Fidèle à son habitude, Apple s’est bien gardée d’exposer au CES à Las Vegas. Toutefois, cela ne l’a pas empêchée de faire (beaucoup) parler d’elle. Elle a tout d’abord signé un très joli coup marketing avec cette grande affiche qui surplombait le salon. Oui, le respect de la vie privée est un véritable argument commercial en 2019...
Si Apple était absente, les membres de son écosystème se sont chargés de la représenter. On a eu le droit notamment à une déferlante d’appareils pour HomeKit. Apple bâtit lentement mais sûrement un écosystème de plus en plus complet autour de la maison connectée.
Depuis iOS 11.3, le constructeur n’oblige plus à intégrer une puce d’identification dans les produits HomeKit, tout passe par le logiciel. Il ne fait guère de doute que la levée de la restriction matérielle a permis à de nouveaux fabricants d’embarquer sur la plateforme domotique d’Apple.
Il est également possible qu’Apple ait fait quelques coups de coude à certains réfractaires qui ne s’intéressaient pas à HomeKit auparavant…
AirPlay 2 passe à la vitesse supérieure
Mais la grande surprise pour Apple lors du CES a été l’annonce de l’arrivée d’AirPlay 2 sur de nombreux téléviseurs. Apple a passé des accords avec de nombreux acteurs, dont Samsung, LG et Sony.
Apple joue ici un habile billard à multiples bandes. L’entreprise permet à des constructeurs tiers d’intégrer des technologies vendeuses du point de vue du marketing. Mais la mise, c’est Apple qui compte la ramasser : AirPlay 2 et HomeKit vont se retrouver au cœur de plusieurs millions de postes de télé dans les mois à venir.
C’est gagnant-gagnant comme on dit, mais pour en être certain, il faudrait connaitre les arguments du contrat qui lie Apple à ses partenaires. Est-ce que l’une des parties verse de l’argent à l’autre ? Apple cherchant avant tout à promouvoir ses technologies, il est bien possible qu’elle se soit montrée plus désintéressée qu’à l’accoutumée. Il y a quelques années, il se murmurait que la licence pour AirPlay était de 4 $, mais celle-ci était accompagnée d’une puce spéciale.
Ces technologies n’ont sans doute pas été livrées gracieusement par Apple à des constructeurs dont certains — on pense à Samsung — sont aussi des concurrents sur le marché du smartphone. Le service de streaming vidéo de la Pomme approche, avec un lancement sans doute au printemps.
La compatibilité AirPlay 2 pourrait être un habile cheval de Troie : Apple donne ses technologies en contrepartie de l’installation du futur « Apple Video ». D’un coup, ce sont des millions de téléspectateurs qui peuvent s’abonner au nouveau service concurrent de Netflix !
La rumeur prête certes au constructeur californien la volonté de lancer une version allégée et abordable de l’Apple TV (un Chromecast, en quelque sorte), mais l’un n’empêche pas l’autre. Dans un contexte concurrentiel de plus en plus tendu (on ne compte plus le nombre de services de streaming vidéo), Apple veut jouer toutes ses cartes.
Bonus pas négligeable : le support de HomeKit va également permettre à l’écosystème de la plateforme domotique de trouver de nouveaux débouchés. Pas inutile quand en face on trouve Amazon et Google avec leurs milliards d’appareils compatibles Alexa et Assistant.
Ce qu'il est intéressant de noter, c’est le secret autour de ces annonces. Personne n’a vu le coup venir. Contrairement à ce que certains ont pu dire dans les médias, cette stratégie n’est pas un simple coup de tête d’Apple. En 2011 déjà, des articles laissaient entendre qu’Apple travaillait sur une telle hypothèse. Avec le recul, la prise en charge native d’AirPlay sur les terminaux HTC ressemblait à un galop d’essai...
D’un côté, l’annonce d’Apple s’inscrit dans la suite logique de ce qu’Apple a fait avec AirTunes puis AirPlay. Avec la première version de son protocole, la marque à la pomme a travaillé main dans la main avec de nombreux fabricants de produits audio. Au fil des années, le constructeur a su créer un écosystème redoutable. Maintenant qu’AirPlay 2 est sur orbite, il semble qu’Apple soit décidée à faire la même chose, mais dans le domaine de la vidéo. Et cela tombe bien, Apple souhaite lancer un petit frère à Apple Music.
La plupart des fabricants de téléviseurs finiront sans doute par intégrer AirPlay 2 dans une partie de leur gamme. Apple a ouvert les portes d’Apple Music à Alexa, après Android. Faut-il s’inquiéter comme nous l’évoquions quelques jours auparavant du sort de l’Apple TV et du HomePod ?
L’histoire nous inviterait à penser le contraire. Après tout, le HomePod était déjà en concurrence avec des systèmes audio qui embarquaient la technologie de diffusion d’Apple. Si l’on veut être optimiste, on peut penser que cela va pousser la firme de Cupertino à se dépasser et à faire en sorte que ses deux produits offrent la meilleure expérience possible pour se distinguer. L’apparition d’AirPlay 2 dans les téléviseurs pourraient même participer à démocratiser l’Apple TV. Mais l’essentiel finalement est ailleurs....
