Il est un pays où les Google, Facebook et autre Twitter dont nous ne pouvons pas nous passer sont quasiment inexistants. Ce pays, c'est la Chine. Expatrié dans l'Empire du Milieu, Mathieu Fouquet nous raconte son périple technologique.
Après son arrivée dans le pays, les apps bloquées, celles pour apprendre à communiquer, la guerre des transports, les méthodes de paiement par mobile, et la qualité de l'air, il se penche sur les possibilités de livraisons aussi courantes que surprenantes.
Connaissez-vous le chabuduo (« 差不多 ») ? Il ne s’agit non pas d’un étrange légume poussant sur les sommets enneigés du Sichuan, mais d’un concept fort commode pour comprendre certaines bizarreries qui parsèment l’Empire du Milieu. Le chabuduo, que l’on pourrait traduire par « presque » ou « à peu près », est la tendance à faire le travail plus ou moins bien, à ne pas fournir plus d’efforts que nécessaire, tant que le résultat est (à peu près) là. Peu importe qu’un interrupteur ne soit pas aligné avec les autres : après tout, il permet toujours d’allumer la lumière, non ? Et si la peinture se décolle un peu des murs, ma foi, ça n’a jamais tué personne.
On peut disserter sur les causes de cette tendance : normes insuffisantes (ou insuffisamment contrôlées), salaires trop faibles, formations approximatives… Quoi qu’il en soit, le chabuduo est en Chine un ami du quotidien. Et bien qu’il soit source de frustration, il faut lui reconnaître par moments un certain génie. Mon exemple préféré reste sans aucun doute celui de ma salle de bain, qui ne dispose d’aucune bouche d’évacuation des eaux usées, mais comprend heureusement de magnifiques toilettes à la turque à travers lesquelles les eaux de la douche et de la machine à laver (!) s’écoulent. De quoi donner quelques sueurs froides à un plombier, mais impossible de nier que ça marche.
Colis suspects
Étrange paradoxe : cet empire de l’à-peu-près est aussi celui de tous les possibles. Des solutions qui paraissent à première vue branlantes peuvent souvent s’avérer étonnamment efficaces. Un jour, ayant commandé un colis sur internet, je reçois un SMS m’informant de son arrivée.
Je m’empresse alors de me rendre — à l’heure indiquée — au lieu de retrait mentionné dans le message. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que ce n’était pas vraiment le bureau de poste du coin…
Pour achever le tableau, soulignons que pour retirer un colis, il suffit de donner son nom ou — parfois — son numéro de téléphone à l’employé qui distribue les paquets. Pas franchement le service le plus sécurisé du monde, mais… ça marche (en tout cas, aucun de mes colis ne s’est jamais perdu). Plus fascinant encore, les services de livraison chinois sont légion et utilisent divers types de moyens et petits véhicules, dont ces merveilles électriques :
Conséquence logique de cette variété des services, les points de retrait changent d’un livreur à l’autre : petite boutique dédiée, sol terreux, directement depuis la camionnette… lorsque le livreur ne vient tout simplement pas frapper à votre porte (les boîtes à lettres sont loin d’être populaires en Chine).
Quant aux différents sites de commerce en ligne, certains noms vous seront peut-être déjà familiers : Taobao, Tmall, Jingdong… Autant d’acteurs dans la frénésie commerciale qui saisit le pays chaque 11 novembre, pendant la fête des célibataires.
L’année dernière, cet événement national riche en promotions diverses a rapporté à Alibaba la bagatelle d’environ 18 milliards de dollars et a impliqué de distribuer rapidement et efficacement un milliard de colis. Un milliard de colis. Acheminés vers le client dans des véhicules surprenants. Déposés dans des points de retraits improbables. Pas de camions UPS, pas de drones futuristes d’Amazon, pas même un postier dans sa fourgonnette jaune, mais un système en apparence un peu chaotique qui pourtant supporte chaque année des records de consommation de plus en plus élevés.
