Il est un pays où les Google, Facebook et autres Twitter dont nous ne pouvons pas nous passer sont quasiment inexistants. Ce pays, c'est la Chine. Expatrié dans l'Empire du Milieu, Mathieu Fouquet nous raconte son périple technologique. Le premier épisode de ses chroniques numériques porte sur son arrivée dans le pays.
Après une dizaine d’heures de vol, l’A330 de Hainan Airlines se pose enfin sur le Tarmac. Fatigué et engourdi par le voyage, je me dirige vers la sortie de l’appareil. Petit à petit, son atmosphère finement calibrée laisse place à une chaleur enveloppante, moite et un brin étouffante. Telle la madeleine proustienne qui se mélange au thé, cette température combinée à de mystérieux facteurs atmosphériques réveille en moi les souvenirs de mon premier voyage en Chine, durant l’été 2013. On oublie difficilement son premier été autour des 40 °C.
Bien sûr, il s’agit d’un pays aux dimensions si titanesques (le troisième mondial en superficie) que parler du « climat chinois » n’a presque aucun sens, tant celui-ci fluctue selon les latitudes. En hiver, l’écart de température entre les provinces septentrionales et méridionales peut facilement atteindre une trentaine de degrés, souvent plus.
Me revoici donc, trois ans plus tard, dans ce presque-continent aux multiples extrêmes. Nous sommes en août 2016, et je viens de quitter la France pour un séjour professionnel d’au moins un an. Je vais enseigner le français à des étudiants dans le Sichuan, une province située au centre-ouest de la Chine.
En descendant de l’avion, je vérifie si mon iPhone accroche le réseau. J’aime ce moment un peu magique où le nom surprenant d’un opérateur étranger prend la place d’un « Bouygues » ou d’un « Free » familiers, comme si le téléphone lui-même voulait souligner que ça y est, c’est officiel, on se trouve en terre inconnue. J’attends avec une pointe de curiosité ces quelques lettres exotiques…
…« Aucun service. » Ah. Pour la symbolique « terre inconnue », c’est réussi. De toute façon, je ne m’attendais pas vraiment à ce que le bête forfait Free 2 € auquel j’avais souscrit avant de partir — histoire de conserver mon numéro — me permette de téléphoner ou surfer à l’étranger, en tout cas sans activer d’options. Peu importe, j’aurai bientôt une carte SIM locale, et le Wi-Fi gratuit de l’aéroport suffira largement pour donner signe de vie à mes proches.
Et comme c’est la première fois que je me connecte à internet depuis le territoire chinois, c’est aussi l’occasion de tester si le service VPN auquel je me suis abonné — en l’occurrence ExpressVPN, mais il en existe d’autres — fonctionne correctement.
Rappelons le principe de manière simplifiée : un VPN (Virtual Private Network, ou réseau privé virtuel) permet à une machine d’envoyer des paquets de données de manière sécurisée vers un serveur distant, qui peut être situé ou non dans le même pays. Ce serveur, à son tour, se charge d’expédier ces données vers leur destination. Même principe pour le voyage retour, mais dans l’autre sens : la destination renvoie une réponse que le serveur réceptionne et transmet à l’utilisateur.
En tant qu’intermédiaire sécurisé, un VPN est donc utile voire indispensable dans de nombreux cas de figure : protéger son anonymat sur le net, accéder à distance à un intranet d’entreprise, se connecter à un réseau Wi-Fi public sans craindre de voir ses informations interceptées… Le cas qui nous intéresse le plus est le contournement des blocages géographiques, que ceux-ci soient dus à des motivations politiques ou économiques.
Peu de monde ignore que le gouvernement de la République Populaire de Chine a mis en place une censure de certains sites, en particulier occidentaux : YouTube, Facebook et Twitter, pour ne citer qu’eux, sont tous inaccessibles depuis une connexion internet chinoise. Cela ne pose pas nécessairement problème à la majorité des Chinois (il existe très souvent une alternative locale, ce sera l’objet d'un prochain article), mais c’est nettement plus gênant pour un étranger qui vient s’installer en Chine pour du plus ou moins long terme.
Et c’est là qu’intervient le VPN : en faisant transiter les données par l’étranger, il permet de tromper le Great Firewall of China (un jeu de mot anglais qui combine the Great Wall of China, la Grande Muraille de Chine, avec le firewall, ou pare-feu) et d’accéder ainsi à des sites bloqués comme si de rien n’était. En tout cas, c’est la théorie : il arrive que la « Muraille » bloque certains VPN (ce n’est pas le cas d’ExpressVPN à l’heure de la publication de cet article), et les débits sont bien souvent plus lents que par une connexion directe.
Il existe des VPN gratuits, et d’autres payants. Comme les services payants sont généralement de meilleure qualité (scoop !), j’ai décidé de faire cet investissement. Moins de 10 € par mois pour un service aussi vital, ça se rentabilise assez vite.
Dans mon cas, tout se passe sans encombre : je lance l’application iOS de mon VPN, j’active le service et je vois le petit logo aux trois lettres apparaître dans la barre d’état. Me voilà connecté à un serveur situé à Hong Kong — en Chine donc, mais dans une région au statut spécial où la censure d’internet ne s’applique pas (les services VPN proposent généralement de multiples serveurs situés en différents points du globe, mais un serveur géographiquement proche offre normalement de meilleurs débits). À moi les débats constructifs sur Twitter !
