Au fil des ans, Sundar Pichai a vu son pouvoir s’élargir chez Google, au point de devenir le numéro 2 de l’entreprise. Celui qui a commencé comme vice-président pour le management produit est dorénavant en charge d’Android, Chrome et des apps (Gmail, Maps...), rien que ça. Dans une longue interview accordée à Forbes, l’homme de 42 ans s’exprime sur son rôle au sein de Google, la compétition avec Apple, et les produits qu’il supervise.
Une étroite collaboration avec Larry Page
Son ascension fulgurante va-t-elle l’emmener jusqu’à la tête de Google ? Pas question, répond Pichai qui se montre très reconnaissant envers les cofondateurs Larry Page et Sergey Brin. « Je suis ici en partie grâce à eux. Larry et Sergey sont engagés dans l’entreprise sur le très très long terme. »
Il faut dire qu’il joue déjà un rôle clé avec Page. « Nous partageons les responsabilités sur les éléments fondamentaux et nous travaillons en étroite collaboration. » Pichai s’occupe même plus du « cœur » de Google pour permettre à Page de s’intéresser aux domaines périphériques avec son labo Google Y.
La responsabilité de Pichai est énorme. Certains services qu’il dirige sont utilisés par plus d’un milliard de personnes dans le monde entier. « C’est cela même qui nous stimule, tenter de résoudre les problèmes des gens à très grande échelle afin de changer leur vie. Une grosse partie de mon travail consiste à continuer à faire cela dans nos produits de base. » Mais il doit aussi arriver à extirper certains projets de cet encombrant parc d'utilisateurs pour les mener à bien.
Quelles sont les trois lignes directrices suivies par Pichai dans tous ses produits ? La première, c’est « d’apporter l’information aux gens ». Une mission présente dès le début de l'entreprise qui passe notamment par Google Now aujourd’hui.
La deuxième, c’est de penser l’informatique au-delà du mobile. Pichai décrit un futur où l’informatique sera présente partout et sous diverses formes. En somme une informatique ambiante comme l’a déjà exposé Page (lire : « Apprendre, vivre et aimer » : Google veut sauver l’humanité de l’informatique).
La troisième ligne de conduite de Pichai, c’est de garantir un modèle économique viable, « parce que c’est le moteur qui nous permet de conduire toute cette innovation. »
Cette innovation tous azimuts est vue par certains, dont Steve Jobs qui disait à Page qu’il « [faisait] trop de choses », comme un éparpillement. Pichai assure que Google porte attention à la pertinence de ses nombreux projets : « Nous examinons constamment ce que nous faisons et nous nous demandons si cela fonctionne bien. »
Vers un démantèlement de Google+
Parmi ces produits dont la pertinence peut être remise en question, il y a Google+. « Pour nous, [Google+ représente] deux choses différentes, et je ne pense pas que nous l’avons toujours bien expliqué », admet-il. D’un côté, il y a le réseau social, et de l’autre, un identifiant de connexion unique pour l’ensemble des produits.
L’unification des données des utilisateurs, qui permet notamment de proposer des publicités plus pertinentes, a été un succès pour Google... qui ne s'est pas embarrassé de la législation française pour parvenir à ses fins.
Sur Google+ en tant que réseau social, Pichai reconnait à demi-mot que ce n’est pas une réussite. Il concède que le réseau n’est pas autant utilisé qu’escompté et qu’il s’agit d’un fourre-tout qui peut porter préjudice à des services clés. Le gestionnaire de photos et la messagerie instantanée sont ainsi amenés à prendre leur indépendance pour gagner en accessibilité.
S’agit-il de faire de Hangouts un leader sur le marché des messageries instantanées où Google est à la traîne ? Pas forcément, explique Pichai.
Bien sûr, la messagerie est un domaine vraiment très important. Est-ce que c'est un marché porteur ? Oui. Est-ce que Google a besoin d’être présent sur tous les marchés à grande échelle pour réussir ? La réponse est moins claire. Parfois, les solutions viennent aussi des autres. Je pense que c’est important d’avoir cet équilibre. Je ne définis pas le succès par le fait d’être présent dans tous les domaines importants.
