermarché. Je paye la vendeuse également avec WeChat Pay, mais je me résous d’utiliser Alipay dès que possible : mon solde WeChat n’est pas loin d’être à sec (c’est décidé, j’y lierai ma carte bancaire après ce voyage).

Il existe deux moyens de payer : scanner le code du vendeur et saisir soi-même la somme, ou se faire scanner par le vendeur. Paresseux que je suis, je préfère cette seconde option, mais tous les vendeurs ne la proposent pas.

10 h 15 : Les portillons d’accès viennent de se déverrouiller. Je fais la queue (qui décidément n’est pas très longue, je m’attendais à pire pour un jour de vacances), j’insère mon ticket et je passe les petites portes. Je peux maintenant descendre sur le quai et attendre mon train. Contrairement à la France, l’accès au quai n’est pas libre — les adieux en larmes se font donc à l’intérieur de la gare.

La gare est presque déserte.

10 h 20 : Le train arrive.

Ce train, de type G, peut atteindre une vitesse maximale de 300 km/h, ce qui le rend idéal pour les longs trajets entre les grandes villes.

10 h 25 (Dans le train) : Le train démarre. Mes voisins ronflent. Un enfant crie. Dehors, le paysage défile de plus en plus vite. Ah, les vacances.

L’intérieur de la voiture. Un panneau LED y affiche la vitesse du train, ce qui plaît énormément au ferrovipathe en moi.

12 h 45 : La Nintendo Switch est un très bon compagnon de voyage, mais il est temps de penser à manger. D’ordinaire, je préfère imiter les natifs et acheter au préalable des nouilles instantanées que je fais cuire dans le train (qui contient des distributeurs d’eau bouillante, bien entendu). Pour les besoins de cet article, cependant, je me dirige vers la voiture restaurant et j’opte pour un repas préparé dont la seule vue me fait perdre le goût de la vie [merci pour ton don de toi, ndr].

La Chine sait produire des merveilles gastronomiques dont ce plat insipide à 45 yuans (!), soit 6 €, ne fait hélas pas partie. L’employé me présente un petit carton vert WeChat contenant un code QR. Légèrement inquiet, je lui demande s’il accepte Alipay à la place. Magicien devant l’Éternel, il retourne le carton, bleu du côté verso. Je paye en essayant de ne pas rire trop fort.

Abracadabra ! (Ou Avada Kedavra, vu la nourriture.)

13 h : C’était mauvais.

14 h : Cela fait un bout de temps que nous sommes dans les tunnels. Il y a environ cent kilomètres de tunnels sous les montagnes qui séparent la province du Sichuan de celle du Shaanxi, ce qui explique que cette ligne ait mis un certain temps à ouvrir.

La 4G y est excellente.

16 h (Gare de Zhengzhou, Henan): Je dois changer de train, l’occasion parfaite pour me dégourdir les jambes et découvrir un lieu étrange.

Ou peut-être pas si étrange que cela : les gares en Chine semblent toutes être faites à partir du même moule, selon les directives identiques d’un unique architecte. Ça manque de variété… mais on ne s’y perd pas.
Essayons de compter les grues, au loin.

16 h 30 : C’est l’heure de manger. J’opte pour une chaîne de restauration rapide qui, étrangement, n’appartient pas au groupe Auchan. Ce n’est pas fameux — et toujours aussi cher, car à l’intérieur de la gare — mais peu importe : je peux payer avec Alipay, et j’ai l’estomac plein pour les quatre heures de voyage restantes.

Dicos est une chaîne de restaurants assez populaire en Chine, derrière McDonald’s et KFC. Notez le panneau à droite, qui propose aux clients de commander directement avec WeChat sans passer par la caisse.

17 h 10 : Je monte dans mon second train. Cette fois-ci, j’ai une place côté fenêtre : ce voyage est un succès.

19 h : Heureusement que les sièges sont inclinables. ?.

Ma gare d’arrivée, à Changzhou (province du Jiangsu).

20 h 45 : Changzhou, enfin. Après avoir inséré mon ticket dans le portillon et être sorti de la gare, je me rappelle qu’il me reste une dernière chose à faire : retirer mon ticket de retour. Une corvée dont il faut s’acquitter le plus tôt possible (personne n’a envie de faire la queue dans l’urgence le matin de son départ) et qui me fait regretter les e-billets français. Sur ce coup-ci, la Chine accuse un retard d’autant plus surprenant.

J’arrive à un guichet désert et je présente mon iPhone et mon passeport à un employé endormi qui, après avoir tapoté quelques chiffres sur son clavier, imprime et me tend mon ticket bleu. Un ticket physique, certes, mais qui aura été (tout comme l’aller) acheté en ligne (pour 800 yuans, soit une centaine d’euros). Il s’agit de réussir le défi jusqu’au bout.

À suivre…

21 h : Je saute dans un taxi. Le chauffeur lance une inévitable discussion ritualisée que j’ai appris à reconnaître : « depuis combien de temps habitez-vous en Chine ? » « Quelle est votre nationalité ? » « Oh, vous parlez très bien chinois ! » (Traduction : vous parlez très mal chinois). J’essaie de répondre dans un mandarin compréhensible malgré mes dix heures de train. Mes pensées, cependant, se dirigent de plus en plus vers la douche et le lit qui m’attendent au bout de ce long voyage.

Bientôt, le moment fatidique du dernier règlement de la journée arrive. « 25 yuans », me dit le conducteur (le Jiangsu est une province plus développée et donc plus onéreuse).

« Alipay ? », je lui demande.

« WeChat », me répond-t-il.

Frustration suprême : je n’ai que 24,9 yuans sur mon solde WeChat. Le chauffeur se montre compréhensif mais, après presque deux mille kilomètres parcourus, je suis quelque peu vexé que ce soit une fraction de centime qui vienne narguer mon expérience.

Je sors du taxi, j’attrape ma valise et je me jure de garder quelques pièces dans ma poche, la prochaine fois.

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