« Made by Google » : c’était le titre de la conférence de presse de la firme de Mountain View, c’est le titre de la page qui présente le Pixel et ses compagnons. Ces appareils sont peut-être « conçus par Google », mais ils ne portent pas le logotype de Google, pourtant rafraichi il y a quelques mois. Non, ils arborent le « Google G », une petite icône qui a pris une grande place dans la communication de la société, comme le symbole de ses nouvelles ambitions.
Ce « G » avait pourtant été présenté comme un élément secondaire de la nouvelle identité visuelle de Google, une icône conçue pour une utilisation « à petite taille » dans « des contextes où elle partage l’espace avec d’autres éléments », autrement dit une icône destinée aux réseaux sociaux. Quelques mois plus tard, ce « G » est devenu le symbole de la transformation de Google.
La firme de Mountain View fait face à un paradoxe : si son logo s’est répandu sur tous les écrans, il n’a jamais été très à l’aise en dehors. Google a multiplié les identités en même temps qu’elle multipliait les projets, jusqu’à ce que la création d’Alphabet lui permette de focaliser son attention sur un nombre plus réduit de produits. La société est plus concentrée, son logo aussi.
Le « G » possède la dimension emblématique qui fait le succès du sourire d’Amazon et de la pomme d’Apple, à laquelle Google n’a cessé de se comparer lors de sa présentation. Il s’agissait bien sûr de « guider » la couverture médiatique : certains parlent du Pixel comme de « la première menace réelle pour l’iPhone », comme si Google n’avait pas déjà présenté sept générations d’iPhone killers. Mais il s’agissait aussi d’afficher ses ambitions : Google reprend à son compte la rhétorique d’Apple, et veut produire son propre matériel pour mieux développer ses services.
Des services qui n’ont jamais été aussi menacés : le développement des intelligences artificielles remet en cause la place du moteur de recherche, donc de la régie publicitaire qui lui est adossée, donc l’existence même de Google. La firme de Mountain View ne peut plus se contenter de jouer l’arbitre d’un match dont les joueurs deviennent ses concurrents les plus féroces, elle ne peut plus se contenter de lancer des produits au petit bonheur la chance et surtout la malchance.
À la présentation du Nexus Q, le premier produit « made by Google », nous disions :
Parfois, en faire beaucoup est en faire trop, et en faire trop est ne rien faire. Le succès d’Apple est aussi celui de sa concentration, de sa capacité à raconter une histoire, à mettre en scène le produit, et à susciter non seulement l’acte d’achat, mais aussi l’envie d’utiliser le produit au quotidien, de faire sa vie avec. Google comme Microsoft sont sans doute aux avant-postes technologiques, mais cela ne suffit aujourd’hui plus : ces deux sociétés, surtout Google, doivent aujourd’hui apprendre à communiquer. À donner envie à d’autres personnes qu’aux geeks émerveillés par des lunettes à caméra intégrée. Bref, à dépasser la seule informatique pour vendre du « style de vie ».
« Utiliser le produit au quotidien » : si ce produit est vendu par Apple ou par Samsung, et qu’il intègre un assistant virtuel, alors Google perdra la place centrale qu’elle occupe dans la vie numérique de millions de personnes. Encore faut-il que cet assistant soit aussi fiable que le moteur de recherche ! Aucun ne l’est vraiment, mais certains commencent à le devenir, et donc Google se devait de réagir.
Prises séparément, aucune de ses annonces n’est particulièrement novatrice, certaines étant même étonnamment conservatrices. Mises bout à bout, elles expriment une stratégie très claire, exécutée rapidement sous la houlette de Rick Osterloh, le patron de la nouvelle division unifiée dédiée au matériel. Le « G » qui frappe tous ces produits est la manifestation tangible de Google.
Le Chromecast et le casque de réalité virtuelle Daydream View renforcent l’écosystème de divertissements de Google, qui, rien que sur mobile, attire déjà plus de spectateurs âgés de 18 à 49 ans que les chaines câblées américaines. Mais surtout, les smartphones Pixel et le haut-parleur intelligent Home sont un formidable conduit sur l’assistant de Google, qui n’a d’ailleurs pas d’autre nom que celui de Google. Le routeur Wifi, enfin, assure que ces produits seront toujours connectés.
Si l’on peut trouver des alternatives plus abordables, on peut difficilement en trouver des plus cohérentes et pertinentes. Google propose un « kit de survie numérique » complet, qui ne se vendra sans doute pas par millions, mais permet d’accélérer la diversification des sources de revenus de la société. La firme de Mountain View répond doublement aux questions posées par les assistants virtuels : elle propose un moyen d’accéder au sien, et compense du même coup les dégâts qu’ils pourraient occasionner sur le marché des bannières publicitaires.
Ce faisant, Google devient le meilleur concurrent de ses plus fidèles partenaires. Avant de concurrencer Apple et Amazon, elle devra composer avec Samsung, ce qui est sans doute plus facile aujourd’hui que le mois dernier. Surtout, elle devra vaincre sa tendance à rapidement abandonner devant l’adversité, à présenter de nouveaux produits plutôt que d’améliorer les produits existants. Sa pertinence à long terme en dépend sans doute.