Le droit à l’oubli reste en travers de la gorge de Google. Cette décision de la Cour de justice de l’Union européenne oblige le moteur de recherche à supprimer les liens concernant un habitant de l’UE, sur sa demande. Google a mis en place un formulaire spécifique et a débuté fin juin les premières opérations de nettoyage. Mais l’entreprise de Mountain View n’est pas spécialement satisfaite de la façon dont les choses se sont décidées. Larry Page, à l’occasion de Google I/O, a ainsi évoqué la nécessité de mettre au point une solution plus pratique qu’une décision de justice, tout en rappelant qu’il suffit d’utiliser une version du moteur autre que celle d’un pays européen pour retrouver tous les résultats d’une recherche (lire : Larry Page : « Google facilitera la vie des utilisateurs »).
Si Google n’a pas d’autres choix que d’obéir à la Cour de justice, la société passe aussi à l’offensive pour démontrer l’inanité de cette disposition européenne. Il est impossible d’affirmer avec certitude que Google a fait pression pour faire connaître certaines demandes de droit à l’oubli, comme celle émanant de Stanley O'Neal, ancien patron de la banque Merryll Lynch qui a voulu supprimer les liens vers des articles concernant sa gestion calamiteuse avant et pendant la crise des subprimes. L’histoire de cet arbitre écossais qui désirait faire retirer les liens revenant sur son aveu de mensonge à propos d’un penalty a également fait la une de la presse. Ces deux cas ont été très médiatisés (surtout dans les pays anglo-saxons, Grande-Bretagne en tête), et ça n’est sans doute pas un hasard puisque ces histoires montrent le pire du droit à l’oubli : blanchir le CV de gens peu recommandables en cachant aux yeux du monde (enfin, des internautes européens) quelques faits peu reluisants. Difficile de croire que ces exemples n’ont pas été dument sélectionnés par Google et livrés tout cru à la presse.
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Le moteur de recherche a cependant décidé de ne plus avancer masqué. David Drummond, le grand patron du service juridique de Google, a signé une opinion dans le quotidien anglais The Guardian, dans lequel il veut ouvrir le débat sur l’équilibre entre la liberté d’information et le respect de la vie privée. Pour expliquer son point de vue, Drummond sort l’artillerie lourde, à savoir la Déclaration universelle des droits de l’homme. L’article 19 statue que « tout individu a droit à la liberté d'opinion et d'expression »; or, la décision de la Cour européenne de justice estime que les individus ont le droit de demander le retrait d’informations « inadéquates, non pertinentes ou qui ne sont plus pertinentes, ou excessives ». Des notions « très vagues et subjectives » qui placent le moteur de recherche dans une situation périlleuse, même s’il ne s’agit ici que de liens, et pas des articles en question (Google prévient systématiquement l’auteur d’un article dont il s’apprête à retirer le lien). Une tâche « gigantesque » : depuis le mois de mai, Google a reçu 70 000 requêtes de retrait de liens, couvrant 250 000 pages web. Une équipe est en charge de soupeser chaque demande individuelle, et d’agir le cas échéant, avec « des informations limitées et pratiquement sans contexte ».
Ce travail mène d’ailleurs à des erreurs : plusieurs liens retirés ont été remis en ligne depuis la semaine dernière. Afin d’améliorer le processus, Google va mettre en place un conseil d’experts dont les membres (académiques, de la société civile, des médias, des spécialistes de la confidentialité des données) seront annoncés sous peu. Il s’agit de trouver un équilibre entre les droits d’une personne à la vie privée avec le droit de savoir. Des réunions publiques se tiendront cet automne à travers le vieux continent afin de débattre du sujet : les condamnations criminelles doivent-elles être effacées ? Quelles sont les implications de la décision de la Cour de justice ? Quelles retombées pour les éditeurs et les sites web ? Comment améliorer la transparence ?
Tout cela ressemble à une manière de faire pression sur les politiques afin qu’ils s’emparent de ce sujet délicat du droit à l’oubli. « C’est un problème complexe », conclut David Drummond, « et il n’y a pas de solutions évidentes ».