Il est un pays où les Google, Facebook et autre Twitter dont nous ne pouvons pas nous passer sont quasiment inexistants. Ce pays, c'est la Chine. Expatrié dans l'Empire du Milieu, Mathieu Fouquet nous raconte son périple technologique. Après son arrivée, il fait le point sur l'écosystème d'applications mobiles.
Enfonçons les portes ouvertes : partir pour la Chine (et, de manière générale, à l’étranger), ce n’est pas particulièrement simple. Réserver des billets d’avion, obtenir un passeport si vous n’en possédez pas déjà un, faire une demande de visa à Paris ou Marseille, aller chercher ledit visa, prendre l’avion pendant une quinzaine d’heures… Même lorsque l’objectif est de partir en vacances, il y a quand même plus reposant.
Mais aussi contraignantes puissent-elles être, ces formalités ne sont que cela : des formalités. De bêtes tâches à cocher sur une liste. Un faible prix à payer, en fin de compte, pour se retrouver à l’autre bout du monde et découvrir un nouveau pays. Et quel pays ! À cheval entre Confucius et Foxconn, entre les pandas et le smog pékinois, la Chine est toujours sûre d’évoquer un véritable kaléidoscope d’images fortes et contradictoires. Elle laisse, en tout cas, rarement indifférent.
Partir pour la Chine, ce n’est donc pas si compliqué… mais il faut ensuite parvenir à y entrer. Pas en escaladant la Grande Muraille tel un brave guerrier mongol : les barrières qui existent aujourd’hui sont davantage linguistiques et culturelles que physiques, et au moins aussi élevées. Acheter un billet d’avion, c’est facile. Apprendre une nouvelle langue et s’ouvrir à des mœurs différentes, par contre…
Mais laissons pour l’instant de côté ces écarts, et intéressons-nous (surprise !) aux murailles technologiques. La plus visible est sans aucun doute le Grand Firewall de Chine, que j’évoquais déjà dans mon précédent article. Cette muraille est conséquente : sans VPN, impossible d’accéder à une myriade de sites populaires dans le reste du monde. Parmi les sites bloqués, on trouve notamment Twitter, Facebook, Google (et tous ses services connexes, dont YouTube, Google Maps, Gmail, etc.), Instagram, Dropbox… Autant dire que la liste est longue, et qu’un VPN est quasi-obligatoire pour un Français séjournant en Chine à moyen ou long terme.
Aussi visible soit-il, ce mur n’est pas le plus compliqué à franchir : il est purement technique, et il existe des moyens techniques relativement accessibles pour l’enjamber. Son existence a néanmoins le mérite de soulever une question : si jamais il disparaissait du jour au lendemain, est-ce que les habitudes de centaines de millions de Chinois s’en trouveraient soudainement bouleversées ?
Aussi choquant que ce soit pour nos yeux occidentaux, la réponse serait sans doute non. Google ? Il y a toujours Baidu et ses services associés. YouTube ? Ce ne sont pas les vidéos qui manquent sur Youku. Twitter ? À quoi bon, tout le monde échange sur WeChat. Le fait est que pour chaque site, chaque app ou chaque plateforme populaire en Europe ou en Amérique du Nord, il existe généralement au moins une alternative qui domine le marché local.
Cela ne m’était pas inconnu lorsque je suis arrivé en Chine, mais les habitudes ont la peau dure. Je m’imaginais utiliser mon VPN à tout bout de champ plutôt que de m’intégrer au « web chinois ». C’était en partie vrai : hors de question de m’isoler de mes amis en France, ou d’essayer de les faire migrer sur WeChat. Mais c’était aussi ignorer que la sphère d’influence — et d’utilité — de certains services s’arrête aux frontières du pays.
Un après-midi d’été, alors que je visite Chengdu, la faim me pousse à vérifier s’il y a de bons restaurants aux alentours. Par réflexe, je télécharge Yelp sur mon iPhone… avant de réaliser que je viens de bêtement gâcher 100 Mo de data.
Un service peut être bloqué en Chine, mais il peut aussi tout simplement ne pas y être disponible. C’est alors que ma compagne m’exhorte à utiliser Meituan, qui produit immédiatement des résultats bien plus utiles.
Si l’on s’arrête à la surface, Meituan est une sorte de Yelp chinois. L’application affiche le même type de catégories : restaurants, films, points d’intérêts, etc. Cela étant, il n’y a pas une correspondance parfaite entre les fonctionnalités des deux services. Logique : Meituan a commencé sa vie en tant que site de promotions, à la Groupon, avant de se diversifier. Conséquence possible de cet ADN, on peut payer dans certains restaurants chinois directement depuis l’application, avec souvent des réductions à la clé. Difficile d’imaginer une situation similaire en France, où les choix de règlement sont bien plus limités [ndr : LaFourchette est le service qui s'en rapproche le plus dans l'Hexagone].
