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Comment Apple peut rebondir

Christophe Laporte

lundi 07 janvier 2019 à 12:15 • 308

AAPL

Après les célébrations de fin d’année, le retour à la réalité est rude pour Apple. On pressentait que l’année allait être difficile pour le constructeur… Tim Cook n’a pas fait durer le suspense bien longtemps : quelques heures plus tard, l’entreprise annonçait son premier avertissement sur résultat depuis 2002 ! La Pomme a cependant toutes les cartes en main pour éviter que 2019 se transforme en annus horribilis.

L’Apple Store ICONSIAM de Bangkok.

Un profit-warning historique

Apple n’a pas échappé à la règle : une alerte sur résultats provoque immanquablement une chute plus ou moins spectaculaire du cours de l’action. Ça n’a pas loupé : ce jeudi, le titre AAPL a cédé près de 10% à 142,19 $. Il s’agit de la 28e baisse la plus forte de l’histoire du groupe, comme le relevait l’analyste Charlie Bilello qui rappelle que 26 des plus importantes baisses de l’action d’Apple se sont déroulées avant 2003.

Autant dire que le gadin subi par AAPL cette semaine restera dans les annales boursières. Pour sauver la face, il a manqué à Apple 5 milliards de dollars environ. Les prévisions données par le groupe étaient de 89 à 93 milliards de dollars de ventes : les revenus engrangés pour les trois derniers mois de l'année devraient s'établir à 84 milliards de dollars.

À l’échelle d’Apple, 5 milliards de dollars représentent 6 à 7 millions d’iPhone environ. Autre ordre de grandeur : c’est deux à trois fois plus que le chiffre d’affaires annuel total d’Apple lors de son précédent profit warning de 2002 ! C’est aussi à ça qu’on mesure la croissance stupéfiante du constructeur ces quinze dernières années.

Les mois qui viennent nous renseigneront sur la « gravité » de ce ralentissement. Est-il structurel, lié à la saturation du marché des smartphones dans le monde ? Est-ce la conséquence à la fois du ralentissement du marché chinois et de la guerre commerciale que se livrent les États-Unis et la Chine ? De ce point de vue, Apple et Huawei apparaissent comme des victimes collatérales.

Peu importe les raisons finalement. Que ce soit en 2002 ou en 2019, le constat est identique : la firme de Tim Cook doit se concentrer sur ses produits et innover. C'est l'ADN d'Apple et sans doute le seul moyen pour elle de s'en sortir…

C’est entendu, la position de Steve Jobs était sans doute beaucoup plus simple à tenir en 2002 que celle de Tim Cook en 2019. Dire qu'on a de super produits dans les tuyaux pouvait sans doute rassurer à l'époque, d’ailleurs l’argument est encore présent dans la lettre aux investisseurs de Tim Cook. Dans le cas présent, Apple doit non seulement commercialiser « de super produits », mais ces derniers doivent encore générer des milliards de dollars pour avoir un impact significatif sur le chiffre d'affaires du groupe.

Quel prochain hit pour Apple ?

Dans son histoire moderne, Apple a quasiment toujours eu un produit susceptible de la transformer en profondeur. Au tout début des années 2000, ce fut l'iPod. Rappelons en passant que le précédent avertissement sur résultats intervenait alors que l'iPod n'avait que quelques mois. On sait quel fut son destin… Puis très vite, pendant des années, les rumeurs se sont intensifiées sur un téléphone estampillé d'une pomme. Cela déboucha sur l'iPhone en 2007.

Puis, dans l'imaginaire collectif, la tablette s'est rapidement imposée aux yeux de tous. L'iPad, qui fut peut-être le lancement produit le plus réussi d’Apple, vit le jour en 2010. Ensuite, les rumeurs s'éparpillèrent entre un téléviseur (qui ne vit jamais le jour) et une montre connectée.

L’Apple Watch Series 4 est le meilleur produit Apple de 2018, selon les lecteurs de MacGeneration.

En 2015, Apple entra dans le marché de l'informatique vestimentaire. Après des débuts difficiles, l'Apple Watch ne cesse de s'imposer. C'est d'ailleurs l'une des plus grosses sources de satisfaction d'Apple à l'occasion de ces fêtes de fin d'année. Tim Cook a déclaré que les appareils vestimentaires avaient enregistré une croissance de leurs ventes de près de 50 % d’une année sur l’autre… même si Apple n’a jamais précisé les volumes de vente de sa montre, ni de ses AirPods.

