Le rebondissement est inattendu et relance non seulement la guerre entre Oracle et Google, mais également les discussions âpres autour des brevets logiciels. Le 9 mai, les trois juges de la cour d'appel américaine en charge du dossier ont complètement retourné la décision du juge Alsup qui, en septembre 2012, avait estimé que Google n'avait enfreint aucun copyright des 37 API de Java utilisées dans le développement d'Android (lire : Oracle perd son procès contre Google). Oracle, qui réclamait jusqu'à 6 milliards de dollars auprès du moteur de recherche, avait même subi l'humiliation de reverser 1,13 million de dollars à son ennemi afin de régler ses frais de justice.
Néanmoins, le juge Alsup ne s'était pas prononcé sur le fond de l'affaire, à savoir l'application du droit d'auteur aux API — le diable se nichant dans les détails, c'est précisément là qu'a frappé la cour d'appel. De fait, celle-ci estime que les API peuvent bel et bien prétendre à la protection du copyright, même si elles sont composées de « briques » disponibles librement pour tous.
Florian Mueller, spécialiste du droit et développeur Android à ses heures perdues, explique sur Foss Patents que n'importe quel travail créatif peut être découpé en petits morceaux ne pouvant pas prétendre à être protégés par le copyright, comme les notes d'une partition ou les noms de variables du code d'un logiciel. La question qui se posait au juge Alsup ainsi qu'à ses collègues de la cour d'appel était alors de déterminer si la manière dans laquelle ces morceaux sont assemblés peuvent prétendre au droit d'auteur. Et dans le cas des API d'Oracle, les trois juges ont estimé que oui.
Si la cour d'appel assume qu'une API, et par extension les logiciels, peuvent légitimement être protégés par le droit d'auteur, alors l'utilisation faite par Google des interfaces de programmation Java d'Oracle était effectivement contraire à la loi. De plus, les juges estiment que dans sa défense, Google a tordu le bras au droit à l'usage équitable dont l'entreprise se prévalait. L'affaire pourrait maintenant se diriger tout droit vers la Cour Suprême des États-Unis, l'instance judiciaire ultime du pays, mais la décision devra attendre quelques années supplémentaires.
Le moteur de recherche se dit évidemment déçu de ce coup de théâtre, qui « crée un précédent préjudiciable pour l'informatique et le développement de logiciels ». Si l'on doit fêter cette nouvelle chez Oracle, elle est aussi susceptible de provoquer une véritable révolution : si les API des éditeurs — comme celles que fournit Apple — doivent comprendre un accord de licence, tous les services et logiciels qui seront bâtis avec ces API (normalement gratuites à l'usage) pourraient bien être obligés de tout reprendre à partir de zéro.
Avec tous les problèmes d'interopérabilité que cela implique, les API servant à connecter les logiciels avec les bases de données des fournisseurs d'informations. Que se passera t-il lorsqu'une application utilisant les API d'un Google, Facebook, Apple ou autre devra réinventer la roue sous la menace d'une telle épée de Damoclès ? Une situation illustrée par ce dossier, un peu particulier il est vrai au vu de l'animosité de départ qui existe entre Oracle et Google.