Et c’est important de le souligner : un service chinois n’est que rarement une simple copie carbone de son équivalent occidental. Il s’intègre dans une sphère linguistique et culturelle différente et ne peut donc pas se contenter de proposer les mêmes services. eBay a tenté une percée sur le marché chinois en 2004 et a plié bagage deux ans plus tard, faute de comprendre les attentes et les besoins locaux (Taobao, lui, n’a pas raté le coche).
L’équivalence est rarement parfaite. C’est pourquoi, dans la continuité du parallèle entre Yelp et Meituan, je me propose de faire un petit tour d’horizon des services que j’utilisais fréquemment en France et de ceux qui les ont (plus ou moins) remplacés dans l’Empire du Milieu. Parfois, c’est parce que le service « français » est bloqué ou indisponible. Souvent, c’est parce que le service local est… local.
Je tiens à souligner que cette liste n’a rien d’exhaustif, est totalement personnelle et ne contient pas les services qui sont venus s’additionner aux autres. Par exemple, si je discute fréquemment sur WeChat et QQ, j’utilise toujours iMessage et Facebook Messenger. Même remarque pour YouTube et Youku (bien qu’un nombre surprenant de vidéos YouTube finissent uploadées sur la plateforme concurrente). Pour plus de clarté, les services sont classés par catégories.
S’orienter
En France : Google Maps, Apple Plans
En Chine : 高德地图 (Gaode Maps), 百度地图 (Baidu Maps), Apple Plans
Remarques : Notons qu’il est techniquement possible d’utiliser Google Maps via un VPN, mais au vu des performances du réseau et de la fraîcheur de la carte, il faudrait être un peu masochiste. J’utilise personnellement Gaode Maps depuis mon arrivée (la majorité des chinois semble utiliser Baidu Maps), mais lors de la rédaction de cet article je me suis rendu compte qu’Apple Plans proposait souvent des résultats tout aussi pertinents. S’il fallait encore une preuve que la Chine était une dimension parallèle…
Voyager
En France : Trainline Europe (anciennement Captain Train)
En Chine : 铁路12306 (Tielu 12306)
Remarques : Trainline propose une expérience fluide, agréable et rapide, alors que l’application officielle des chemins de fer chinois a été développée par des âmes corrompues du septième cercle de l’Enfer. Entre deux bugs et un crash, il est parfois possible de réserver des billets de train avec.
Détail pratique : les détenteurs d’une carte d’identité chinoise peuvent utiliser celle-ci pour retirer leurs tickets dans une borne automatique. Les étrangers, hélas, doivent en passer par le guichet. Et donc, faire la queue.
Payer
En France : Paypal
En Chine : 支付宝(Alipay), Apple Pay
Remarques : L’argent en Chine, vaste sujet qui méritera un article à lui tout seul. Inclure cette catégorie, c’est presque tricher : Alipay n’est pas l’équivalent de Paypal ou des différentes applications bancaires françaises. Alipay est à Paypal ce que Michael Phelps est à un caneton blessé. Pour faire synthétique, Alipay est un moyen de paiement universel, ou presque. Vous voulez envoyer de l’argent à vos amis en quelques secondes ? Alipay. Vous voulez recharger votre crédit téléphonique ? Alipay. Payer dans à peu près n’importe quel commerce ? Alipay. Régler vos achats en ligne ? Alipay.
Quant à Apple Pay, bien que le service de Cupertino soit aussi disponible en France, je n’avais pas la chance d’être client d’une banque compatible. Je fus donc agréablement surpris de constater que ma carte chinoise, elle, l’était. Au quotidien, pas de bouleversement, mais un confort supplémentaire indéniable : aussi omniprésent Alipay soit-il, il ne peut s’intégrer aussi proprement à iOS que les services d’Apple. Le support d’Apple Pay est loin d’être aussi universel que celui d’Alipay, mais il est présent dans beaucoup de grandes enseignes et même dans certains distributeurs automatiques.
Écouter de la musique
En France : Spotify, Apple Music
En Chine : QQ音乐 (QQ Music)
Remarques : Répétons-le : la Chine est un marché énorme, mais il n’est pas si facile d’y pénétrer. Spotify n’y est pas officiellement disponible à l’heure actuelle, contrairement à Apple Music. Je n’ai pas encore eu l’occasion de tester sérieusement Apple Music depuis la Chine, mais il existe sans surprise un certain nombre d’alternatives locales.