Ce qui inquiète peut-être à l'heure actuelle, c'est qu'on ne voit rien venir à court ou moyen terme chez Apple. Les pistes existent, mais à ce jour, elles semblent toutes très théoriques. Les lunettes ? Au vu de tous les efforts déployés par Apple autour de la réalité augmentée à chaque keynote, il ne fait guère de doute que c'est un domaine qui doit occuper des équipes entières en interne.

Même topo pour la voiture autonome. Tout comme la réalité augmentée, Tim Cook ne s'en cache même pas, c'est un domaine qui l'intéresse et on sait qu'Apple investit lourdement dans ce domaine. Mais on est sans doute encore très loin de voir sur le marché une voiture Apple ou la voiture d'un constructeur tiers équipée de technologies Apple.

Quel potentiel pour les Mac Arm ?

À court terme, la rumeur la plus tangible et la plus à même d'avoir un gros impact sur Apple, ce sont les "Mac Arm" qui seraient attendus pour l'année prochaine. Changer de processeur pour changer de processeur ne suffira cependant pas pour booster les ventes de manière durable, comme l'avaient permis les Mac Intel : outre un gain impressionnant de performances, ces machines ouvraient la porte de la compatibilité avec Windows.

Un des premiers ordinateurs sous Windows 10 équipés de la nouvelle puce Snapdragon 8cx.

Apple doit marquer le coup et les esprits. Un Mac Arm doit représenter un véritable bond en matière non seulement de performances (les puces Ax ont le potentiel de rivaliser avec les processeurs d’Intel), mais aussi de connectivité : beaucoup sont demandeurs d’un MacBook toujours connecté au réseau, comme c’est le cas des iPad.

Un Mac Arm doit aussi offrir une autonomie inégalée. Dans ce domaine, Apple stagne comme on a pu le déplorer avec les derniers MacBook Pro.

Enfin, cette transplantation cardiaque doit aussi donner à Apple les coudées franches pour revoir le design des futurs Mac Arm. Comme le MacBook Air avait su le faire à son lancement il y a plus de 10 ans, et qui est devenu le mètre-étalon de toute l’industrie.

Sur le papier, tout ceci est alléchant, et ce sera sans doute suffisant pour relancer durablement les ventes… de Mac. Qui pesaient « seulement » 7,4 milliards de dollars au troisième trimestre 2018… Loin des 37 milliards engrangés par l’iPhone durant la même période.

En 2006, le patron d’Intel de l’époque, Paul Otellini, et Steve Jobs sur la scène de la MacWorld. Le patron d’Apple annonçait la grande bascule vers les processeurs Intel.

Malgré toutes les qualités qu’on peut lui prêter, un Mac, tout Arm qu’il soit, pourra difficilement prétendre à remplacer l’iPhone en termes de volumes et de valeur. Que cela n’empêche pas Apple de se lancer dans cette nouvelle transhumance, car les Mac ont besoin de ce coup de fouet qui les mettra à l’abri des contingences d’Intel.

S'appuyer sur les services…

Ce trou d'air était redouté… il était peut-être aussi attendu par les dirigeants d'Apple (qui risquent au passage de devoir s’en expliquer auprès des actionnaires). La petite musique que la firme de Cupertino nous sert depuis quelques trimestres sur les services n'est en effet pas innocente. Et on aurait tort de prendre les efforts d'Apple dans ce domaine à la légère.

iTunes bientôt sur les Smart TV 2018 et 2019 de Samsung.

Lancé en 2015, Apple Music compte 56 millions d'abonnés. Il n'y a que Spotify qui fasse mieux et encore, Apple Music est leader aux États-Unis. Le marché est encore loin d'être saturé, et la marge de progression du service de streaming d’Apple est encore importante — tant au niveau des fonctionnalités que du contenu (à quand des déclinaisons de Beats 1 consacrées à d’autres genres que les musiques urbaines ?).

On a aussi vu qu’Apple n’avait aucun tabou à ouvrir son service à d’autres : Apple Music est disponible sur Windows, sur Android, et depuis peu sur Alexa (quitte d’ailleurs à grever les ventes du HomePod). Sans oublier la prise en charge des contenus iTunes sur les Smart TV de Samsung : cité dans le communiqué de presse du constructeur coréen, Eddy Cue parle d'offrir à davantage de clients le catalogue de l’iTunes Store (ainsi qu'AirPlay 2). Pourquoi pas iTunes pour Fire TV, pour Roku, ou le webOS des téléviseurs LG… ? Après Amazon et aujourd'hui avec Samsung, on voit que la Pomme n'hésite pas à bousculer des certitudes que l'on avait à son égard.