Ce service propose aussi une application Mac, comme c’est souvent le cas. C’est anecdotique, mais j’ai généralement constaté de meilleurs débits en Wi-Fi sous macOS, même en sélectionnant des serveurs identiques. Nul doute que cela variera en fonction du Mac et de l’iPhone utilisés, ainsi que du réseau et de l’état du VPN. Appel aux lecteurs : si jamais vous habitez/avez habité en Chine et que vous utilisez un VPN, n’hésitez pas à me faire part de votre expérience ou de vos suggestions (quel que soit le service que vous utilisez) !
Mais il n’y a pas que les VPN dans la vie : il y a aussi mon deuxième avion qui va bientôt partir pour Shanghai. Et après ça, le train pour Changzhou (la ville de ma compagne ; j’irai dans le Sichuan plus tard en août). J’aurais vraiment, vraiment dû tester ces cabines à sieste…
Quelques jours plus tard, j’ai enfin ma carte SIM locale, estampillée China Telecom. Il existe trois opérateurs de téléphonie mobile en Chine continentale : China Mobile, China Unicom et China Telecom. China Mobile est un peu l’Orange chinois, mais à une toute autre échelle : avec environ 60 % de parts de marché sur le territoire et 835 millions d’abonnés, il s’agit du plus grand opérateur mobile au monde (arrêtez-moi si je me répète). China Unicom est loin derrière avec une vingtaine de pour cent, et China Telecom s’accapare les « miettes » restantes.
J’éjecte ma SIM Free, j’insère la nouvelle, je regarde l’iPhone tenter d’accrocher un signal… Alors, il arrive, ce moment symbolique ? Ah, voici la petite icône « 4G » qui s’affiche dans la barre d’état ! Tout va bien, le plus dur est passé. Il ne me reste donc plus qu’à passer un bête coup de fil histoire de m’assurer que mon numéro est actif.
Oui mais voilà : avec zéro barre (cercle ?) de réseau, ça risque d’être un peu compliqué. Interloqué, et constatant que la 4G, elle, fonctionne parfaitement, je tente quand même d’effectuer un appel. Sans succès : non seulement il ne passe pas, mais en plus l’application plante. Incroyable mais vrai : le réseau 2G (voix / EDGE) est en rade alors que les données cellulaires transitent sans problème.
Dès lors, je tente toutes les solutions imaginables : réinitialiser les réglages réseau, effacer l’iPhone, repasser sous iOS 9 (à cette époque, j’utilisais la bêta publique d’iOS 10)… En vain, mon téléphone reste coincé dans un futur où seule la 4G existe et où les appels téléphoniques appartiennent à l’histoire (le présent, donc).
Suspectant un problème de bandes de fréquences, je découvre — un peu tard — une page sur le site d’Apple répertoriant les différents modèles d’iPhone et leur compatibilité avec les opérateurs de chaque pays. Apparemment, mon iPhone 6S est un modèle A1688, compatible avec tous les opérateurs français (cela tombe bien, je l’ai acheté en France). En vérifiant à la lettre « C », entre le Chili et la Colombie, je constate que la Chine… n’est même pas listée pour ce modèle.
Alors que je commence à me faire à l’idée de devoir investir dans un téléphone chinois, je décide tout de même de tenter la méthode empirique : tester la compatibilité de mon iPhone avec les cartes SIM d’autres opérateurs. Je me rends un soir avec ma compagne dans une petite boutique China Mobile, où à un guichet un technicien joue du fer à souder sur un iPhone désossé tout en tenant une conversation animée sur WeChat, des écouteurs vissés sur les oreilles. Décidément multitâche, il nous dirige vers un autre guichet, où un employé glisse une nano-SIM (probablement la sienne) dans mon téléphone. Victoire ! Il parvient à passer un appel et à surfer sur internet.
Cherchant à connaître le fin mot de l’histoire, je me suis documenté sur les différentes fréquences supportées par l’iPhone A1688 et celles exploitées par les opérateurs chinois. L’explication la plus probable est sans doute la suivante : en ce qui concerne les réseaux type 3G/4G, China Telecom et China Mobile exploitent tous deux des bandes de fréquence qui fonctionnent avec l’iPhone « français » (par exemple, celle des 1900 MHz pour China Mobile et celle des 1800 MHz pour China Telecom). Mais pour ce qui est du réseau 2G, il existe une différence cruciale entre ces deux opérateurs : China Telecom utilise la norme CDMA alors que China Mobile lui préfère la norme GSM. Les opérateurs français ayant tous opté pour la norme GSM, il n’est pas difficile de deviner avec quelle norme mon iPhone était compatible (selon Apple, le modèle A1688 est justement décliné en deux variantes CDMA et GSM)…
Bonne nouvelle, Apple était donc un peu trop conservatrice sur sa page web, et j’aurai d’ici peu un numéro chinois tout en conservant mon iPhone français. Passer du « aucun service » à un demi-service, puis à une véritable couverture réseau : avec un peu de chance, cela résumera bien mon expérience chinoise.
Reste que j’ai l’étrange sentiment que cette surprise technologique ne sera pas la dernière…