Quand Steve Jobs ne voulait pas rendre les utilisateurs Android heureux
« On a adapté iTunes à Windows pour vendre plus d’iPod. Mais je ne vois pas l’intérêt de mettre nos applications musicales sur Android, sauf si on veut rendre les adeptes d’Android heureux. Or je ne veux pas les rendre heureux ». Quelques mois avant sa mort, Steve Jobs, qui ne portait pas particulièrement Android dans son cœur, avait parfaitement expliqué à son biographe la philosophie d’Apple concernant les autres plateformes. Cette doctrine a beaucoup évolué ces dernières années.
Au début des années 2010, Apple aurait pu lancer l’iTunes Music Store sur Android et générer un chiffre d’affaires important. La rumeur est revenue à plusieurs reprises au cours de la première partie de la décennie actuelle, mais elle ne s’est jamais matérialisée. Il faut dire que la vente de musique était déjà en perte de vitesse et elle n’a jamais rapporté grand-chose à Apple. Comme le désirait Steve Jobs, c’était surtout un moyen de vendre des iPod (une stratégie couronnée de succès).
Il y a un autre service dont les rumeurs ont fréquemment annoncé la venue sur Android : il s’agit d’iMessage (lire : Apple avait envisagé un iMessage multiplateforme). Pour les utilisateurs, le fait que la messagerie instantanée ne soit disponible que sur les terminaux d’Apple est un frein à son adoption.
Mais voilà, iMessage en tant que tel ne permet pas à Apple de générer beaucoup d’argent, le constructeur ne vend pas d’iPhone sur la seule base d’iMessage. À moins de vouloir en faire une exploitation commerciale et publicitaire, mais cela ne colle pas trop avec le discours actuel d’Apple.
Soucieuse d’occuper les premiers rôles avec Apple Music, Apple a fait preuve de pragmatisme. Outre ses plateformes, son service de musique en ligne est également disponible sur Android, Windows et tout récemment, sur Alexa. Les 10 dollars par mois que coûte Apple Music ont peut-être donné à Apple l’envie de rendre les utilisateurs d’Android un peu plus heureux. Il en sera sans doute de même avec son service de streaming vidéo.
Vers un forfait Apple complet ?
D’un point de vue financier, Apple n’a pas fait de mystère (pour une fois) : l’entreprise veut doubler le chiffre d’affaires de la division Services entre 2016 et 2020. Pour y parvenir, Apple semble vouloir les multiplier ! Après le stockage iCloud et Apple Music, il y a donc ce service de vidéo dans les starting-blocks. Il n’est pas clair s’il sera associé ou non à Apple Music.
Un service de presse en ligne, qui pourrait prendre la forme d’une extension payante d’Apple News, devrait également voir le jour. Pour iOS 13 ? Mais tout cela est peut-être bien peu de choses par rapport à ce que Tim Cook a annoncé la semaine dernière : le lancement d’un service dédié à la santé, qui pourrait être la nouveauté la plus importante de 2019… et modifier en profondeur Apple. Mais cela pourrait n'être qu’une première étape.
Ce qui peut apparaitre comme nouveau dans la stratégie d’Apple, c’est sa volonté de mettre au même niveau ses services et ses produits. Et cette logique d’abonnement qui sied si bien à ses activités de services (Apple Music, iCloud…), Apple pourrait être tenté de l’étendre à ses activités hardware, voire les fusionner.
Pour tenter d’engranger toujours plus de revenus récurrents, Apple pourrait étendre son programme de leasing d’iPhone. Disponible dans une petite poignée de pays, l’iPhone Upgrade Program permet, à partir de 37 $ par mois, de recevoir chaque année le nouvel iPhone et de bénéficier de la garantie AppleCare+.
Depuis plus de deux ans, on entend parler du lancement de ce programme en France, mais rien n’a encore été mis en place ou annoncé. C’est sans doute un axe de développement pour Apple, qui pourrait proposer son abonnement à d’autres appareils (iPad, Mac). Mais pourquoi ne pas aller plus loin et proposer une offre forfaitaire qui comprendrait à la fois le matériel, le logiciel, la garantie et les services ? Une manière pour Apple de boucler la boucle.
Apple pourrait proposer des forfaits sur mesure comprenant par exemple une Apple Watch, un iPhone, un Mac, 2 To de stockage à iCloud et Apple Music. La taxe Apple, diront les mauvaises langues… ou l’équivalent d’Amazon Prime (lire : « Apple Prime » : pourquoi pas un abonnement à tout l'écosystème Apple) !
Pour Apple, ce serait une manière ultime de s’assurer une récurrence de revenus. Finalement, l’essentiel pour Apple, ce ne serait pas le nombre de Mac ou d’iPhone vendus (en écho à la volonté d’Apple de ne plus communiquer sur les chiffres de vente), mais le nombre d’abonnés à son forfait tout en un.
Outre des gains récurrents, ce serait aussi un moyen astucieux pour Apple de déplacer la question du prix autour de ses produits et services. De quoi noyer le poisson alors que beaucoup reprochent au constructeur sa politique de prix élevés…
Pour les financiers, un tel forfait serait fabuleux. Pour l’utilisateur, cela peut également être très pratique, mais ce n’est pas non plus sans danger. Une telle formule enfermerait l’utilisateur un peu plus dans l’écosystème Apple. Mais le risque que court Apple est peut-être encore plus grand : celui de s’endormir sur ses lauriers…