Il est un pays où les Google, Facebook et autre Twitter dont nous ne pouvons pas nous passer sont quasiment inexistants. Ce pays, c'est la Chine. Expatrié dans l'Empire du Milieu, Mathieu Fouquet nous raconte son périple technologique. Cette fois-ci, il nous explique comment faire mentir (un peu) l'expression « c'est du chinois » à l'aide d'applications.
Paradoxe ou non, c’est en quittant mon pays que je m’en suis le plus rapproché. Se trouver à 8 000 km de chez soi, c’est apprécier certaines choses à leur juste valeur. Un éclair au café de la boulangerie du coin, le ciel dégagé d’un matin d’hiver, YouTube en 1080p… Tel un hypermétrope qui éloigne son livre des yeux et y découvre une belle histoire, cette soudaine prise de recul m’a révélé des détails qui étaient pourtant sous mon nez depuis le début.
Des détails comme… la capacité de communiquer avec d’autres êtres humains, par exemple. Une évidence, sans doute, mais que l’on tend à oublier dès lors que l’on se (re)trouve dans le confort linguistique de son pays natal. Et quoi de plus normal ? La langue que l’on parle est à l’image de l’air que l’on respire : invisible, omniprésente et surtout vitale. Et ce n’est souvent qu’en cas d’asphyxie que cette dernière caractéristique nous revient brutalement en mémoire…
Exemple des plus basiques : commander au restaurant. Beaucoup de petits restaurants ne proposent en effet qu’une version chinoise de leur menu, souvent sans aucune illustration. Si vous ne parlez pas un mot de chinois, deux solutions s’offrent à vous : choisir au hasard et prier pour ne pas tomber sur les langues de canard (mais peut-être que vous vous découvrirez des préférences culinaires insoupçonnées) ou encore rentrer chez vous et vous préparer de succulentes nouilles instantanées.
Je force le trait, bien sûr. Peut-être que vous avez un dictionnaire dans votre poche, que vous pouvez faire une recherche en ligne ou encore que le patron parle anglais (auquel cas foncez acheter un billet de loto). Dans certaines situations, même des mimiques ou des onomatopées suffisent. Rien de tel que l’instinct de survie pour soudainement stimuler la créativité…
Mais cette créativité a des limites, d’autant plus si votre objectif est de vivre en Chine et non d’y survivre. Dans le dernier article de ma chronique, qui traitait des alternatives chinoises aux apps utilisées en France, je mentionnais en passant la nécessité de comprendre la langue pour pleinement tirer parti de certains services. Si quelques applications comme Alipay sont — partiellement — localisées en anglais, elles sont l’exception plutôt que la norme.
Pour vivre en Chine, mieux vaut avoir au moins des bases de chinois, donc. Mais dans la tradition de la chronique, posons-nous la question suivante : dans quelle mesure la technologie peut-elle abaisser la muraille linguistique (désolé) qui existe pour un(e) Français(e) qui débarque dans l’Empire du Milieu, et quelles sont les catégories d’outils disponibles pour y parvenir ?
Avant de m'attaquer de front à cette question, j'ouvre une courte parenthèse sur la langue chinoise et sur l’état de mes connaissances lors de mon arrivée dans le pays.
Lost in translation
Certaines caractéristiques du chinois sont plus susceptibles que d’autres de faire trébucher les Français et autres locuteurs francophones. Notamment les fameux tons, au nombre de quatre, éternelles sources d’erreurs au fort potentiel comique. Vous vouliez dire « 我想问你 » (Wǒ xiǎng wèn nǐ), je veux vous poser une question ? Dommage, vous venez de dire « 我想吻你 » (Wǒ xiǎng wěn nǐ), je veux vous embrasser. Attention à la nuance…
Mais niveau difficulté, le système d’écriture, basé sur les sinogrammes, l’emporte haut la main. C’est au minimum plusieurs centaines de caractères dont vous aurez besoin pour déchiffrer la majorité du chinois écrit, et quelques milliers si vous approfondissez votre étude de la langue. Rien à voir avec notre alphabet, donc, d’autant qu’un caractère chinois n’est pas l’équivalent d’une lettre : le premier contient (généralement) du sens, alors que la deuxième a une valeur surtout phonétique. Conséquence logique (et très pratique) : il est possible de comprendre une phrase chinoise même sans savoir la prononcer.
