Depuis toujours ou presque, Apple agit pour faciliter l’utilisation de ses produits et de ses logiciels aux personnes atteintes de handicaps. Et cela ne se limite pas à VoiceOver : les réglages d’accessibilité sur OS X comme sur iOS sont parmi les plus étoffés de l’industrie, et Apple ne cesse de les enrichir au fil des versions.
Mais le constructeur ne peut pas répondre aux besoins les plus spécifiques. C’est là qu’interviennent des entreprises comme AssistiveWare : cet éditeur basé à Amsterdam s’est donné pour mission d’améliorer l’autonomie de ses clients souffrant de handicaps.
Si l’entreprise a été formellement créée en 2000, son fondateur David Niemeijer s’est frotté à cette problématique trois ans plus tôt, lorsqu’il a développé un clavier virtuel, KeyStrokes, pour un ami paralysé à la suite d'un accident de voiture — depuis, ce dernier documente sa vie avec des gestes de la tête sur un site web très intéressant.
La grande aventure d’AssistiveWare a débuté avec la commercialisation de KeyStrokes sur Mac OS X en 2002. Le studio s’est intéressé très tôt aux terminaux mobiles d’Apple : en 2009, il lance Proloquo2Go sur iPhone, une app de communication à base de symboles (bonne nouvelle, elle sera disponible en français cet automne). Le 3 avril 2010, jour du lancement du tout premier iPad, l’éditeur en propose une version optimisée pour le grand écran de la tablette.
« Jusqu’à présent, les personnes qui ne pouvaient pas parler devaient payer de 3 000 à 14 000 $ pour un appareil de communication high-tech », nous explique David Niemeijer. Avec cette version pour iPad, Proloquo2Go a démocratisé l’accès à ce type de technologie : plus de 150 000 personnes s’en servent désormais pour communiquer. Sans l’iPad et AssistiveWare, la vaste majorité d’entre elles n’aurait jamais eu les moyens de s’offrir une telle technologie.
La société est passée d’une seule personne, David, à 19 employés, avec en plus des représentants un peu partout dans le monde. À l’occasion de la visite de Tim Cook dans les locaux d’AssistiveWare, nous avons voulu en savoir plus sur les activités de cet éditeur.
Pourquoi vous êtes-vous lancé dans le développement d’applications d’accessibilité ? Quel est le constat que vous avez fait ?
David Niemeijer : J’ai commencé à développer des logiciels d’assistance pour aider un ami dans le besoin. Après le lancement de Mac OS X [en 2001, NDLR] qui n’intégrait aucune des anciennes technologies d’assistance de Mac OS 9, je me suis lancé le défi de développer des solutions variées pour aider les personnes ayant des problèmes physiques, de vision, de diction, de lecture et d’écriture.
Vous développez pour OS X et pour iOS. Les plateformes d’Apple vous semblent-elles mieux adaptées aux exigences de l’accessibilité qu’Android ou Windows ?
Avec les années, Apple a fait de gros efforts pour améliorer l’accessibilité de ses appareils aux personnes atteintes de divers handicaps. Avec VoiceOver, Apple a été le premier à intégrer un "lecteur d’écran" pour les utilisateurs aveugles dans un système d’exploitation majeur (d’abord dans Mac OS X, puis dans iOS). Ils ont aussi été les premiers à proposer un système de switch pour les gens qui ne peuvent pas accéder directement à un écran tactile et qui n’ont que la possibilité d’appuyer sur un ou deux boutons.
Apple a aussi lancé la fonction Accès guidé, qui fait une véritable différence pour les familles ayant un enfant autiste, par exemple. Toutes les nouvelles versions d’OS X et d’iOS améliorent l’accessibilité. L’attention portée par Apple à cette problématique, combinée à la fiabilité des appareils et le fait qu’Apple supporte dans la durée les anciens terminaux, tout cela fait en sorte que ces produits sont un excellent choix pour les personnes atteintes de handicaps. Elles comptent sur ces appareils pour communiquer avec le monde. Elles dépendent vraiment d’eux.
Quelles sont les difficultés que vous rencontrez au quotidien pour développer une application sur iOS ou OS X ?
Pour nous, le défi le plus important est l’absence d’option sur l’App Store pour faire payer les mises à jour. Nous concevons des applications puissantes et spécialisées qui s’adressent à un tout petit marché.
Cela veux dire que nos prix sont bien plus élevés qu’une application standard [Proloquo2Go coûte 249 €, NDLR], afin de couvrir les coûts de développement, ainsi que les frais liés à l’assistance. Nous fournissons un support par e-mail 24/7, donc si un de nos utilisateurs rencontre un problème ou a une question, nous sommes capables de l’aider rapidement, ce qui est important à cause du type d’applications que nous développons. Nous avons des équipes de support un peu partout dans le monde, afin de fournir une prise en charge rapide en tout temps.
À chaque fois que nous lançons une mise à jour majeure, le choix se limite entre la gratuité, ou la mise en ligne d’une toute nouvelle application pour la vendre au prix fort. Jusqu’à présent, nous avons toujours proposé des mises à jour gratuites, même pour Proloquo2Go qui est sorti en… 2009. Dans l’intervalle, nous avons investi pour cette application l’équivalent de plusieurs années de travail d’une dizaine de personnes.
Nos utilisateurs seraient heureux de payer occasionnellement une mise à jour à un prix honnête, mais personne ne voudrait payer plein pot une fois encore. Et c’est complètement compréhensible.
