Quand Twitter est apparu en 2006, ses concepteurs n’imaginaient sans doute pas qu’ils venaient de créer l’un des plus gros réseaux sociaux au monde. Aujourd’hui, le service compte plus de 500 millions d’abonnés et l’entreprise qui le gère emploie plus de 3000 personnes. Twitter est devenu un monstre, comme Facebook l’a été avant lui, et le réseau social doit maintenant trouver un moyen de se financer.
C’est précisément pour cette raison que le réseau social a commencé à changer de politique à partir de 2011. Alors que Twitter s’était construit grâce aux clients tiers qui servaient à consulter les messages et à publier les 140 caractères qui composent un tweet, l’entreprise avait lancé un pavé dans la mare en imposant des conditions d’utilisation beaucoup plus strictes. Depuis cette première attaque contre les clients tiers, le réseau n’a pas cessé de se fermer et d'imposer des contraintes toujours plus importantes.
Limités à 100 000 utilisateurs, les clients tiers sont de plus en plus tombés en disgrace. Au fil des années, Twitter a continué à mettre à jour son site et ses applications mobiles officielles, sans pour autant proposer les nouvelles fonctions aux développeurs. De ce fait, il y a aujourd'hui une différence énorme entre le Twitter que l’on connaît avec un client tiers, comme Tweetbot, et le Twitter « officiel », celui du site ou des applications mobiles conçues par le réseau social.
Depuis le printemps 2011, on sait que l’entreprise derrière Twitter ne veut plus reposer sur des clients tiers et qu’elle souhaite favoriser exclusivement son site pour les ordinateurs, et ses applications mobiles pour le reste. Les clients tiers sont sur la sellette, mais pas uniquement parce qu’ils n’affichent pas les messages sponsorisés qui financent aujourd'hui en partie le service. Au-delà de la publicité, c’est le modèle historique du réseau social qui est, lui aussi, sur le point d’être abandonné.
Twitter s’est construit sur l’idée d’une liste de messages, présentée du plus récent au plus ancien. Même si les fonctions se sont accumulées depuis 2006, cette idée de base n’avait, jusqu’ici, pratiquement pas bougé. Twitter a bien fait quelques ajustements, notamment pour les réponses présentées dans le sens de la conversation, mais l’idée originale d’une liste de messages présentés chronologiquement est encore là. Mais pour combien de temps ?
On se doutait que Twitter visait le modèle de Facebook, à savoir un réseau social totalement fermé où les règles sont définies exclusivement par l’entreprise qui le soutient. Mais cette volonté n’avait jamais été explicité jusqu’à maintenant. Anthony Noto, CFO de Twitter, a franchi une étape supplémentaire en expliquant que cet ordre chronologique qui est à la base du réseau social n’est pas « l’expérience la plus pertinente pour l’utilisateur ».
Le directeur financier du réseau social s’est exprimé lors d’une conférence et il a donné quelques informations sur les futures priorités de Twitter. La recherche fait partie des axes les plus prioritaires pour 2015 et il faut reconnaître qu’il y aurait des progrès à faire sur ce point. Il a aussi évoqué les discussions privées de groupe, une manière de plus de concurrencer frontalement Facebook et sa fonction Messenger.
Pour les utilisateurs attachés à Twitter tel qu’il est aujourd'hui, le plus important toutefois est cette remise en cause de la chronologie des tweets. Le réseau social ne s’en cache pas, l’objectif est de créer des algorithmes capables de déterminer l’importance d’un message pour chaque utilisateur. Et donc d’afficher en priorité les messages que vous êtes censés préférer, plutôt que les plus récents.
Cela vous rappelle quelque chose ? C’est normal, c’est exactement ainsi que fonctionne Facebook : même si on peut revenir à un affichage chronologique, c’est toujours la liste « À la une » qui est mise en avant. Le réseau social créé par Mark Zuckerberg va même beaucoup plus loin en n’affichant qu’une partie de ce que vos amis publient. Il ne fait guère de doute que Twitter veut la même chose : n’afficher que ce qui est censé vous intéresser, quitte à masquer totalement certains tweets de personnes que vous voulez pourtant suivre.
Ce choix répond probablement d’abord à des besoins économiques. En sélectionnant pour vous les tweets intéressants, le réseau social pourra plus facilement afficher de la publicité, voire demander, comme Facebook le fait déjà, aux utilisateurs de payer pour qu’ils s’assurent que leur tweet soit affiché. Ce n’est pas de la science-fiction, Twitter propose déjà à n’importe quel utilisateur de payer pour sponsoriser l’un de ses tweets et ainsi l’afficher plus largement.
Reconnaissons que ce choix est logique pour le nouveau-venu qui découvre Twitter et ne sait pas comment l’utiliser. Avoir une liste de milliers de messages peut être déroutant, et si les algorithmes de Twitter sont bons, un tri sera sans doute apprécié. C’est aussi certainement une excellente solution pour tous ceux qui veulent uniquement utiliser Twitter pour se tenir au courant de l’actualité, comme on l’aurait fait il y a quelques années avec des flux RSS.
Quand on aime le Twitter des origines, celui que l’on a encore dans les clients tiers, quand on veut lire tous les messages de toutes les personnes que l’on suit, ce changement sera une catastrophe. Le futur est pourtant assez évident, d’autant que l’entreprise n’a jamais cédé depuis 2011 : à terme, les clients tiers seront probablement condamnés, et il faudra passer par le site ou les applications officielles pour accéder au réseau social.
Ce jour-là, que faire si ce n’est quitter Twitter… mais pour quelle alternative ? C’est bien le problème : il n’y a aucune vraie alternative. Ce n’est pas l’échec d’app.net qui va inquiéter les dirigeants de Twitter et les inciter à changer d’avis. Pour cela, il faudrait un départ massif et peut-être que c’est exactement ce qui arriverait, si la chronologie et l’accès exhaustif à la timeline étaient remis en cause.
Le réseau social n’est plus une affaire de geeks, mais même le grand public comprend l’importance de ces fonctions. Ce qui est arrivé à Ferguson aurait-il eu le même impact si Twitter n’affichait pas instantanément tous les tweets ? Si Twitter devient un nouveau Facebook, quel intérêt lui restera-t-il ? À trop vouloir suivre un modèle qui n’est pas le sien, Twitter court le risque de perdre toute légitimité…