Il est un pays où les Google, Facebook et autre Twitter dont nous ne pouvons pas nous passer sont quasiment inexistants. Ce pays, c’est la Chine. Expatrié dans l’Empire du Milieu, Mathieu Fouquet nous raconte son périple technologique.
« N’allez pas à l’étranger pour fuir vos problèmes, ils partiront avec vous. » Telles étaient les paroles d’une de mes professeures en licence, alors qu’elle s’adressait à une classe d’étudiant(e)s sur le point de partir en stage. Il est vrai qu’il peut être tentant de conférer des propriétés presque magiques aux pays lointains : terres vierges de souvenirs mais pleines de potentiel, leur distance géographique, linguistique et émotionnelle semble porteuse d’une infinité de promesses.
De fait, les premières semaines dans un nouveau pays sont généralement proches de ce fantasme. Partir à l’étranger, c’est presque retomber en enfance — c’est découvrir un monde nouveau (et souvent incompréhensible) où les choses les plus banales peuvent redevenir merveilleuses.
Mais, comme tout état de grâce, cette situation ne peut être que temporaire. J’ai eu beau tenter de les laisser à la douane, les petits tracas du quotidien ont fini par pointer leur sympathique museau, et le pays des merveilles par redevenir un pays tout court.
Prise de terre
Un beau jour d’automne, l’adaptateur secteur de mon MacBook Air commence à montrer des signes de faiblesse. Vous savez sans doute de quoi je parle : peu importe le soin que vous y portez, ce maudit câble blanc — dont la finesse n’a d’égale que la fragilité — finit immanquablement par céder à un endroit ou à un autre. C’est typiquement à ce moment-là que le déni de réalité s’installe : il marche très bien, ce chargeur ! Si je le remue un peu, la LED s’allume de nouveau.
Jusqu’au jour où elle ne s’allume plus, bien sûr. Je finis donc par prendre le temps de passer à l’un des deux Apple Store de Chengdu (la capitale du Sichuan) pour remplacer le matériel fautif. Un bras et une jambe plus tard, me voilà avec un beau chargeur chinois que je m’empresse de renforcer avec des tonnes de sparadrap (je vois bien ton regard dégoûté, Jony Ive. Sache que tout cela est ta faute.).
L’avantage, c’est que je dispose désormais de fiches d’alimentation locales. Au pluriel, donc : tout comme le chargeur français dispose d’une fiche courte (de type C) et d’un câble plus long avec une prise de terre (de type E), la version chinoise embarque deux connecteurs qui au premier coup d’œil n’ont pas grand chose à voir. C’est vrai qu’ils ont moins de points communs que leurs équivalents français : le premier (de type A, le même qu’aux États-Unis) comprend deux fiches et n’est pas compatible avec les prises acceptées par le second (de type I). Ces deux types sont à peu près également répandus en Chine, et sont fréquemment combinés en une seule prise — il est donc rare de ne pas avoir le bon connecteur sous la main.
Si ces fiches chinoises sont forcément pratiques, soulignons toutefois qu’elles n’ont rien de vital pour un français qui voyage dans l’Empire du Milieu. Tout d’abord parce qu’il est possible de recourir à un adaptateur, mais surtout parce qu’il y a une compatibilité partielle entre les équipements des deux pays. L’anecdote n’est pas très flatteuse, mais j’ai mis des mois avant de comprendre que mes fiches françaises étaient directement compatibles avec la plupart des prises de mon appartement (adieu, record de QI). C’est qu’elles sont bien souvent trois-en-un, comme celle-ci (à droite sur la photo):
Notons enfin que l’inverse n’est pas vrai : il est impossible de brancher des appareils chinois sur des prises françaises sans adaptateur. La tension électrique, en revanche, est presque identique dans les deux pays — 220 volts contre 230 dans l’Hexagone — ce qui évite les problèmes de compatibilité.
Prise de tête
Muni de mon nouveau chargeur, je peux enfin de nouveau utiliser mon Mac sereinement. Le pire est passé. Plus rien d’affreux ne peut m’arriver. Tout est bien qui finit…
Deux mois plus tard, mon MacBook Air est victime d’une inondation accidentelle dans mon sac à dos (la faute à un facétieux joint de bouteille d’eau ayant décidé de partir en balade). La housse spongieuse de mon ordinateur atténue les dégâts, mais pas suffisamment : celui-ci refuse catégoriquement de démarrer.
