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Rapport Lescure : le CSA dans le rôle de l'Hadopi et une taxe sur les appareils connectés

Stéphane Moussie

lundi 13 mai 2013 à 20:45 • 66

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Pierre Lescure et Aurélie Filippetti


« 9 mois (de boulot). 2,3 kg. », la mission Lescure vient d’accoucher de son rapport Contribution aux politiques culturelles à l’ère numérique en deux épais tomes qui renferment 80 propositions sur les contenus culturels numériques. Missionné par le gouvernement l’été dernier, Pierre Lescure (homme d’affaires et ancien patron de Canal+, entre autres), entouré d’une équipe de sept personnes, a mené une centaine d’auditions. Plusieurs centaines de contributeurs ont également participé aux débats sur le blog mis en place spécialement.

Le rapport remis aujourd’hui à la ministre de la Culture, Aurélie Filippetti, fait la synthèse de ce qui est l’« Acte II de l’exception culturelle » française — un concept pour désigner les spécificités de l’industrie culturelle française, comme le prix unique du livre, l’autofinancement du cinéma avec le CNC... Le spectre couvert est très large : il est aussi bien question de la suppression de l’Hadopi, que d’une taxe sur les appareils connectés, en passant par la chronologie des médias. Revue des propositions les plus importantes.

L’Hadopi supprimée, le CSA reprend le flambeau



Promesse de campagne de François Hollande, la suppression de l’Hadopi, la haute autorité chargée d’encourager l’offre légale et de sanctionner les internautes qui téléchargent en dehors du circuit marchand avec le dispositif de réponse graduée (deux avertissements avant la sanction en cas de récidive), est présente dans le rapport Lescure.



« Il n’est pas réaliste de garder une autorité administrative indépendante uniquement pour la réponse graduée, même si celle-ci fonctionne très bien », a déclaré Pierre Lescure à PC INpact. « Hadopi est mal née, dans un débat trop radicalisé où on n’a retenu que le négatif. » La suppression de la haute autorité héritée du quinquennat précédent est donc expressément préconisée... mais la mission Lescure ne compte pas abandonner pour autant le dispositif de réponse graduée. Le système est pourtant critiqué dans le rapport pour son « efficacité mitigée ». Une étude qui montre qu’une partie des internautes ont changé leur habitude de téléchargement, délaissant le peer-to-peer, surveillé par l’Hadopi, en faveur du direct download, est même citée. Malgré cela, la mission Lescure veut continuer à faire vivre la réponse graduée :

« Il serait illogique d’abroger purement et simplement la réponse graduée, alors qu’elle fonctionne depuis moins de trois ans et qu’elle a d’ores et déjà produit, sur le périmètre qu’elle couvre, des effets certes modestes, mais non négligeables. En outre, une suppression « sèche » serait perçue par les internautes et par les titulaires de droits comme un signal négatif, pouvant laisser croire que l’État se désintéresse de la protection du droit d’auteur. »


Une question se pose dès lors : si l’Hadopi, qui s’occupe du dispositif de sanction avec son bras armé la CPD, est enterrée, qui va prendre le relais ? « Il y a quelques semaines, on a réfléchi à mettre cela sous le chapeau de la CNIL, a expliqué Pierre Lescure à PC INpact. Au niveau européen, les Commissions sont cependant déjà dans l’élargissement de leur mission. Ce ne serait donc pas une bonne perception. » Après avoir aussi écarté le Défenseur des Droits, « restait donc le Conseil supérieur de l’audiovisuel. » Et l’homme d’anticiper les premières critiques sur cette autorité de régulation de la télévision et de la radio créée en 1989, avant que l’Internet ne se soit démocratisé :

« Celui-ci a parfois une image un peu vieillotte, mais jusqu’à preuve du contraire, Internet est un média et la TV va être consommée par Internet. Au CSA comme au gouvernement, il y a la volonté de s’approcher de la FCC américaine ou de l’OFCOM britannique, une approche qui vise à discuter avec l’ensemble des acteurs. »


Le rapport envisage également des aménagements dans le dispositif de réponse graduée. La suspension de l’accès à Internet, une peine prévue par la loi Hadopi mais jamais prononcée dans la poignée de jugements déjà rendus, est appelée à être supprimée. Le montant maximum de l’amende, qui est de 1 500 € aujourd’hui, pourrait être ramenée à 60 € — voire plus en cas de récidive —, soit « de l’ordre d’un an d’abonnement à Deezer », souligne Pierre Lescure. In fine, la philosophie du dispositif géré par le CSA resterait la même : « La sanction pour les internautes de mauvaise foi. Pour les autres, les avertissements et le dialogue. [...] Les sanctions du CSA ne sont pas définitives et pourront être poursuivies devant le juge administratif. »




Toujours dans la cadre de la lutte contre le téléchargement illégal, plusieurs autres pistes sont abordées. Le récurrent surréférencement de l’offre légale est de la partie. Comme le remarque le rapport, « Certains moteurs de recherche ont décidé d’aller au-delà des obligations que le droit leur impose, par exemple en dégradant le classement des sites coupables d’atteintes répétées au droit d’auteur, voire en déréférençant purement et simplement de tels sites. » C’est le cas de Google notamment qui, depuis l’été dernier, prend en compte le « nombre de notifications valides de contenus illicites » dans son algorithme. Les sites avec « un très grand nombre » (Google ne donne pas de chiffre) de notifications sont rétrogradés dans les résultats. La mission Lescure souhaite que cette coopération des moteurs de recherche soit approfondie.

