Tim Cook, Mark Zuckerberg, Sundar Pichai et Jeff Bezos passent sur le gril de la commission législative du Congrès américain en charge de la concurrence. Les quatre CEO sont tour à tour interrogés sur les pratiques commerciales de leurs entreprises, ainsi que sur d'autres sujets qui n'entretiennent qu'un rapport lointain avec l'objet de la commission.
Google et Facebook intéressent ainsi beaucoup les députés américains (en particulier les Républicains), sur toute sorte de questions : liens entre le moteur de recherche et la Chine, soi-disant censure du réseau social contre la frange la plus réactionnaire des conservateurs américains, demande de support technique pour Gmail ou encore la « cancel culture » véritable épouvantail de l'extrême droite américaine.
Tim Cook a tout de même eu droit à une salve de questions sur l'App Store. Il a ainsi expliqué que la boutique faisait partie intégrante de l'iPhone, comme l'est l'appareil photo ou sa puce. Le CEO d'Apple n'a pas bougé d'un iota des propos liminaires connus depuis hier soir (lire : Audition antitrust : comment Tim Cook va défendre Apple), en s'enfermant dans des arguments qui ne tiennent pas la route. Au représentant qui lui demandait si Apple traitait tous les développeurs de la même façon, Tim Cook a assuré que oui.
Mais c'est un secret de Polichinelle : si tous les développeurs sont égaux, certains le sont assurément plus que d'autres, ils bénéficient de contacts privilégiés et Apple peut même à l'occasion leur faire des fleurs. Après tout, difficile d'en vouloir à la Pomme qui sait la valeur de certaines applications de premier plan pour son écosystème, mais pourquoi ne pas le reconnaitre ? Interrogé sur la faveur faite à Baidu d'accélérer le processus de validation de l'App Store, Tim Cook a concédé qu'il ne connaissait rien de cette situation spécifique.
Autre exemple de l'asymétrie de traitement de l'App Store : le passe-droit accordé à Amazon Prime Video et quelques autres applications, qui leur permet de passer outre le système d'achats intégrés. Ce programme est-il disponible pour tous les développeurs ? « Il est disponible à quiconque respecte les conditions », s'est borné à répondre Tim Cook. Or, ce fameux programme est entouré d'une lourde chape de plomb, on en ignore tout — y compris les éditeurs qui adoreraient faire partie du club.
Tim Cook assure également qu'Apple « n'intimide pas » les développeurs qui se plaignent publiquement des pratiques de l'App Store. Transmis aux développeurs qui ont été intimidés par l'App Store pour les forcer à intégrer le système d'achats intégrés de la boutique (lire : Apple veut forcer le renouvellement automatique de l'abonnement après un essai dans l'app Down Dog).
Sur la question de la concurrence à proprement parler, le CEO d'Apple n'a pas varié son discours : les développeurs ont la possibilité de concevoir des apps pour Android, pour la Xbox, la PlayStation, « c'est comme un combat de rue pour les parts de marché ». D'autres plateformes existent bien sûr, mais sur iOS les développeurs n'ont pas d'autre choix que de passer sous les fourches caudines de l'App Store. Tim Cook a également assuré qu'Apple n'augmenterait jamais la commission de 30%, même si l'entreprise a toute latitude pour le faire.
Les poids et les mesures de l'App Store
Une affaire remontant à la fin de l'année 2018 est revenue hanter Tim Cook durant l'audience, celle qui concerne les applications de contrôle parental qui surveillaient l'activité des bambins via l'installation d'un profil MDM (Mobile Device Management). Plusieurs d'entre-elles ont été retirées de l'App Store, certaines ont pu y revenir (lire : Apple s’en prendrait aux applications concurrentes à Temps d’écran). À l'époque, le soupçon portait sur la concurrence que faisait peser ces apps sur la fonction Temps d'écran inaugurée avec iOS 12.
Le patron d'Apple a expliqué que la technologie MDM utilisée — qui sert normalement dans le cadre d'une entreprise — plaçait les données des enfants à risque. « Nous nous inquiétions de la sécurité des enfants ». Pourtant, en février 2019, Apple autorisait une application de flicage des femmes en Arabie saoudite, Absher, basée sur le même principe. À l'époque, Tim Cook avait assuré qu'il ne connaissait rien de cette application… et ça n'a pas beaucoup avancé.
« Je ne connais pas cette app », a-t-il encore dit, avant de proposer de se pencher plus avant sur ce dossier. « Nous appliquons les mêmes règles à tous les développeurs », a-t-il encore assuré. Pour les apps de contrôle parental, Tim Cook explique qu'il en existe une trentaine aujourd'hui sur l'App Store, « il y a beaucoup de concurrence ». Il ajoute qu'Apple ne génère aucun revenu sur cette activité.
Le CEO jure vouloir toutes les applications possibles et imaginables sur sa plateforme, malgré le pouvoir de vie et mort qu'Apple s'est octroyé sur le catalogue de l'App Store… et les éventuelles distorsions de concurrence. L'application de l'éditeur Random House a ainsi été refusée au moment même où elle refusait de rejoindre l'iBooks Store.
Une coïncidence pour Tim Cook, qui s'est placé sur le terrain de la technique : « Il y a beaucoup de raisons qui font que l'application n'a pas été acceptée par l'App Store. Cela peut ne pas fonctionner correctement, ou il peut y avoir d'autres problèmes ».
Le patron d'Apple a également été interrogé sur les cas d'Airbnb et de ClassPass, qui à la faveur du confinement, ont commencé à vendre des cours virtuels sur lesquels le constructeur cherche à imposer sa commission. Tim Cook assure qu'Apple ne cherche pas à profiter du coronavirus et de ses conséquences.
« La pandémie est tragique et elle fait mal aux Américains et partout dans le monde. [Pour ces deux applications], ce sont des cas où les apps proposent des services numériques qui techniquement doivent passer par notre modèle de commission ». Il confirme qu'Apple travaille toujours avec ces éditeurs. Tim Cook reconnait toutefois que l'App Store peut faire des erreurs, la boutique recevant 100 000 soumissions d'applications chaque jour.
La question du sherlocking a aussi été évoquée. Tim Cook a expliqué que les applications d'Apple étaient soumises aux mêmes guidelines que les développeurs tiers (ce qui est faux, les apps d'Apple utilisent des API privées interdites aux développeurs). Dans ce cas, pourquoi Apple se permet-elle de proposer des clones d'applications quand les règles de l'App Store interdisent spécifiquement ce genre de pratique. Le CEO d'Apple se dit « pas familier » de ce dossier et indique qu'il reviendra vers la commission avec davantage d'informations sur le sujet.