Et si tout cela vous semble insurmontable, rappelons qu’il existe un système de romanisation, le pinyin, qui permet d’écrire et de lire le chinois en utilisant notre alphabet. Très utile, mais surtout à des fins d’apprentissage : dans le monde réel, impossible de se passer des sinogrammes.
Et moi dans tout ça ? Eh bien je partais avec quelques bases de chinois, une certaine connaissance du japonais (complètement inutile à l’oral mais très précieuse à l’écrit, les deux langues partageant un grand nombre de caractères plus ou moins similaires) et… mon superordinateur de poche constamment connecté au réseau. Il ne pourrait pas travailler à ma place, mais il saurait certainement rendre le processus bien moins douloureux.
Petit tour d’horizon des apps devenues indispensables dans mon quotidien chinois.
Dictionnaire
Pleco (gratuit, achats in-app, iOS/Android)
Un dictionnaire. Quoi de plus basique et indispensable ? Et parmi les étudiants de la langue chinoise, Pleco est sans nul doute un classique. Il faut dire qu’il remplit plutôt bien son rôle : multiplateforme, gratuit au téléchargement et parfaitement fonctionnel dans sa version de base, il propose néanmoins une foule d’add-ons gratuits ou non. Parmi ces derniers, on retrouve notamment différents dictionnaires, des voix de synthèse (utiles pour se faire une idée de la prononciation de certains mots) et même des fonctions plus complexes telles que la reconnaissance optique de caractères ou l’écriture manuelle de sinogrammes.
Pour donner une idée de sa modularité, j’ai pu y ajouter le support du français en quelques secondes, et ce alors que j’y effectue mes recherches en anglais depuis des années. Il s’agit donc d’un dictionnaire très flexible, qui pourra s’adapter aux besoins — et au budget — d’utilisateurs variés.
Et au-delà de ses spécificités, Pleco comprend de nombreuses fonctionnalités typiques d’une application de cette catégorie : possibilité de créer des listes de vocabulaire, réglage de la police, historique de recherche et bien d’autres.
Si j’avais quelques reproches à lui faire, ce serait qu’il n’est pas extrêmement agréable à l’œil (les étudiants de japonais ont la chance d’avoir Midori, par exemple) et que les résultats de recherche les plus pertinents ne sont pas systématiquement ceux au sommet de la liste, comme j’ai pu en faire les frais à plusieurs reprises.
Et macOS alors ? Aussi pratique soit-il, j’avoue que le système de bureau d’Apple m’est en comparaison assez peu utile dans mon apprentissage de la langue. « Le meilleur dictionnaire, c’est celui que l’on a sur soi », ou quelque chose comme ça.
Bon, d’accord : le Dictionnaire de macOS me rend parfois de grands services.
Traduction
Baidu Translate (gratuit, achats in-app, iOS/Android)
Quel est votre premier réflexe lorsque vous avez besoin de traduire automatiquement un texte depuis ou vers une langue étrangère ? Si votre réponse commence par « G » et évoque un logo coloré, félicitations : vous ne vivez pas en Chine. Pas qu’il soit impossible d’y utiliser Google Traduction, me direz-vous, il suffit d’utiliser un VPN ou le mode hors connexion de l’application.
Mais c’est là où le bât blesse : nous avions vu dans notre dernier article que la première solution était souvent trop lourde pour de petites requêtes ; quant à la seconde, Google Traduction semble malheureusement produire des résultats systématiquement moins pertinents en l’absence de réseau.
Par conséquent, je dépends beaucoup de Baidu Translate, qui produit des traductions généralement très satisfaisantes, beaucoup plus que celles de Google en mode hors connexion.
