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Tony Fadell : un peu d'Apple chez Google

Mickaël Bazoge

lundi 16 juin 2014 à 10:49 • 22

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À la fin des années 90, Tony Fadell avait demandé à un investisseur potentiel de mettre un peu d'argent dans sa start-up Fuse Systems. Son argument était le suivant : « Je suis le gars qui en connait plus que n'importe qui sur les produits mobiles ». Une boutade certes, qui ne lui a d'ailleurs pas rapporté un sou à l'époque, mais qui résume assez bien les compétences du personnage. Dix ans plus tard, il avait dans son portfolio l'iPod qui a révolutionné non seulement l'écoute musicale en mobilité en emboîtant le pas au Walkman de Sony, mais également toute l'industrie de la musique — sans oublier de faire rentrer Apple sur un nouveau marché que l'entreprise dominera dans les années à venir avec l'iPhone, pour lequel Tony Fadell a également eu son mot à dire.

Après avoir quitté Apple en 2008, il passe pratiquement deux années à retaper sa maison de vacances et c'est à cette occasion qu'il se rend compte de la médiocrité des thermostats, contre lesquels il peste régulièrement. L'idée de Nest était née. Fin 2009, il se lance dans un tour de table afin de financer cette nouvelle start-up, pour laquelle il n'a aucun mal à récolter les fonds. Après le lancement du thermostat et d'un détecteur de fumée — qui rencontre quelques soucis de fonctionnement —, l'entreprise est achetée par Google en début de cette année pour 3,2 milliards de dollars.

Tony Fadell, qui fait l'objet d'un long portrait dans Fortune, est un des rares « disciples de Steve Jobs » qui a su trouver sa voie en dehors d'Apple, tout en conservant dans l'ADN de ses produits quelque chose de la Pomme. L'acquisition par Google de Nest, qui sur le papier peut paraitre surévaluée, ne l'est finalement pas tant que ça si on la regarde sous un autre angle : le moteur de recherche s'est offert ici un peu de ce qui a fait le succès d'Apple durant la décennie 2000. Comme le dit Randy Komisar, un des investisseurs qui ont cru à l'aventure Nest, « je pense que Larry [Page] s'est offert le génome d'Apple pour pas cher ». Beaucoup avaient espéré qu'Apple achète Nest : dans un mouvement qui aurait rappelé l'acquisition de NeXT, Tony Fadell, de retour au bercail, avait toutes les capacités pour devenir CEO du constructeur de Cupertino… c'est du moins ce qui se murmurait à l'époque dans la Silicon Valley.

Le Velo sans roues de Philips.

Le natif du Michigan, qui a étudié dans le domaine de l'informatique (comme beaucoup, il a débuté sur un Apple II), a débarqué en Californie en 1991. Il a persuadé Philips de l'embaucher afin de concevoir des produits mobiles basés sur Windows CE. Il a développé deux terminaux, les Velo et Nino, des PDA à la Palm Pilot, qui ont reçu à l'époque des critiques élogieuses. Malheureusement, les commerciaux de Philips à l'époque étaient plus intéressés, financièrement parlant, par les ventes de téléviseurs. Tony Fadell a retiré de cette expérience mi figue, mi raisin qu'un bon produit n'est rien sans le support du marketing, des commerciaux, et de l'équipe dirigeante.

Des rapports houleux entre deux fortes têtes

Quand Steve Jobs et Jon Rubinstein sont venus le trouver pour travailler sur un projet de baladeur musical, cela a fait partie des conditions posées. « J'avais connu une faillite du marketing chez Philips. J'avais construit un produit que nous ne pouvions ni vendre, ni distribuer. Je savais que nous avions besoin du support des dirigeants », explique Fadell. La réponse de Jobs a été sans équivoque : avec l'iPod, « nous nous attaquons à Sony ».

En 2007, la dream team de Steve Jobs : de gauche à droite, Phil Schiller, Tony Fadell, Jony Ive, Scott Forstall, Eddy Cue. Crédit Jonathan Sprague, Redux.

Si Fadell a débuté à Cupertino comme consultant, il est rapidement devenu un salarié à plein temps, malgré un caractère visiblement pas facile : il s'est souvent écharpé avec Rubinstein et Scott Forstall, décrit comme sa « némésis ». Mais c'est avec Steve Jobs que les relations ont été les plus orageuses. La légende veut qu'à plusieurs reprises, le CEO ait viré Fadell. En fait, corrige l'intéressé, c'est lui qui démissionnait… avant évidemment de revenir (au moins deux fois, se rappelle-t-il). Fadell raconte ainsi s'être pris le bec avec Steve Jobs quand Apple a réassigné plusieurs des membres-clé de l'équipe iPod à un autre projet. Devant la démission de Fadell, Jobs lui a simplement dit qu'il « réagissait de manière excessive ». « Je lui ai alors dit, "non, ce n'est pas excessif". Il faut savoir se défendre, personne ne le fera à votre place. »

Steve Jobs « trouvait que je posais trop de questions », ajoute Fadell. « Je n'arrêtais pas de lui demander "Eh bien, qu'est-ce que tu penses de ça ? Et de ça ?", et il répondait "J'en ai assez". Cela le frustrait. Mais quand il me posait des tonnes de questions, cela pouvait me frustrer à mon tour, et je pensais "Steve, laisse moi tranquille" ». Les relations entre les deux personnages ont alterné entre deux archétypes : la relation père/fils et professeur/mauvais garçon.

