Si l’on devait faire un bilan de l’année 2018 d'Apple, il serait satisfaisant. Une fois de plus, Apple a battu tous les records, mais à l’aube de cette nouvelle année, un certain nombre de signaux laissent songeurs.
Alors, évitons d’emblée les clichés alarmistes : la firme de Cupertino est en excellente santé et elle devrait cette année encore dégager des bénéficies qui feraient rêver 99,99 % des entreprises dans le monde. Mais il y a quelques indicateurs que l'on n'avait plus l'habitude de voir.
La revanche (temporaire ?) de Microsoft
L’action Apple a vu rouge en 2018, elle a reculé de 8 % après avoir connu une grosse première partie d’année satisfaisante. Ce mouvement n’a toutefois rien de bien inquiétant, les marchés financiers ont eu une année difficile et les principaux indices ont baissé eux aussi ces dernières semaines.
Plus troublant, peut-être, Apple a perdu en fin d’année son titre de plus forte capitalisation boursière. Le destin sait se montrer facétieux. En effet, le nouveau propriétaire de ce prestigieux titre n’est personne d'autre que Microsoft. Cupertino dominait ce classement depuis 2012, alors que cela faisait quasiment 20 ans qu’on n’avait pas vu Redmond au sommet des capitalisations boursières.
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Si AAPL est malmenée, c’est parce que la croissance potentielle d’Apple semble se réduire. L'iPhone, la poule aux œufs d'or de Cupertino, est en position d’échec tout relatif. Si le prix élevé de l’iPhone X a permis de doper momentanément le chiffre d’affaires, les ventes en elles-mêmes stagnent. L’iPhone X a beau être le modèle le plus marquant depuis le premier iPhone, les ventes de smartphones Apple sur l’année fiscale 2018 n’ont progressé que de 0,45 %. La volonté de l'entreprise de ne plus communiquer sur les volumes des ventes d'iPhone, iPad et Mac apparait comme une volonté de cacher le thermomètre (lire : Apple ne communiquera plus les volumes des ventes d'iPhone, iPad et Mac).
Quels moteurs de croissance pour Apple ?
La plupart des choix opérés par Tim Cook, qui faisaient auparavant l’admiration, prêtent maintenant à la critique. La situation d’Apple en Chine est notamment complexe. Entre la concurrence toujours plus vive avec les fabricants locaux, la guerre juridique avec un Qualcomm qui tente de bloquer les ventes et les querelles commerciales menées par Donald Trump entre les États-Unis et la Chine, Apple est clairement dans une position inconfortable. À cela, il faut ajouter des difficultés propres au marché chinois qui ont poussé la marque à ralentir ses plans d’expansion dans le Céleste Empire.
Si Apple est en difficulté en Chine, que dire de la situation en Inde. Présentée il y a quelques années comme la nouvelle Chine, représentant un relais de croissance énorme, il s’agit peut-être là du plus grand échec de ces dernières années. La firme de Cupertino ne parvient tout simplement pas à percer sur ce marché malgré des débuts prometteurs au début de la décennie (lire : Les ambitions d'Apple en Inde tombent à l'eau).
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Après, si l’on prend un peu de hauteur, il faut reconnaitre que le marché des smartphones arrive à saturation — mais il faut aussi noter que les fabricants chinois parviennent tout de même à tirer leur épingle du jeu, au détriment des marques historiques. Il ne serait pas surprenant qu’Apple enregistre pour la première fois de son histoire une baisse de ses ventes de smartphones sur l’ensemble de l’exercice fiscal 2019.
La question qui reste de mise est de savoir quels sont les moteurs de croissance sur lesquels Apple va pouvoir s’appuyer dans les mois à venir. Si la machine iPhone se grippe, tout devient plus difficile. Certes, il y a l'activité Services qui ne cesse de monter en puissance. Il se murmure qu’Apple pourrait lancer cette année une version payante d’Apple News et un service de vidéo. On ignore si le tout sera intégré à Apple Music ou si ces services feront l’objet d’offres séparées. Apple a en tout cas un gigantesque parc d'utilisateurs auquel elle peut vendre des services de manière privilégiée (lire : Apple : le jour où les services s'éveilleront).