La différence est flagrante : alors que l’application de la firme de Mountain View peine même à produire un résultat… chinois, celle de Baidu traduit parfaitement la phrase française, en dépit de la petite faute qui s’y était glissée (on dira que c’était pour tester l’intelligence des deux apps).
Des points d’ombre ? Baidu Translate ne dispose pas d’un mode hors connexion, et ses autres fonctions (dictée vocale, reconnaissance optique de caractères…) sont très loin d’être impressionnantes. Personnellement, cela m’est égal : ce qu’il fait bien, il le fait très bien. Et c’est tout ce que je lui demande.
Reconnaissance optique de caractères
Waygo (gratuit, achats in-app, iOS/Android)
La reconnaissance optique de caractères (ou ROC) est l’une de ces rares fonctionnalités qui paraissent toujours aussi magiques même après des mois d’utilisation. Il arrive très fréquemment que je tombe sur un panneau, un menu ou une étiquette comportant des caractères dont j’ignore la prononciation et/ou la signification. Dans ce genre de situation, je pourrais ouvrir mon dictionnaire, faire une recherche par radical et, au bout d’une minute passée à maudire ce système, enfin tomber sur le bon résultat.
Ou je pourrais lancer Waygo, pointer ma caméra vers les sinogrammes récalcitrants, et lire la traduction en sirotant une bière.
Waygo est loin d’être la seule app de ROC sur le marché (même Pleco peut s’en charger via un add-on payant), mais elle m’a rarement laissé tomber. Elle est aussi assez abordable, puisque l’achat in-app pour débloquer la lecture du chinois tourne autour des 7 € (il existe aussi un pack plus cher pour débloquer la lecture du japonais et du coréen, des fonctionnalités dont je ne peux confirmer le niveau de qualité).
Certes, Waygo ne propose pas la traduction en français, et il peine occasionnellement à identifier le caractère lu (un défaut parfois imputable aux limitations du capteur de l’iPhone), mais il est si difficile d’en vouloir à une application magique.
Lecture
Decipher (gratuit, achats in-app, iOS/Android)
Je dois avouer avoir moins utilisé cette app que les autres, mais sa proposition est trop séduisante pour être ignorée : Decipher met régulièrement à disposition des articles d’actualité en chinois adaptés aux apprenants de la langue.
Ainsi, les mots sont accompagnés de pinyin (la transcription alphabétique des sinogrammes, rappelez-vous), de définitions et sont même classés par niveau de difficulté. La force d’une telle application, c’est donc de tout réunir en un seul endroit, évitant ainsi des allers-retours fatigants entre texte à traduire et dictionnaire.
Par défaut, seuls les deux derniers articles sont accessibles, l’application exigeant (hélas) une connexion via Facebook ou Google pour accéder au reste.
En conclusion
Ce tour d’horizon n’était que cela : un tour d’horizon. Les outils pour faciliter l’apprentissage ou la traduction d’une langue sont légion, mais j’ai pu observer que ceux que j’ai mentionnés étaient quasi systématiquement populaires auprès des laowai (« étranger » en chinois) que j’ai côtoyés depuis mon arrivée. Et à raison : ils fluidifient réellement le processus de compréhension d’une langue presque autant aux antipodes du français que l’Empire du Milieu l’est de l’Hexagone.
Pour autant, il serait injuste de ne pas mentionner une dernière catégorie d’apps : ce sont celles qui, sans aucune ambition linguistique, me poussent pourtant à quotidiennement travailler mon chinois. Ce sont bien sûr toutes les applications non localisées, à la fois un fléau et une bénédiction pour qui veut naviguer dans l’écosystème numérique de ce pays. Un problème d’accessibilité, sans aucun doute, mais aussi une occasion inestimable d’être en immersion linguistique constante et d’acquérir, petit à petit et par pure répétition, les pièces du puzzle immense qu’est la langue chinoise.
image de une : Hipnos (licence CC BY-SA)