Le Wall Street Journal dresse le portrait de Tony Blevins, un nom peu, sinon pas, connu dans la hiérarchie d'Apple. Il en est l'un des membres importants, c'est lui qui supervise les approvisionnements en composants auprès des fournisseurs.
Agé de 52 ans, ce vice-president of procurement, a autrefois travaillé chez IBM, comme Tim Cook, qui l'a recruté en 2000. Au départ il pouvait s'occuper des achats de fournitures aussi basiques que le papier toilette.
Puis il a rapidement pris en charge l'approvisionnement en composants pour les iPod et géré le contrat d'exclusivité de 5 ans qu'Apple négocia sur les mémoires flash afin de couper l'oxygène à ses concurrents et les empêcher de proposer des produits équivalents.
L'article cite plusieurs anecdotes sur la manière dont il procède pour obtenir des rabais, un bréviaire du parfait commercial. Comme l'explique un ancien employé, le leitmotiv de Tim Cook après son embauche par Steve Jobs était que « 10% économisés sur l'achat de composants permettrait d'augmenter les bénéfices plus rapidement qu'en vendant davantage d'ordinateurs ».
Parmi ces bonnes techniques, il y en a de classiques, comme de faire passer, dans le hall d'attente, de potentiels nouveaux fournisseurs devant ceux avec qui Apple est déjà en affaire. Ou de montrer son mécontentement à propos des termes d'un contrat prévu avec UPS en le renvoyant à l'expéditeur… via FedEx.
Lorsque STMicroelectronics — fournisseur en gyroscopes notamment — refusa de baisser ses prix, Apple appliqua sa menace d'aller voir ailleurs, et ce sont potentiellement 150 millions de dollars de chiffre d'affaires qui s'envolèrent (les deux entreprises continuent de travailler ensemble).
En 2013, Apple voulut que Qualcomm ajoute aux rabais qu'il pratiquait déjà sur ses modems pour les iPhone et iPad, une ristourne supplémentaire liée aux composants fournis par le concurrent Infineon.
Rien dans le contrat qui liait Apple à Qualcomm ne spécifiait une telle obligation et elle « n'avait aucun sens » en soi. En outre, cela ne représentait une économie que de 40 millions de dollars, soit une goutte d'eau dans les finances d'Apple.
Mais pour Blevins, elle s'entendait comme une contribution à la « bonne entente entre partenaires ». Qualcomm refusa, l'affaire remonta aux niveaux supérieurs des deux groupes et, quand bien même le fournisseur refusa d'obtempérer, ce sont les employés concernés qui se firent tirer les oreilles pour avoir créé des difficultés avec Apple (lire aussi Apple/Qualcomm, les coulisses d'un contrat sous pression).
Il n'y a pas que les composants électroniques qui sont du ressort de Tony Blevins. Celui-ci réunit une fois plusieurs fabricants de panneaux de verre au Grand Hyatt de Hong Kong, afin d'obtenir de meilleurs prix pour les immenses vitres incurvées qui allaient habiller le bâtiment d'Apple Park. Ce seul poste de dépenses était évalué à 1 milliard de dollars dans le budget du campus. Mettant la pression sur chacun, Apple aurait réussi à économiser quelques centaines de millions.
L'article remémore également l'épisode en 2017 de l'annonce par Japan Display qu'Apple pourrait s'approvisionner en écrans LCD. Une manière pour le japonais de rassurer les investisseurs et analystes alors que l'OLED gagnait du terrain. Furieuse, Apple fit valoir que Japan Display avait un contrat de confidentialité et que l'enfreindre pouvait coûter une pénalité de 5 millions de dollars.
Japan Display ne paya pas, mais Apple obtint d'être prévenue à l'avance de toute communication et elle s'octroyait le droit de prendre connaissance de mail avec des fournisseurs de Japan Display et de l'agenda des certains responsables. Un accord qualifié de « tortueux » par un cadre de l'entreprise japonaise.
Un ancien collègue de Tony Blevins décrit ces méthodes par une analogie guerrière : « C'est un raid de vikings sur une ville pour en épuiser toutes les ressources. C'est comme de tuer les moutons plutôt que de les tondre ». Tony Blevins est parfois surnommé "Blevinator".
Enfin, il y a l'exemple d'Imagination Technologies, qui fournissait des licences sur ses puces graphiques pour mobiles. À l'heure de la rénégociation du contrat en 2017, Apple fit valoir qu'elle travaillait sur ses propres processeurs et qu'elle serait en mesure de s'affranchir de l'entreprise anglaise.
Le patron de celle-ci fit passer très officiellement l'information dans la presse, provoquant un effondrement de son action en bourse, Apple étant son principal client. Quand bien même Apple avait effectivement pour projet de se débrouiller seule, cette menace était plutôt de l'ordre d'un levier de pression pour obtenir de meilleures conditions. Pour autant, Apple ne dissuada pas le patron d'Imagination de communiquer sur l'événement.
Aujourd'hui, Imagination Technologies appartient à un fonds d'investissement chinois. Au début du mois, un accord surprise et pluriannuel a été signé avec Apple, en remplacement de celui de 2014. Il peut y avoir plusieurs raisons à cela, mais est-ce que parmi elles il y a des conditions financières plus favorables pour la Pomme que par le passé ?