La marque à la pomme a l'intention de compléter son offre de contenus avec un service vidéo pour lequel elle dépense afin de créer des séries exclusives. Il se murmure même que le constructeur développe une clé HDMI de streaming de type Chromecast ou Fire TV, plus abordable que l’Apple TV…

À cela s’ajoute le futur abonnement pour du contenu presse et magazine qui pourrait s’enchâsser dans Apple News. Tout cela pourrait se regrouper au sein d’un seul et même forfait dont on ignore tout du prix évidemment (20 $ par mois pour de la musique, de la vidéo et de l’actu en illimité ?). Plus de réponses normalement au printemps, avec le lancement attendu du service vidéo.

Il faut aussi compter sur iCloud qui compte des centaines de millions d'utilisateurs (la répartition entre formules gratuite et payantes n'est pas connue) et Apple Pay, deux services qui sont encore très loin d'avoir atteint leur plein potentiel…

Tim Cook n’a cessé de marteler que la catégorie des services se portait très bien : elle a rapporté 10,8 milliards de dollars durant le dernier trimestre 2018, un record. Des services sur lesquels les marges ne sont peut-être pas aussi généreuses que sur les produits, en particulier dans le secteur musical où les licences pour les maisons de disques sont particulièrement élevées.

… et miser gros sur l’informatique vestimentaire

Quels étaient les deux produits en tension pour les fêtes de fin d'année ? Les AirPods et l'Apple Watch. Pour les petits écouteurs d'Apple, c'est d'autant plus fou que ce produit est maintenant en vente depuis plus de deux ans !

En décembre, nous avions eu des échos d'Apple Store et de boutiques spécialisées qui nous confiaient en vendre aisément plusieurs dizaines par jour. Le produit a été copié, mais il reste inégalé à ce jour.

Charge à Apple de pousser sur ce segment. On devrait en savoir rapidement plus sur les intentions du constructeur concernant l’avenir des AirPods : le boîtier de recharge par induction est espéré pour le début de l’année, tout comme une nouvelle génération d’écouteurs… plus à l’écoute.

L’autre produit vestimentaire à faire la fierté d’Apple, c’est bien évidemment l’Apple Watch. Avec la Series 4, la Pomme a réglé le problème de la puissance qui avait le poids d'un boulet sur les précédentes générations. Le constructeur porte également ses efforts sur le sport et, surtout, sur la santé. Un secteur qui, sans nul doute, va permettre à la montre d’être prise de plus en plus au sérieux.

À eux seuls, l’électrocardiogramme et le détecteur de chutes peuvent être de véritables facteurs d'achat. Surtout aux États-Unis, puisqu’il n’y a que sur les modèles américains que l’app ECG est disponible pour le moment… Espérons que cette fonction se déploiera rapidement ailleurs dans le monde.

Les prochains modèles devront aller plus loin encore dans ce domaine pour toucher toujours plus de clients : après tout, la santé est un sujet qui préoccupe tout un chacun. La question d'une moindre dépendance à l'iPhone se posera tôt ou tard, même si la connexion cellulaire disponible depuis la Series 3 permet à la montre de se détacher toujours plus de son encombrant compagnon.

Le plus intéressant finalement dans la stratégie « vestimentaire » d’Apple, c’est que les produits dessinent un écosystème où chaque produit est complémentaire. L’élément manquant dans ce tableau, c’est un dispositif visuel : non pas l’iPhone qu’il faut porter à bout de bras, mais… des lunettes. Il parait qu’Apple y travaille, bien que Tim Cook ait dit en octobre 2017 que la technologie n’était pas prête. Les poches sans fond du constructeur lui ont sans doute permis de faire sauter quelques obstacles.

iPad : le véritable échec d'Apple ?

On a beaucoup parlé de l'essoufflement des ventes de l'iPhone, mais il y a également un autre produit qui stagne depuis beaucoup plus longtemps : l'iPad. Avec la sortie de la nouvelle gamme en novembre, Apple devrait annoncer des chiffres solides pour son dernier trimestre, mais qui ressembleront à ces arbres qui cachent une clairière. Certains considéreront que la tablette est un essai non transformé, d’autres qu’il s’agira d’un sacré échec. Tout dépend de comment on voit le verre à moitié plein ou à moitié vide !

En 2010, durant la présentation de l’iPad par Steve Jobs.

Il faut remonter à 2015 pour voir Apple vendre plus de 20 millions d'iPad lors d'un trimestre. Depuis plus de deux ans, la tablette d'Apple affiche des ventes à 10 millions d'unités par trimestre. Entendons-nous : beaucoup de constructeurs se contenteraient de tels résultats. Mais Apple se doit de viser l’excellence.