Dans la continuité de faciliter l’accès à l’offre légale, les services culturels « les plus "vertueux" » pourraient bénéficier d’« une priorité dans la gestion des débits [...] sous le contrôle de l’ARCEP et dans le respect des règles qui seront adoptées concernant la neutralité du net ». Une déclaration surprenante puisqu’une priorité dans la gestion des débits va justement à l’encontre de la neutralité du Net qui veut que tous les flux de données soient traités de la même manière, sans priorisation.

Autre mesure, « assécher les ressources financières des sites dédiés à la contrefaçon » en coupant la pub et les solutions de paiement. Concernant le blocage des sites par les fournisseurs d’accès, la mission se veut prudente et n’encourage pas ce genre de pratique « radicale ».


La rémunération pour copie privée préservée et une taxe sur les appareils connectés



Autre dossier brûlant, celui de la rémunération pour copie privée (RCP). Instaurée en 1985 par la loi Lang, elle est destinée à compenser l’absence de droits d’auteurs quand une copie « pour un usage privée » d’une oeuvre est réalisée sur tout type de support (clé USB, DVD, lecteur MP3...). La RCP rapporte presque 200 millions d’euros par an et sert maintenant officieusement à compenser le « manque à gagner » des échanges hors marché (peer-to-peer, direct download...).



Depuis plusieurs mois, le torchon brûle entre les industriels et les ayants droit qui composent la commission chargée d’établir les barèmes de la RCP. Les représentants des industriels fabricants ont quitté la commission en novembre en guise de protestation. Ils jugeaient que les barèmes étaient devenus « absolument incontrôlables » et que les ayants droit demandaient des « hausses excessives », avait expliqué un membre du Syndicat de l’industrie des technologies de l’information, qui représente notamment IBM, Dell, Intel et HP.

Que recommande la mission Lescure ? Déjà, il n’est pas question « de remettre en cause les fondamentaux du système actuel » de la RCP. Afin de débloquer la situation houleuse, « la mission préconise une rénovation de la gouvernance, remettant l’État au cœur du processus décisionnel en lui donnant un rôle plus affirmé d’arbitre entre les parties prenantes ». La commission pourrait être élargie et les barèmes adoptés par décret.

Les solutions de stockage dans le nuage, qui sont de plus en plus utilisées, ne sont pas oubliées : « il est souhaitable de prendre en compte, dans le calcul de la rémunération pour copie privée, ces nouvelles formes de copie. »

« Il ne s’agit pas d’assujettir en tant que tels les services de cloud computing, mais de prendre en compte, dans les barèmes appliqués aux supports matériels, les copies effectuées à partir de services de cloud computing, lorsqu’elles répondent à la définition de la copie privée. À cette fin, la mission propose une clarification législative et une actualisation des études d’usage. »


La mission Lescure voit aussi plus loin et prévoit qu’à terme, avec la généralisation des smartphones/tablettes et de l’Internet mobile, on aura un « moindre recours à la copie des œuvres sur des supports physiques, au profit d’un accès direct en ligne. » Avec cette évolution, la RCP ne sera plus adaptée.

Et d’introduire la proposition d’« une taxe sur les appareils connectés », à laquelle la RCP pourrait s’adosser à terme pour ne faire plus qu’une. « Un prélèvement unique permettrait ainsi de compenser, d’une part, le préjudice lié à la copie privée et, d’autre part, l’externalité positive dont profitent tous les appareils connectés, qu’ils soient ou non utilisés pour copier des œuvres », statue le rapport.



Pour cette taxe sur les terminaux connectés, la mission Lescure propose « un taux très modéré (par exemple 1 %) », qui est jugé « relativement indolore pour le consommateur ». Dans le cas d’un iPhone 5 16 Go, vendu 679 €, cela représenterait donc 6,79 €, auxquels il faudrait ajouter la RCP actuelle qui est de 8 €. Pour un iPad 4 16 Go, vendu 509 €, la taxe s’établirait à 5,09 €, plus les 8,40 € de RCP.

Cette nouvelle taxe pourrait rapporter 86 millions d’euros par an, une somme qui serait versée à tous les secteurs de la création culturelle.