J’ignore quelle magie logistique ces géants commerciaux exploitent, mais j’aurais du mal à m’en plaindre : recevoir dans la matinée un colis commandé la veille au soir, le tout pour des frais de port négligeables, disons qu’il y a pire.
Sur place ou à emporter ?
Je me rappellerai toujours d’une remarque de l’un de mes collègues lors de mon installation dans le pays :
Si tu as un problème, ne t’inquiète pas. C’est la Chine, il y a toujours une solution.
De fait, que ces solutions soient approximatives ou non, il est étourdissant de compter le nombre de domaines que l’Empire du Milieu s’attache à révolutionner à marche forcée. Taobao et ses semblables maîtrisent la distribution de centaines de millions de colis ? D’accord, mais ne reste-t-il pas une autre catégorie de biens qui ont besoin d’être acheminés du producteur vers le consommateur ?
Si la livraison de nourriture à domicile est loin d’être un nouveau concept, force est de constater que les startups chinoises s’en sont saisies avec enthousiasme. Alors qu’il n’est pas rare que les restaurants français disposent de leur propre service de livraison, la Chine préfère généralement s’appuyer sur des intermédiaires qui font le lien entre restaurateurs et clients affamés.
Pensez au service tricolore Allo Resto, mais généralisé à un pays tout entier, et beaucoup plus versatile. Imaginez par exemple pouvoir, dans n’importe quelle ville française, commander un kebab depuis votre smartphone et le voir arriver à votre porte une vingtaine de minutes plus tard. Un système qui s’effondrerait clairement s’il fallait que les patrons de petits restaurants le financent…
Dans ma chronique sur les différentes applications chinoises, j’avais brièvement abordé Meituan, qui est une sorte de Groupon ou Yelp à la chinoise (lire : Chroniques numériques de Chine : les apps murailles). Concrètement, Meituan est le service que j’utilise pour trouver de bons restaurants aux alentours — et parfois pour régler l’addition. Mais les ambitions de Meituan vont au-delà de cette « simple » fonctionnalité : il est tout aussi possible d’utiliser l’app pour trouver des bars, des karaokés, des salons de beauté… et pour commander à manger.
À travers le service Meituan Waimai (Waimai, « 外卖 », signifiant « à emporter »), cette société propose en effet aux utilisateurs de choisir l’un des restaurants partenaires à proximité, de payer en ligne et de se faire livrer à domicile par un employé Meituan.
Notons que Meituan n’a pas le monopole sur ce créneau : entre Eleme et Baidu Waimai, la compétition est rude et les marges probablement très fines.
Et contrairement à ce que la capture ci-dessus peut laisser penser, ces services sont loin de se limiter aux grosses enseignes — il est tout aussi possible de commander un Burger King que de se faire livrer quelques gobelets de thé au lait.
Petit détail confortable (ou orwellien), ces apps permettent typiquement de suivre la progression du livreur en temps réel…
Cerise sur le gâteau : comme c’est souvent le cas avec les services chinois, il est possible d’obtenir régulièrement divers coupons de réduction qui incitent à la consommation et à une alimentation équilibrée (faut-il le préciser ?).
Par contre, pour les kebabs, il faudra repasser : ce mets exquis n’est pas encore parvenu à trouver son chemin vers l’Empire du Milieu. Comme quoi, la France, ce n’est pas si mal en fin de compte.
En conclusion
On ne le répétera jamais assez : en Chine, il y a toujours une solution. Cette solution peut être brillante, bancale, ou — plus probablement — un peu des deux à la fois.
À Noël dernier, j’étais à Chengdu avec d’autres laowai (« étrangers ») pour célébrer cette fête éminemment chinoise, et notre choix de repas s’était porté sur un plat tout aussi typique : la « 披萨 », ou pizza. Seul petit problème : ce restaurant en particulier ne supportait pas de services de livraison à domicile. Que faire ?
Expédier les pizzas dans un Didi, tout simplement.