Il est un pays où les Google, Facebook et autre Twitter dont nous ne pouvons pas nous passer sont quasiment inexistants. Ce pays, c'est la Chine. Expatrié dans l'Empire du Milieu, Mathieu Fouquet nous raconte son périple technologique.
L’été est revenu. Les cigales sortent timidement — et bruyamment — de leur torpeur, les moustiquaires se rentabilisent et il devient courant de sentir la fraîche caresse des climatiseurs après leur longue hibernation printanière.
Sans prévenir personne, la planète a encore fait sa révolution (autour du soleil, bien sûr — rien de politique là-dedans) et, mine de rien, cela fait presque un an que je suis arrivé au pays des pandas. Quatre saisons de changements difficiles à croire, souvent flagrants (en août dernier, il n’y avait certainement pas de légions de vélos colorés aux quatre coins de ma ville) et parfois plus subtils — une année à l’étranger, c’est suffisant pour faire évoluer n’importe qui. Cela fait aussi plusieurs saisons que vous supportez bimensuellement mes chroniques chinoises, ce qui constitue sans aucun doute ma plus grande et ma plus belle surprise de l’année 2017 (imaginez pourtant bien que la compétition était féroce).
Tout a commencé par un beau jour de février, avec un premier article qui portait sur mes difficultés à me connecter au réseau en Chine. Un choix de sujet qui trahissait probablement mes préoccupations d’alors : derrière les problèmes techniques (contourner la censure du gouvernement et trouver une SIM compatible avec l’antenne de mon iPhone) se dessinaient en filigrane d’autres inquiétudes, celles de rester en contact avec le monde et de parvenir à communiquer dans un pays au contexte linguistique radicalement différent.
Ce qui nous amène à la question suivante : à l’approche du premier anniversaire de mon arrivée dans l’Empire du Milieu, comment les choses ont-elles évolué ? Après être parvenu à me connecter au réseau, ai-je réussi à l’utiliser pour communiquer ? Et si oui, comment ?
China Mobile, un an plus tard
Souvenez-vous : dans les dernières lignes d’« Aucun service », j’expliquais avoir finalement trouvé un opérateur complètement compatible avec mon iPhone français, augurant ainsi la fin de mon isolation téléphonique. Avant de découvrir China Mobile, je ne pouvais en effet qu’avoir accès à la 4G au détriment du réseau 2G classique. Bref, je ne pouvais pas passer d’appels.
Quelques semaines après cette expérimentation, je me rends donc dans une boutique China Mobile avec une collègue venue m’aider à faire les démarches. C’est heureux : trouver une boutique qui puisse m’ouvrir une ligne prend plus d’un essai, et je me vois mal jargonner avec un employé sur les subtilités de mon forfait. Une fois passée cette difficulté initiale, la procédure n’a toutefois rien de très sorcier : on me présente une feuille remplie de numéros de téléphone, j’en choisis un au hasard et je repars avec ma nouvelle SIM. Pas de coordonnées bancaires à donner : un simple passage par l’application Alipay suffit pour recharger son crédit téléphonique.
Inutile aussi de passer en boutique ou d’engager une procédure pour résilier sa ligne : arrêtez de payer, et le numéro finit au bout d’un moment par être attribué à un autre client. Pas de période d’engagement, donc, mais la similitude avec nos forfaits tricolores s’arrête à peu près là : pour donner une idée des tarifs moyens, il faut compter chez China Mobile environ 130 yuans (16 €) pour 3 Go de données ainsi que de la voix et des SMS non illimités. Pour les 20 Go à 2 € par mois, on repassera plus tard… Mais il faut dire que l’Empire du Milieu n’a pas la chance de disposer de quatre opérateurs concurrents (comme en France pré-Free Mobile, il s’agit d’un triumvirat aux prix plus ou moins alignés).
Cela étant, il arrive occasionnellement que les opérateurs proposent des promotions temporaires, comme 12 Go de données disponibles à un tarif réduit. Lorsque c’est le cas, il faut généralement passer par une application dédiée et faire une manipulation pour profiter de l’offre (j’aimerais vous dire comment, mais j’ai honte de dire que ce n’est jamais moi qui m’en occupe).
D’ailleurs, une petite anecdote sur les applications chinoises : pour se connecter à certains services, un système populaire consiste à envoyer un SMS contenant un code à l’utilisateur, que ce dernier doit ensuite saisir dans l’application. C’est le cas pour mon application China Mobile : à chaque fois que je suis déconnecté, il me faut générer un nouveau code et guetter mes SMS.
Et alors, après presque un an chez un opérateur chinois, quel est le bilan, me demanderez-vous ? Plutôt bon. Les débits en 4G sont suffisamment confortables, même en utilisant un VPN, ce qui est une chance au vu de la qualité de ma connexion fixe (qui est parfois excellente, parfois à pleurer et toujours imprévisible). Mais devoir m’appuyer sur mon forfait mobile pour surfer régulièrement à la maison, cela me fait encore plus lorgner sur les excellents forfaits français — voilà bien un domaine où la Chine a un retard à rattraper.
Et pour le reste… mais quel reste ? Je passe un appel téléphonique une fois par mois, et les SMS sont totalement obsolètes à l’heure de WeChat.