La « contribution créative », ou licence globale, qui consiste en une contribution forfaitaire prélevée sur l’abonnement Internet pour pouvoir télécharger des oeuvres hors du circuit marchand (typiquement en peer-to-peer), n’est pas retenue comme proposition. Elle présente pourtant des « avantages indéniables » selon le rapport, comme potentiellement 1,44 milliard d’euros par an pour une contribution de 5 € par mois — soit 16 fois plus que la taxe sur les appareils connectés —, mais la mission Lescure fait état d’« obstacles de principe » : «  tout le monde paye la même somme forfaitaire, quelle que soit sa consommation de contenus culturels. Il y a là une forme d’injustice dont pourraient se plaindre les personnes qui s’abonnent à Internet à d’autres fins que le téléchargement de musique ou de films. »


À cela s’ajouteraient des problèmes économiques et pratiques : la contribution créative ne pourrait pas s’élever à 5 € par mois si elle devait concerner l’ensemble des contenus culturels protégés par le droit d’auteur, mais s'établirait plutôt entre 20 et 40 €. Un coût jugé « peu acceptable ».

Assouplir la chronologie des médias



Dans les autres propositions qui pourraient avoir un impact direct auprès du consommateur, on trouve les changements suggérés dans la chronologie des médias, un mécanisme de l’exception culturelle qui dicte quel doit être l’ordre et les délais d’exploitation d’un film. À l’heure actuelle, il faut au minimum 4 mois pour qu’un film soit disponible en DVD/Blu-ray et VOD payante après sa sortie en salle. En VOD par abonnement, le modèle de Netflix par exemple ou CanalPlay Infinity en France, il faut attendre pas moins de 36 mois (trois ans) pour que le film puisse être diffusé.

La chronologie des médias aujourd’hui (clic pour agrandir) - infographie Ecrans.fr


« L’avènement du numérique interroge les équilibres de la chronologie, reconnaît la mission Lescure. Les attentes des publics se transforment et le principe de "frustration" des désirs du consommateur, inhérent à la chronologie, est de moins en moins bien accepté. » Pour résoudre cela, plusieurs adaptations sont proposées. Il s’agirait d’avancer la fenêtre de la vidéo à la demande, en limitant si nécessaire ce raccourcissement aux services qui participent au financement d’oeuvres. Pas d’indication de délai avancée, contrairement au service de vidéo à la demande par abonnement où la fenêtre pourrait être avancée à 18 mois contre le double en ce moment. Un délai qui reste encore supérieur à l’arrivée des films sur Netflix aux États-Unis qui se situe autour de 10 mois après la sortie en salle.

Fiscalité, propriété intellectuelle, DRM...



Concernant les questions de fiscalité, le rapport Lescure appuie la récente proposition de MM. Colin et Collin d’une taxe sur les données personnelles (lire : La taxe sur les données personnelles se dessine). Le but est de réduire « l’asymétrie des règles fiscales » qui joue en défaveur des entreprises implantées en France face aux multinationales qui usent d’optimisation fiscale.

Sont aussi abordées les exceptions au droit d’auteur. Il s’agirait de clarifier le statut juridique des créations transformatives (mash-up, remix...), de simplifier et sécuriser l’exception pédagogique et de mettre en oeuvre l’exception handicap afin de favoriser l’accès à la culture et à l’information des personnes atteintes de handicaps.

Le rapport Lescure prône également une plus grande régulation des DRM, en l’appliquant notamment aux logiciels : « Cela permettrait au régulateur d’exercer, de façon harmonisée et lisible, sa mission de garantie de l’interopérabilité et des exceptions pour l’ensemble des œuvres protégées, y compris les jeux vidéo. » Autre point, l’inscription dans la loi de l’interdiction d’apposer des DRM sur les œuvres appartenant au domaine public.

Les réactions



Ce rapport dense qui vise à aiguiller le gouvernement sur les mesures à prendre dans le domaine du numérique a suscité d’ores et déjà de nombreuses réactions. L’Hadopi, qui s’attendait à sa disparation, se dit « réjouit des recommandations de consolidation et d’évolution des missions actuellement assurées par [elle] ».

« En proposant de conserver l’ensemble des missions au sein d’une seule entité publique, le rapport ouvre des perspectives garantissant la poursuite d’un travail public spécialisé autour des questions de diffusion des contenus culturels sur internet, nécessaire à la bonne prise en compte de la très haute technicité du sujet et de son évolution permanente. »


Les ayants droit sont à la fête. L’Adami évoque un rapport « historique » dont les « propositions formulées vont dans le sens de l’intérêt général. » La Sacem est dans le même ton et « salue la qualité du diagnostic et des propositions avancées. »


Le député PS Patrick Bloche, fervent opposant à l’Hadopi, regrette que ce ne soit pas tout le dispositif de riposte graduée qui soit supprimée, et pas seulement la haute autorité. L’April, association de défense du logiciel libre, estime que le rapport « affiche de bonnes intentions, mais préconise une solution qui les réduits à néant » en raison de l’absence « d’un réel droit à l’interopérabilité pour tous. »


La Quadrature du Net, une organisation de défense des droits des citoyens sur Internet, qui n’a pas souhaité participer à la mission Lescure, dénonce « un processus politique vicié démontrant l’influence néfaste à tous les échelons de groupes industriels. »


La balle est maintenant dans le camp du gouvernement pour reprendre, ou pas, les propositions présentées.
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