La publicité dans Google Play, « une étape importante »
Comme Apple, Google a en effet une double casquette. Il fournit des services, mais accueille aussi ceux des autres sur sa plateforme, Android. La vitalité des éditeurs sur sa plateforme, qui dépend en partie de l’existence d’un marché concurrentiel où Google n’écrase pas tout avec son poids, lui profite aussi.
« Au cours des 12 derniers mois, nous avons reversé plus de 7 milliards de dollars aux développeurs », s’enthousiasme le dirigeant — Apple en a reversé 10. Mais il ne perd jamais de vue la monétisation d’Android. Dernière trouvaille en date, faire payer les développeurs pour mettre en avant leurs apps dans les résultats de recherche sur Google Play.
Les utilisateurs essayent de découvrir des apps et nous essayons d’améliorer le processus de découverte. De plus, les développeurs tentent d’être visibles aux yeux des utilisateurs. Si vous prenez du recul, c’est un problème que nous avons résolu dans la recherche universelle avec la publicité. Nous leur fournissons des résultats naturels, mais nous permettons également aux entreprises d’exploiter la publicité pour atteindre les utilisateurs. [...] En tant qu’utilisateur, l’information commerciale est aussi exceptionnellement utile.
Cet enthousiasme doit toutefois être nuancé par un possible effet néfaste de la pub. Les développeurs indépendants auront-ils les moyens de faire sponsoriser leurs apps ? Ne va-t-on pas assister à une course publicitaire où seuls les plus riches auront de la visibilité ? (lire : Google Play bientôt infecté par la pub).
La publicité dans Google Play est « une étape importante compte tenu de l’ampleur de la boutique », renchérit Pichai. « C’est une opportunité excitante, mais ce n’est pas la seule [...] c’est toute une série de petites choses qui font une grosse différence. »
Une relation compliquée avec Apple
Ce qui revient régulièrement dans les paroles de Pichai, c’est l’échelle à laquelle il travaille. Lors de la Google I/O 2014, il annonçait qu’Android comptait un milliard d'utilisateurs actifs par mois. Il s’est également écoulé un milliard d’appareils Android l’année dernière. D’après IDC, sur l’ensemble de l’année 2014, Android représente 81,5% du marché (+ 2,8 points par rapport à 2013). Mais grâce aux iPhone 6, iOS a grignoté des parts de marché à Android au quatrième trimestre (+ 2,2 points à 19,7 % contre - 1,2 point à 76,6 %). Pas de quoi faire peur au responsable du robot vert cependant :
Apple a indubitablement réussi son coup avec l’iPhone 6 et l’iPhone 6 Plus, mais nous nous attendions à cela. Nous savions que ce serait un renouvellement important pour eux. Quand j’observe que nous avons écoulé un milliard de terminaux [en 2014], et que même sur le haut de gamme les gens restent fidèles à Android, il n’y a pas de quoi s’inquiéter.
Et d’insister sur le fait qu’Android recouvre une gamme extrêmement large d’appareils, allant du low-cost au très haut de gamme. Il raconte qu’il a acheté des tablettes vendues 59 $ et qu’il a pu constater qu’elles « fonctionnaient bien ».
Interrogé sur la possibilité de ne plus figurer comme moteur de recherche par défaut d’iOS — Apple se sépare au fur et à mesure des services de Google et Yahoo aimerait bien prendre la place —, Pichai indique juste que les deux parties sont liées par un « partenariat sur le long terme ».
Quant aux attaques de Tim Cook sur la monétisation des données des utilisateurs, Pichai ne se démonte pas :
Les gens utilisent nos services par choix. Nos services sont très appréciés. Nous avons vraiment beaucoup de produits qui ont plus d’un milliard d’utilisateurs. Ils ont beaucoup de valeur. Et nous fournissons la plupart de ces services gratuitement. C’est un peu irresponsable de dire que tout devrait coûter plusieurs centaines de dollars [comme les produits Apple]. Nous avons trouvé un moyen de fournir des services importants de manière responsable. Je pense que ça compte. Si vous questionnez la plupart des utilisateurs, ils sont à l’aise avec la façon dont cela fonctionne.