L’autre grand espoir, c’est la catégorie wearable qui a le vent en poupe. Il est quand même extraordinaire qu’un produit sorti il y a plus de deux ans connaisse aujourd’hui encore des difficultés d’approvisionnement. Ce produit, c’est bien entendu les AirPods. Vu leur succès, on comprend qu’Apple prenne son temps pour commercialiser son successeur, qui pourrait engendrer une vague importante de renouvellement si la mise à jour est à la hauteur.
Jamais cette année il n'y a eu de problème de stock concernant les iPhone. Alors, est-ce que la firme de Cupertino est passée maître dans la commercialisation d’une nouvelle gamme ou la demande était plus molle qu’attendu ? Malgré les cachoteries d’Apple, on aura une idée précise de la situation lors de la publication des résultats trimestriels dans quelques semaines. À l’inverse, Apple n’a toujours pas totalement réglé les soucis de disponibilité de l’Apple Watch. Par exemple, une Series 4 en acier inoxydable avec bracelet Milanais commandée aujourd’hui ne sera pas livrée avant le 18 janvier !
2019 : une année de transition
Tout laisse à penser qu’avec ses produits vestimentaires Apple est dans le vrai. Mais cette activité est-elle suffisamment mûre pour épauler l'iPhone ? L’autre motif d’inquiétude pour les analystes vient sans doute du fait que cette année 2019 ressemble furieusement à une année de transition.
Beaucoup de produits sont attendus, mais a priori rien qui puisse durablement ouvrir de nouvelles perspectives à Apple. Cela n’empêche pas que l’on a hâte de découvrir, pêle-mêle, les AirPods 2 (qui pourraient être l’un des produits phares de cette année), le nouveau Mac Pro (qui ne pèsera certainement pas lourd dans le chiffre d'affaires global), l’iPad mini 5, le casque audio d’Apple (qui revient de temps à autre dans les rumeurs) ou encore éventuellement un nouvel HomePod.
Mais les grandes manoeuvres comme les Mac ARM ou les lunettes de réalité augmentée (qui seraient le troisième étage de la fusée wearable) ne semblent pas pour 2019. Sur le front des smartphones, il faudrait probablement une innovation majeure, comme la 5G ou les écrans flexibles, pour doper le marché de manière durable. Mais là encore, ce n’est pas pour tout de suite.
L’innovation avance par à-coups et il faut faire avec. Apple a sans nul doute les moyens de passer sans encombre cette phase de transition. Ce qui est plus gênant, et peut-être le signe d’une certaine impuissance, c’est sa politique commerciale ces derniers mois. Jamais la Pomme n’avait fait tant d’efforts pour vendre ses produits pendant les fêtes de fin d’année, quitte à se renier.
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Apple a mis des années à construire une image premium voire de luxe. On peut être en accord ou non avec cette politique, c’est en tout cas le cap qui avait été fixé par Angela Ahrendts notamment. Il y a quelques années, on se souvient de son discours très snob sur le Black Friday. En 2015, elle indiquait préférer rester à l’écart de cet évènement pour économiser les forces de ses employés. « Bien traiter nos employés c'est bon aussi pour le business », avait-elle alors affirmé. Trois ans plus tard, la stratégie est toute autre. Non seulement les boutiques d’Apple ont « fêté » le Black Friday (avec des promotions mesquines), mais elles se sont aussi mises pour la première fois au Cyber Monday.
Apple a perdu ses logiques de gamme et de prix
Ce qui est encore plus marquant, c’est la devanture du site d’Apple, qui a toujours fait la part belle aux produits. Depuis quelques semaines, le premier message est d’ordre commercial : Apple vous invite à profiter d’une offre à durée limitée pour renouveler votre iPhone.
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Chose exceptionnelle, Apple a été jusqu’à envoyer une notification push à ses clients pour les inciter à renouveler leur appareil. De loin, la firme a pu donner l’impression d’être quelque peu désespérée pour arriver à être en ligne avec ses objectifs. Mais on a du mal à être inquiet pour le trimestre qui vient de s’achever. Elle a peut-être eu plus de mal avec l’iPhone, mais entre l’iPad, le MacBook Air et l’Apple Watch, elle a tout ce qu'il faut pour annoncer dans quelques semaines de très beaux résultats financiers.
Pour en revenir à cette image de marque, si tant est que les Apple Store parviennent à garder le positionnement premium, cette notion s'estompe dès lors que l’on s'intéresse au réseau de distribution dans son ensemble. Avec l’accord d’Amazon, Apple passe à la vitesse supérieure. Il convient de vendre coûte que coûte, le reste n’a pas d’importance.