On critique souvent la politique tarifaire d'Apple. Peut-on lui faire le reproche concernant l'iPad ? Certes, tout n'est pas parfait, on a eu l'occasion, à de multiples reprises, d'évoquer le prix des accessoires de l'iPad Pro. Mais la tablette d'Apple couvre une large gamme tarifaire. Cela va de 359 € pour l'iPad 6 (qui, ceci dit, est un très bon appareil couvrant la plupart des besoins), à plus de 2 000 € pour le top du top.

Mais la révolution iPad n'imprime pas… Pire, cette troisième voie a de plus en plus de mal à tracer son sillon face à l'iPhone et ses écrans toujours plus grands, et le Mac qui continue son petit bonhomme de chemin… Près de dix ans après son lancement, l'iPad n'a toujours pas pris son indépendance : il faut toujours un Mac pour concevoir une app à destination de l'iPad.

C'est une des grandes désillusions d'Apple de ces dernières années. Attention, l'iPad est un objet formidable, très puissant et polyvalent. Mais quasiment dès le premier jour, Steve Jobs l'avait admis : le principal problème de l'iPad est avant tout logiciel. En 2019, alors que les tablettes d'Apple explosent nombre de Mac en termes de puissance brute, ce constat n'a jamais été aussi vrai.

Il existe de nombreuses applications très capables pour l’iPad, bien sûr. Et cela ira en s’améliorant (après tout, Adobe prépare un « vrai » Photoshop qui sortira cette année). Mais Apple ne donne pas le bon exemple : où est Xcode ? Final Cut Pro ? Les outils Logic ? Sans oublier ce système d’exploitation qui tire les capacités de l’iPad vers le bas.

L’iPad, un ordinateur « for the rest of us » ? Apple n'a toujours pas réussi à porter ce message, au-delà d'un cercle de convaincus prêts aux efforts d’adaptation indispensables pour changer de crémerie. Pire, elle est en train de lui faire perdre des bastions comme le marché de l'éducation qui a basculé vers les Chromebooks.

Une des erreurs de Tim Cook a peut-être été de chercher à augmenter le prix des Mac pour faire de la place à ses tablettes : les deux produits devraient s'auto-concurrencer et se cannibaliser. Après tout, cela n’a jamais fait peur à Apple.

Est-ce la fin de l’histoire pour l’iPad ? Évidemment non. Il revient à Apple de faire sauter les principaux points de blocages avec iOS 13. Aux développeurs également de concevoir de véritables apps pour iPad, et plus seulement des apps iPhone optimisées pour les grands écrans. Marzipan, dont on aura des nouvelles à la WWDC à coup sûr, pourrait les aider à concevoir des applications multi-plateformes mieux adaptées à l’iPad, pour un minimum d’efforts…

iPhone : stop ou encore

Apple ne manque pas de leviers, encore faut-il choisir les bons, leur allouer les ressources nécessaires, et éviter de s’éparpiller. C'est peut-être le souci actuel d'Apple : par moments, avec ses discours, Tim Cook donne l'impression de se perdre en chemin.

En octobre dernier, Tim Cook était à Bruxelles pour un discours sur la confidentialité des données. Image DR.

À une époque où le monde a perdu ses repères, en partie à cause des bouleversements technologiques de ces trente dernières années, il est évidemment important que le CEO d'une société comme Apple intervienne dans le débat public et présente la vision et les valeurs de son groupe.

Mais ces 18 derniers mois, les dirigeants d'Apple en ont peut-être un peu trop fait ! Tim Cook se comporte parfois comme un chef d'État propageant la bonne parole aux quatre coins du monde. Il nous arrive même de ne plus relayer certaines de ses interventions, où il rabâche sans cesse les mêmes discours.

Tim Cook en oublie sa mission première : être le chef d’orchestre d’une entreprise qui doit servir ses utilisateurs en répondant au mieux à leurs besoins. Pas plus, mais pas moins. Pour en revenir aux produits, un rebond d'Apple ne pourra avoir lieu que si l'iPhone se maintient à un certain niveau de ventes.

Dans un marché où les innovations sont moins visibles pour le consommateur, Apple va devoir redoubler d'efforts pour se maintenir à l'écart de la guerre des prix qui a déjà fait énormément de dégâts dans l'écosystème Android : les LG, Sony, Motorola, HTC et d’autres sont devenus des constructeurs de second plan.

À Apple de repenser sa stratégie, notamment dans l'entrée de gamme et dans les pays émergents. Un iPhone XR mini pourrait par exemple intéresser une large clientèle et être vendu à un prix raisonnable « pour du Apple ». Les pistes existent, Apple n'est pas aux abois et l'entreprise a les moyens d'emprunter le bon chemin… sans oublier les utilisateurs sur le bord de la route.

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