Il faut dire que Fadell n'a pas arrangé sa réputation lorsqu'il s'est mis en tête de fréquenter Danielle Lambert, une cadre haut placée dans la hiérarchie des Ressources humaines d'Apple. Jobs a surpris les deux tourtereaux dans le lobby du QG d'Apple, alors en plein milieu d'une discussion qui n'avait visiblement aucun rapport avec le travail.

Madame et monsieur.

Malgré tout, Tony Fadell bénéficiait d'une plus grande liberté que d'autres haut responsables d'Apple. Il pouvait ainsi rencontrer des investisseurs, des journalistes, d'autres entrepreneurs… ce qui était pourtant la chasse gardée de Jobs. Fadell et Danielle Lambert se sont mariés alors qu'ils travaillaient encore pour Apple. Ils ont quitté ensemble l'entreprise le même jour de 2008, avant de louer un appartement à Paris.

Pendant cette « retraite » de 18 mois, Fadell est tout de même resté consultant auprès de Steve Jobs. Le CEO d'Apple avait exprimé un certain intérêt pour Nest, notamment ce qui concerne l'aspect « économie d'énergie » du thermostat. Durant l'été 2011, Fadell était prêt à partager plus d'infos avec Jobs, et notamment lui dévoiler son thermostat… malheureusement, c'est aussi l'époque durant laquelle il a vraiment commencé à souffrir de sa maladie. « J'aurais aimé pouvoir lui montrer [le produit], mais ce n'était pas le bon moment ».

Nest, bâti sur l'inertie d'Apple

C'est avec un de ses anciens stagiaires chez Apple, Matt Rogers (qui prit rapidement du grade et fut responsable de l'iPod nano et l'iPod shuffle), que Tony Fadell créa Nest fin 2009. Il demanda également conseil auprès de Bill Campbell, président d'Intuit et membre du conseil d'administration d'Apple.

Il débauche beaucoup à Cupertino : spécialistes des affaires juridiques, ingénieurs, ressources humaines… « Apple est une grande entreprise », raconte Matt Rogers. « L'iPod en particulier n'a plus été une grande priorité d'Apple quand Tony est parti [en 2008], et le marché [des baladeurs numériques] déclinait. Voir partir ces talents pour faire quelque chose d'autre n'a pas déclenché beaucoup d'alarmes » chez Apple. Évidemment, Danielle Lambert a mis la main à la pâte, elle qui connaissait bien les profils pour les avoir embauchés chez Apple (lire : iStart-ups : qui sont les rejetons d'Apple ?).

Crédit Martin E. Klimek, USA TODAY.

Les profils embauchés par les deux fondateurs de l'entreprise, largement issus des rangs d'Apple, ont permis à Nest de bâtir très rapidement une grande crédibilité auprès des fournisseurs. Ainsi, la start-up n'a rencontré aucune difficulté pour rencontrer et travailler avec des sous-traitants, alors qu'habituellement, la relation de confiance est plus difficile et plus longue à bâtir. « Le CEO de Texas Instruments a même visité notre garage », s'amuse Shige Honjo, ex-ingénieur d'Apple spécialisé dans le spectre radio et un des premiers employés de Nest.

Il n'est donc guère étonnant de voir la culture d'entreprise de Nest partager des points communs avec celle d'Apple. Tony Fadell glisse son nez partout et n'hésite jamais, à l'instar de Steve Jobs, à rentrer dans les détails. C'est un boss exigeant qui en demande beaucoup à ses troupes. En revanche, au contraire de la Pomme, les informations ne sont pas cloisonnées et l'organisation en silo d'Apple n'a pas cours chez Nest. Tony Fadell apprécie ce décloisonnement, qui rappelle la culture de Google.

Google par intermittence

En 2009, aux premiers investisseurs, Tony Fadell présente deux produits, un thermostat et un détecteur de fumée. Avec dans les cartons des projets pour réinventer tous les objets ennuyeux de la maison en leur insufflant un peu d'intelligence. Fin 2013, Nest a fait circuler le mot : l'entreprise cherchait à lever un peu d'argent auprès des investisseurs. Google, qui a investi quelques dollars aux débuts de la start-up via Google Ventures, sent l'opportunité et propose de l'acquérir en intégralité pour 3,2 milliards de dollars (1 milliard pour la société, 2 milliards pour Fadell, raconte la légende).

De gauche à droite, Matt Rogers, Larry Page et Tony Fadell.

Nest fonctionne de manière autonome et emploie plus de 460 employés. « On a l'impression qu'on n'a pas vendu la société », explique Rogers, même si Tony Fadell tient Larry Page informé régulièrement (il passe une journée par semaine chez Google). De nombreux observateurs se sont beaucoup interrogés sur le sens de cet achat. « Google est prêt à investir des milliards dans cette entreprise durant les prochaines années », décrypte un investisseur du fonds Kleiner Perkins.

Nest travaille évidemment sur ses prochains produits. La culture du secret (là encore un héritage d'Apple) est de mise, mais Fadell a déjà fait connaitre son intérêt pour les systèmes de surveillance de la maison, la santé, la sécurité, la conservation de l'eau. Nous devrions mieux connaître certaines de ces nouveautés avant Noël… Pour le moment, l'ambition de Tony Fadell reste centrée autour de son protégé, mais il n'est pas interdit de penser qu'un jour, il veuille occuper plus de place au sein de l'organigramme de Google. Ses compétences y seront fort utiles pour hausser le niveau de jeu du moteur de recherche en matière matérielle, un domaine où Google pèche quelque peu (qu'on se rappelle du défunt Pixel Q ou du Chromebook Pixel). Et pourquoi pas, un jour, envisager de s'asseoir sur le siège de CEO de Google ? Voilà qui complèterait l'analogie de l'acquisition de NeXT par Apple…

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