Quand Apple fait du Samsung
En l’espace de quelques semaines, Amazon est devenu certainement le meilleur endroit pour acheter des produits Apple, si l’on s’intéresse uniquement au prix le plus bas. Toutefois, cette politique risque de faire des dégâts. Non seulement les partenaires les plus fragiles d’Apple pourraient en pâtir, on pense aux Apple Premium Resellers, mais cela risque même de faire de l’ombre à l’Apple Store en ligne (une boutique qui a déjà perdu beaucoup de son efficacité ces dernières années). Mais ce qui est le plus gênant, c’est qu’Apple adopte ainsi les mêmes réflexes que n’importe quel fabricant.
Vous vous êtes déjà moqués de Samsung car son dernier smartphone haut de gamme faisait déjà l’objet de grosses promotions à peine sorti ? C’est exactement ce qui s’est passé ces dernières semaines avec le MacBook Air, jusqu’à 170 € moins cher que le prix conseillé d'Apple. Même chose pour les nouveaux iPhone qui ont fait l’objet de remises jamais vues pour de nouveaux modèles lors du Black Friday.
Faire de la croissance à tout prix, Apple pourrait le regretter à terme. Ce n’est pas la première fois que l’on fait ce constat, mais la variable prix n’a plus de sens chez Apple (lire : Mac : les prix conseillés d'Apple ont-ils un sens ?).
À cela, il faut ajouter que la gamme de produits manque de plus en plus de cohérence. Les catalogues de Mac, d’iPhone et d’iPad ne cessent de grossir, au détriment d’une logique d’offre. La dernière fois qu’Apple a appliqué cette stratégie, c’était pendant les années 90 avec la gamme Performa. L’idée était d’avoir le plus de modèles possible pour occuper le plus de place dans les étalages de magasins… Et bien que l’offre de Mac grossisse, ce n’est pas pour autant que le chiffre d’affaires de la division Mac croît significativement.
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Vendeur dans un Apple Store ne doit pas toujours être un métier facile… Imaginez-vous face à un client souhaitant acheter un modèle 13”. « Alors qu’est-ce qui est mieux pour moi ? Un MacBook Pro 13 ? Avec ou sans Touch Bar ? Ou le MacBook Air ? Ou peut-être un iPad Pro ? » Et on a l’élégance de ne pas citer le MacBook !
Non seulement, la gamme de Mac n’a que peu de logique, mais elle est déphasée. D’un côté, vous avez des machines à jour comme les MacBook Pro Touch Bar et les MacBook Air. De l’autre, des machines qui sont en retard d’une génération, comme le MacBook et le MacBook Pro sans Touch Bar, et qui trainent des défauts rédhibitoires : un seul port USB-C pour le premier et des soucis de clavier pour le second.
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Le pire c’est qu’il ne faudrait pas grand-chose pour que cette gamme soit cohérente. Elle pourrait s’articuler autour de deux axes : le premier serait la mobilité et le second les performances. La mobilité serait le point fort du MacBook alors que les performances seraient le fort du MacBook Pro Touch Bar. Et le MacBook Air apparaitrait alors comme un compromis entre les deux…
Au lieu de multiplier les gammes, Apple ferait mieux de les restreindre et de les mettre à jour plus fréquemment. Or, c'est le chemin inverse qu'elle est en train de prendre.
Dans le genre, la gamme iPad n'est pas mal non plus. Entre un iPad 6 et un iPad Pro 10,5’’ compatibles avec l’Apple Pencil 1 et des iPad Pro 11’’ et 12,9’’ qui ne peuvent être utilisés qu’avec un Pencil 2, on s’y perd. Allez expliquer qu’on ne peut pas utiliser le Pencil 2 sur l’iPad Pro 9,7”. Encore une fois, on souhaite bien du courage aux vendeurs dans les Apple Store ou les APR pour expliquer cela au client lambda.
Connaitre des difficultés conjoncturelles n’a rien de bien grave en soi. Les marchés sont cycliques par essence. Ce qui parait plus inquiétant est certainement la manière dont Apple tente d’y répondre. Souvent, ce sont des moyens qui marchent à court terme, mais dont l’efficacité est discutable sur la durée.
Source :
Image une CC : Vectronic's Collections