Le département de la Justice des États-Unis ainsi que 16 États américains accusent Apple de pratiques anticoncurrentielles et d'avoir organisé un monopole sur le marché du smartphone. Après l'Europe et le règlement des marchés numériques (DMA), Apple est prise dans un autre ouragan, judiciaire cette fois, et sur son premier marché mondial qui plus est.
« Apple exerce un pouvoir grâce à son monopole pour soutirer plus d'argent aux consommateurs, aux développeurs, aux créateurs de contenus, aux artistes, aux éditeurs, aux petites entreprises et aux commerçants, entre autres », indique le communiqué du département de la Justice (DOJ).
Plusieurs exemples sont convoqués pour appuyer cette accusation, ils regroupent de nombreux aspects de l'activité, des plateformes et des services d'Apple :
- Gêner les « super applications » qui englobent de nombreux programmes différents et pourraient dégrader la « visibilité d'iOS » et permettre aux utilisateurs d'iPhone de passer plus facilement à des appareils concurrents. Ces supers apps, identiques entre iOS et Android relèguent les avantages d'un écosystème propriétaire au second plan (lire aussi Facebook Gaming se résigne à son tour à passer par une web app sur iOS ) ;
- Bloquer les applications de streaming sur iPhone pour des usages comme les jeux vidéo, ce qui éviterait aux clients d'investir dans un équipement plus puissant et plus onéreux ;
- Dégrader l'expérience utilisateur des apps de messagerie entre plateformes concurrentes et en rendant compliqué le passage de l'une vers l'autre lorsqu'on veut quitter iOS ;
- Rendre plus compliquée l'utilisation d'une montre connectée de marque tierce d'au moins trois manières : pour répondre aux notifications transmises par l'iPhone ; pour recevoir ces notifications via la connexion cellulaire de cette montre et enfin sur la connexion Bluetooth, plus avancée dans ses possibilités entre un iPhone et une Apple Watch qu'avec une montre tierce alors que rien techniquement ne justifie cette différence de traitement ;
- Empêcher les développeurs tiers de proposer des concurrents à Wallet d'iOS et d'utiliser la NFC de l'iPhone.
« Pendant des années, Apple a répondu aux menaces concurrentielles en imposant une série de règles et de restrictions contractuelles qui ont permis à Apple de bénéficier de prix plus élevés auprès des consommateurs, d'imposer des frais plus importants aux développeurs et aux créateurs et de limiter les alternatives concurrentes et les technologies rivales », a déclaré Jonathan Kanter, chef de la division antitrust du DOJ, dans le communiqué.
Apple a réagi vigoureusement en considérant que ce procès menace sa capacité d'innovation en la déplaçant entre les mains des gouvernements :
[Ce procès] met en péril ce que nous sommes et les principes qui distinguent les produits Apple sur des marchés extrêmement concurrentiels. En cas de succès, cela entraverait notre capacité à créer le type de technologie que les gens attendent d’Apple, où le matériel, les logiciels et les services se croisent.
Cela créerait également un dangereux précédent, en permettant au gouvernement de prendre la main dans la conception de technologies destinées à tous les utilisateurs. Nous pensons que ce procès n'est pas justifié sur le plan des faits et du droit, et nous nous défendrons vigoureusement.
Il n'en reste pas moins que sur plusieurs points, Apple pourrait avoir du mal à tenir ses positions ou avoir beau jeu de montrer que de l'eau a coulé sous les ponts depuis l'ouverture de l'enquête du DOJ en 2019.
Dans le cadre du DMA elle a par exemple cédé sur la puce NFC des iPhone qui est réservée à Apple Pay (lire aussi En Europe, Apple accepte d'ouvrir la NFC des iPhone à toutes les apps de paiement). Le DOJ le fait d'ailleurs remarquer, arguant que ce blocage n'avait aucune raison technique. Idem sur l'accès à l'App Store pour les apps de streaming de jeux. Dans le premier cas, cela reste limité à l'Europe, mais dans le deuxième, la mesure est applicable au niveau mondial.
Apple va ouvrir l'App Store aux services de streaming de jeux vidéo
D'autres accusations arrivent alors qu'Apple a également fait des concessions : Messages va prendre en charge le RCS promu par Google et que la Pomme a longtemps dédaigné (lire aussi Google exulte : Apple va finalement adopter RCS, le « SMS 2.0 », en 2024).
L'issue de ce procès, que le DOJ assimile à d'autres grandes affaires d'antitrust — Standard Oil Co, AT&T ou Microsoft — est capitale pour Apple. Les États-Unis sont le premier marché de l'iPhone et d'autres pays pourraient s'inspirer de ce que l'Europe a déjà fait et de ce que le DOJ entreprend.
Ce dernier juge nécessaire d'intervenir, car les implications dépassent le seul cadre du smartphone étant donné qu'Apple est présente sur de nombreux autres marchés : services financiers, automobile, sport, médias, divertissement, etc. :
S'il n'est pas mis un terme au comportement anticoncurrentiel et d’exclusion d’Apple, il est probable qu’Apple étendra et consolidera son monopole sur l’iPhone à d’autres marchés et pans de l’économie.
C'est tout le fonctionnement de l'écosystème d'Apple, largement propriétaire, qui est en train d'être attaqué et détricoté. Il a été critiqué depuis des années, Apple y a apporté parfois des corrections par de petites touches mais elle a longtemps semblé faire fi de menaces plus sérieuses.