L’autre défi, c’est que dans plusieurs pays, le marché de l’accessibilité est contrôlé par des sociétés d’assurance et par un petit nombre de fournisseurs spécialisés. Le modèle de l’App Store s’intègre mal avec ce type de marché, et souvent les gens ont le choix entre un appareil de communication dédié très cher mais remboursé intégralement, ou payer eux-mêmes un iPad et nos applications.
Ce qui nous amène à évoquer les prix des applications et des accessoires du marché de l’accessibilité, qui sont assez élevés. Comment expliquer ces prix ?
Il y a quatre raisons principales. La première, c’est qu’il s’agit d’un marché de niche : les volumes des ventes sont faibles. Pour atteindre le seuil de rentabilité, il faut donc vendre à un prix plus élevé. La deuxième raison, c’est que les apps d’accessibilité sont utilisées par des personnes avec des handicaps et des besoins divers, ce qui veut dire que les applications nécessitent beaucoup plus d’options de personnalisation qu’une app classique.
Là où d’autres développeurs peuvent concevoir des apps pour la majorité et se contenter d’y inclure une poignée d’options de personnalisation, nous devons en proposer beaucoup pour les personnes atteintes de handicaps cognitifs, de vision ou moteur.
Troisièmement, les applications d’accessibilité nécessitent souvent des licences pour des technologies tierces, comme pour Text to Speech, les symboles, la reconnaissance d’écriture OCR, et ces frais s’ajoutent au prix final. Enfin, nos apps sont souvent utilisées par des personnes qui ne sont pas très portées sur les technologies, et qui ont donc besoin de beaucoup de support.
Combiné au rôle capital que ces apps jouent auprès de leurs utilisateurs, nous nous devons de fournir la meilleure prise en charge qui soit, provenant de personnes qui comprennent vraiment leurs besoins. Nous ne pouvons pas simplement faire appel à un centre d’appel quelque part dans le monde.
Est-ce que vous travaillez ou envisagez de travailler avec un fabricant d’accessoire ?
Par le passé, nous avons collaboré avec des fabricants de matériels d’accessibilité pour nous assurer que nos produits Mac fonctionnent bien avec leurs accessoires. Aujourd’hui, nous n’avons pas ce genre de collaboration sur iOS.
Tim Cook vous a rendu visite récemment. Comment cette rencontre a-t-elle été décidée ? Comment s’est-elle déroulée ? Est-ce que Tim Cook est sympa ?
On nous a demandé si nous aimerions recevoir cette visite deux semaines [avant la venue de Tim Cook]. Bien sûr, nous avons dit oui ! Et bien sûr, il a fallu garder cette visite complètement confidentielle, pour éviter de se retrouver avec une foule devant le bureau.
Tim Cook a passé une heure dans nos locaux à Amsterdam. On a d’abord parlé de sa visite juste avant à la Maison Anne Frank, puis nous avons discuté du travail que nous faisons ici, les besoins de nos utilisateurs, comment l’App Store travaillait avec nous, etc.
Nous avons aussi parlé de la masse de travail nécessaire pour la localisation d’une application comme Proloquo2Go, pour le français par exemple. Il a ensuite discuté avec quelques uns des membres de l’équipe et il a eu un petit mot d’encouragement sur l’importance du travail que nous effectuons ici. Et pour finir, nous lui avons proposé une démo de trois de nos produits : Wrise pour OS X, Proloquo2Go et Proloquo4Text pour iOS.
Il a posé des questions très intéressantes et clairement, il s’intéresse beaucoup à ce domaine. Il m’a paru évident qu’il se soucie profondément de l’accessibilité des produits Apple. Pour finir, nous avons pris des photos en groupe et quelques personnes ont pu prendre des selfies avec lui.
Depuis quelques mois, on sent qu’Apple pousse les solutions d’accessibilité (nouvelle section dans l’Apple Store, mise en avant sur l’App Store). Comment jugez-vous l’intérêt d’Apple pour ce marché ? Est-ce important ?
Oui, ces dernières années l’intérêt d’Apple pour les solutions d’accessibilité n’a cessé de grandir. C’est quelque chose que j’ai pu remarquer, du CEO aux équipes des Apple Store. Sur l’App Store, beaucoup a été fait au niveau des sections spéciales. Certaines d’entre elles ont été mises en place il y a plusieurs années, mais des nouvelles sont créées pour souligner le mois de l’autisme et la Journée Mondiale de Sensibilisation à l'Accessibilité.
Cet intérêt pour l’accessibilité était aussi apparent dans une vidéo pour la WWDC réalisée il y a quelques années dans laquelle on voyait non seulement notre application Proloquo2Go, mais aussi une app de contrôle d’une prothèse.
Je pense que cet intérêt continue de grandir de différentes manières, pas seulement en termes de choses visibles du grand public, mais aussi au niveau des activités et des formations au sein de l’entreprise. Je pense que c’est vraiment important qu’une société aussi puissante et globalisée qu’Apple place au cœur de ses produits les notions d’accessibilité. Apple écoute les besoins du marché et les représentants de la communauté du handicap. Ils ne font pas que travailler pour les personnes atteintes de handicaps, ils travaillent aussi avec elles.
AssistiveWare présentera la version française de Proloquo2Go durant le salon Autonomic de Paris, du 8 au 10 juin. Elle sera aussi en démonstration sur le salon ISAAC qui se tient à Toronto (Canada), du 8 au 11 août.