Astuce bonne à savoir : si jamais vous vous retrouvez dans cette situation, n’essayez surtout pas d’allumer l’ordinateur et attendez plutôt plusieurs jours qu’il sèche, pour éviter tout court-circuit. Après une ou deux tentatives bêtes et infructueuses, je décide moi aussi de patienter en espérant que mon Mac finisse par revenir à la vie. En attendant, il me faut bien un ordinateur pour travailler…
Cela tombe bien, il y a un beau cybercafé en face de chez moi. Ces établissements requièrent généralement une carte d’identité chinoise, dont le numéro est ensuite utilisé pour déverrouiller les ordinateurs. C’est un problème : en tant qu’étranger, je ne dispose que d’un passeport, inutile dans cette situation. Cette fois-ci, l’employé à l’accueil accepte gentiment de me prêter une carte d’identité appartenant à quelqu’un d’autre, mais cela n’a rien d’obligatoire : je me suis parfois vu refuser l’accès à certains cybercafés (voire au même, tout dépend de la personne)…
Après avoir payé moins d’un euro pour une heure d’utilisation, je m’installe sur un PC qui semble clairement pensé pour les jeux en réseau, à côté de clients qui enchaînent cigarette sur cigarette (reste à voir si la récente généralisation de l’interdiction de fumer dans les lieux publics changera certaines habitudes tenaces, le pays comprenant énormément de fumeurs).
Vous l’aurez compris, les cybercafés chinois ne sont pas toujours des plus confortables. Mais ils font temporairement l’affaire, et cela tombe bien : après quelques jours de congés, mon Mac démarre à nouveau ! Tout est bien qui finit…
La batterie ne charge plus. Bien entendu.
Prise de risque
Avoir un Mac qui ne fonctionne que sur secteur, ce n’est pas si grave : il paraît que certaines personnes utilisent des iMac (voire des Mac Pro, mais ceci n’est qu’une rumeur) et vivent très bien avec. Reste que, pour certaines raisons techniques, un MacBook Air à la batterie complètement déchargée voit ses performances se dégrader de manière spectaculaire — et ce, même s’il est branché sur secteur. Le processeur semble tourner à la moitié de sa vitesse habituelle, ce qui rend l’ordinateur atrocement lent. Là encore, en faisant des efforts, on peut presque vivre avec.
Mais c’est quand mon Mac a commencé à s’éteindre aléatoirement que j’ai décidé de vraiment prendre les choses en main.
J’ai tout d’abord naturellement pensé au centre de service agréé Apple en centre-ville (il y a des Apple Store à Chengdu, mais je n’y habite pas), qui mérite très bien son nom : pour avoir la patience de déchiffrer mes explications en chinois, il faut effectivement être très serviable.
Après avoir démonté mon MacBook Air pour essayer d’identifier le problème (sans succès), ils m’ont proposé de le garder pour quelques jours afin de diagnostiquer la panne. Dans un centre de service agréé, contrairement à l’Apple Store, ce devis n’est pas gratuit : il faut compter quelques dizaines d’euros. J’avais donc le choix entre payer ou faire un peu de tourisme à Chengdu.
Le choix fut rapide.
À l’Apple Store, après une petite heure d’attente, un employé branche mon Mac à une machine de diagnostic dont l’interface est à des années-lumière du raffinement habituel des produits Apple (il faut dire qu’elle n’est pas en vente, elle). À l’écran, de petites icônes répertorient les composants de l’ordinateur testé : carte mère, mémoire, batterie… Une par une, des pastilles vertes apparaissent sous chaque icône… Jusqu’à ce qu’une pastille rouge pointe du doigt le coupable présumé : la I/O Board, ou carte d’entrée/sortie (là où se trouvent la prise MagSafe ainsi que les ports USB et jack). Échanger cette pièce à l’Apple Store coûterait quelques centaines d’euros, m’informe l’employé. Avant d’ajouter que je ferais peut-être mieux d’aller voir un réparateur tiers (!) si je veux faire des économies.
C’est une bonne idée. Mais n’est-il pas possible de faire mieux encore ? Si je commande cette pièce sur internet et que j’effectue la réparation moi-même (merci iFixit), cela évitera des frais intermédiaires… Par curiosité, je regarde immédiatement le prix de cette pièce sur iFixit : 100 $. Voilà qui n’est pas franchement prometteur…
Mais c’est oublier un fait essentiel : en Chine, tout est possible. Dans l’usine du monde, trouver des pièces bon marché n’est jamais un problème. De fait, je reçois quelques jours plus tard des outils pour démonter ma machine ainsi qu’une carte d’entrée/sortie de remplacement. Coût total ? À peine 70 RMB, soit même pas 10 €. Coût de la main-d’œuvre ? Une heure de mon temps, plus une bonne dose de nervosité et d’excitation.
Après avoir ouvert mon pauvre MacBook, échangé la carte et suivi les dernières étapes du guide en ligne, je referme le capot avec ses dix petites vis. Le moment est solennel. Le Mac démarrera-t-il ? La batterie se remettra-t-elle à charger ?
Spoiler : tout est bien qui finit bien.