QQ Music est notamment très populaire, et propose un catalogue conséquent. Son offre basique, gratuite, ne semble pas comporter de restrictions de lecture, contrairement à Spotify. Et son offre payante permet à l’utilisateur de télécharger un certain nombre de morceaux par mois.
Regarder des films et des séries
En France : Netflix
En Chine : Youku, Tencent Video, Acfun, Bilibili…
Remarques : À l’instar de Spotify, Netflix ne propose pas encore d’offre chinoise. C’est que c’est un véritable casse-tête : il faudrait non seulement se plier aux règles de censure du gouvernement (ce qui demande un travail conséquent), mais aussi parvenir à percer dans un pays où le contenu vidéo est largement disponible gratuitement en streaming. Et ce ne sont pas les sites qui manquent, y compris pour regarder des séries américaines. Il existe même des sites axés sur certains types de contenu, comme Bilibili pour les séries d’animation.
Et pas question d’utiliser un VPN pour accéder au catalogue Netflix français : Netflix bloque activement cette pratique qui remet en question la division géographique de son offre (les droits de diffusion d’une série n’ont pas nécessairement été négociés pour toutes les régions). Dommage, j’étais prêt à continuer à payer mon abonnement…
Acheter des billets de cinéma
En France : Les cinémas Gaumont Pathé
En Chine : 猫眼电影 (Maoyan Dianying)
Remarques : Même principe de base dans les deux cas : sélectionner son cinéma, sa séance, et payer. Mais là où l’application Pathé ne permet de réserver que dans les salles… Pathé, Maoyan Dianying propose un grand nombre de salles classées en fonction de l’emplacement géographique de l’utilisateur. Luxe ultime : on peut — on doit — réserver sa place dans la salle de cinéma (les fauteuils sont numérotés). Seule ombre au tableau : on ne peut pas directement entrer dans la salle avec son smartphone, il faut se munir de son numéro de réservation et retirer un ticket papier au distributeur.
Mais ne boudons pas notre plaisir : au moins il n’est jamais difficile de trouver une séance en VO, et les salles IMAX sont légion.
Effectuer des recherches sur internet
En France : Google
En Chine : Baidu, Bing (et Google !)
Remarques : Quand mon VPN est actif, la question ne se pose même pas : c’est Google. Mais voilà bien le problème : activer un VPN, ce n’est pas instantané (la connexion met dans le meilleur des cas quelques secondes), et c’est beaucoup trop lourd lorsqu’il ne s’agit que de faire une petite recherche. La plupart du temps, utiliser Baidu, le « Google chinois », produit des résultats suffisamment pertinents.
Quant au moteur de Microsoft, il a le mérite de… ne pas être bloqué par le Grand Firewall. Il n’est pas forcément plus pertinent (je ne serais pas surpris qu’il le soit moins), mais il est toujours utile d’avoir un autre moteur sous la main, histoire de ne pas se limiter à un seul point de référence.
En conclusion
Je ne finis pas sur l’exemple des moteurs de recherche par hasard : il illustre parfaitement comment un étranger, habitué à utiliser certains outils et en mesure de continuer à les utiliser en Chine, finira par graviter naturellement autour des services que les natifs utilisent. À Pékin, fais comme les Pékinois.
Mais je vois que certain(e)s d’entre vous me font remarquer, le sourire en coin, que le contenu de mes captures d’écran, c’est vraiment du chinois. Eh oui, si nous avons fait le choix d’attaquer la question des murailles sous un angle technologique, il est illusoire de penser que l’on peut évoquer la technologie sans évoquer la langue… ou la culture, du reste (demandez à eBay). Ces trois aspects sont fondamentalement liés et s’influencent mutuellement en permanence, comme autant de briques dans la maçonnerie de la Grande Muraille.
Autrement dit, pour utiliser l’écosystème des services chinois, il vaut mieux… comprendre le chinois (mais ne le faut-il pas pour réellement exister dans le pays de toute façon ?). Très peu d’applications proposent en effet une localisation, ce qui peut choquer un Européen habitué à l’omniprésence des versions anglaises. Mais — accrochez-vous — la Chine n’est pas l’Europe. Ni géographiquement, ni politiquement, ni linguistiquement, ni ethniquement (je me suis habitué depuis longtemps aux regards curieux des passants)… ni technologiquement. C’est l’autre bout du monde, après tout. Un bout du monde fermé et homogène, avec un écosystème technologique tout droit sorti de la quatrième dimension et une langue aux milliers de caractères. Oui, la Muraille peut-être haute.
Mais aussi haute soit-elle, ce n'est pas à elle de s’abaisser pour moi ou pour quiconque : il appartient aux curieux de l’escalader.
image de une : Peter Dowley (licence CC BY)