Heurs et malheurs des commissaires européens. « J’en ai pleuré », avouait Margrethe Vestager en conférence de presse après que la Cour de justice européenne a confirmé qu’Apple devait rembourser 13 milliards d’euros à l’Irlande, « c’est très important de montrer aux contribuables européens que la justice fiscale peut parfois être faite ». « Je démissionne de mon poste de commissaire européen », déclare Thierry Breton dans une courte missive, « avec effet immédiat ».
C’est le dernier rebondissement d’une lutte à couteaux tirés entre le commissaire au Marché intérieur et Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, qui est en train de constituer son exécutif pour les cinq prochaines années. L’ancien président-directeur général d’Atos avait pris la tête d’une fronde déplorant la verticalité du pouvoir de la présidente, mais avait poussé son avantage en attaquant son éthique en pleine campagne électorale, lorsqu’elle avait favorisé la nomination d’un allié politique au poste prestigieux d’émissaire responsable des PME.
L’épisode, qui avait abouti au vote d’une motion de défiance au Parlement, a laissé des traces. Si la France a proposé son nom pour un second mandat, on ne peut pas dire qu’il ait reçu un soutien chaleureux d’Emmanuel Macron. Ursula von der Leyen s’est engouffrée dans la brèche en demandant le retrait de sa candidature, promettant que la France hériterait d’un portefeuille « plus influent » en contrepartie. « À la lumière des derniers développements », conclut le commissaire au Marché intérieur en déplorant « une nouvelle fois une gouvernance douteuse », « je dois conclure que je ne peux plus exercer mes fonctions au sein du Collège ».
Breton peut se prévaloir d’avoir présidé aux destinées de l’AI Act, le premier cadre législatif régulant les ”intelligences artificielles”, et d’avoir constitué un fonds d’investissement dans l’industrie des semiconducteurs de 42 milliards d’euros. Ces succès indéniables ont été entachés par une propension aux coups de communication qui agace à Bruxelles — passe encore qu’il tance Mark Zuckerberg, mais pas en se présentant comme un capitaine d’industrie, surtout lorsque l’on connait la situation d’Atos ! Ses piques régulières à l’encontre d’Elon Musk sont d’autant moins bien reçues qu’elles pourraient être interprétées comme une ingérence politique.
Le destin du commissaire français contraste avec celui de Margrethe Vestager, qui termine son mandat de troisième vice-présidente de la Commission sur un triomphe. Commissaire à la concurrence depuis dix ans, elle est devenue la bête noire des géants du numérique en renforçant le droit communautaire, parvenant à faire condamner Google pour abus de position dominante et obtenant le redressement fiscal monumental d’Apple. Avec son départ et la démission de Breton, la Commission européenne perd deux figures de poids dans la législation du numérique.