Ou le sont-ils ?
Le SMS est mort, vive le SMS
Les rumeurs concernant ma mort sont très exagérées
, pourrait s’exclamer le vénérable texto. C’est vrai que les SMS ont un pied dans la tombe dans le Céleste Empire, où ce mode de communication n’est quasiment jamais utilisé de particulier à particulier (je n’ai dû envoyer qu’un ou deux SMS depuis que je suis ici, et c’était à chaque fois en désespoir de cause).
Les « amis à bulles vertes » dont Craig Federighi se moquait gentiment n’existent virtuellement pas dans un pays où les moyens de communication sont aussi homogènes — tout le monde utilise au minimum QQ ou WeChat, et presque systématiquement les deux. Dans l’Hexagone, entre iMessage, WhatsApp et Facebook Messenger (et un million d’autres services), le SMS a bien conservé un avantage : il est universel.
Pour autant, comme je l’expliquais plus haut, les SMS demeurent une réalité quotidienne en Chine — c’est juste qu’ils n’occupent pas le même créneau fonctionnel. Pour faire simple, ils servent à la fois de canal de notifications, de panneau publicitaire et de générateur de mots de passe. Par exemple, si j’ai oublié de recharger mon compte China Mobile, je peux être sûr que je recevrai prochainement une relance par SMS. Si j’effectue un paiement, ma banque me le fera savoir. Et certains services n’hésiteront pas à me spa… à me solliciter s’ils ont de nouvelles offres à me proposer.
Autant dire que j’ai depuis longtemps abandonné l’idée de faire le ménage dans ma liste de fils de discussion.
WeChat, le système d’exploitation chinois
Dans une chronique précédente, je citais au passage une phrase qui résume assez parfaitement la situation dans ce pays : l’OS chinois c’est WeChat, pas iOS/Android
.
Et de fait, je préfère arrêter de me creuser les méninges pour trouver une fonctionnalité dont WeChat ne dispose pas, de crainte d’être toujours là dans une semaine. Tout comme Alipay, WeChat est un bloc sur lequel viennent se greffer une quasi-infinité de modules, et c’est là que la métaphore du système d’exploitation prend tout son sens, puisque WeChat dispose de sa propre boutique d’applications, accessible depuis l’intérieur… de l’application :
Le potentiel de l’application-OS WeChat est tellement énorme que l’on pourrait presque oublier qu’il s’agit avant tout d’un service de chat, avec toutes les fonctionnalités que l’on en attend aujourd’hui… et certaines autres.
Vous pouvez donc non seulement envoyer des messages texte, mais aussi audio (une option extrêmement populaire, il est fréquent de voir des gens parler à leur téléphone dans la rue sans le porter à l’oreille) et bien sûr lancer une vidéoconférence. Et envoyer votre localisation. Et des autocollants (beaucoup d’autocollants). Et faire un transfert d’argent. Ou offrir une enveloppe rouge. Et poster des mises à jour sur un espace de microblogging. Et faire du café (je voulais plaisanter, mais un doute soudain m’envahit : c’est sans doute possible.).
Bien entendu, si vous n’aimez pas WeChat, il reste toujours QQ. Les deux plateformes partagent un certain nombre de points communs, et pour cause : elles appartiennent l’une comme l’autre à la société Tencent. Et si vous ne voulez utiliser ni WeChat ni QQ, je vous prie de me faire savoir comment votre séjour en Chine s’est passé (ça ferait sans doute une très intéressante série d’articles).
En revanche, si vous ne désirez pas utiliser le bon vieux courrier électronique, rien de plus simple : j’ai été surpris de constater à quel point l’email est peu employé, y compris dans un contexte professionnel où les collègues s’envoient des documents par QQ à tout bout de champ. D’une certaine manière, la Chine a sauté l’ère du PC pour se lancer à pieds joints dans une époque qui ne commence qu’à se dessiner dans le reste du monde.
Mais bon, au cas où : QQ mail existe. Bien sûr.
Abattre les murs
C’est normalement à ce stade de l’article que je devrais annoncer quelque chose comme « vous savez maintenant tout sur les réseaux chinois ». Si je voulais mentir.
Même après des mois passés dans le pays, j’ignore encore beaucoup de choses sur les moyens que les gens utilisent pour communiquer au quotidien. Les services sont si nombreux et les applications si riches que je découvrirai encore des choses dans dix ans. Et c’est d’ailleurs peut-être le temps qu’il me faudra pour franchir la plus grande muraille de toutes, qui n’a d’ailleurs rien de numérique : la langue elle-même. Apprendre à utiliser WeChat, cela se fait en une journée. Vraiment comprendre les Chinois, vraiment interagir avec eux sur les réseaux, cela peut prendre de très longues années.
Mais, comme le disait Lao Tseu, un voyage de mille lieues commence toujours par un premier pas
.
Cette chronique conclut notre série d’articles sur la Chine. Un grand merci à toutes et à tous pour l’avoir suivie, et pour y avoir contribué avec des commentaires souvent très constructifs. N’hésitez pas à lire (ou à relire) les chroniques précédentes en cliquant sur les liens ci-dessous. Bonne lecture !
image de une : KaHoLam (CC BY-ND 2.0)