Jonathan Ive a accordé une interview à The Independent dans laquelle il discute du challenge qu'il y a à créer de nouvelles versions d'un produit, de la manière dont l'iPad a évolué ou encore de ce qui peut rendre un produit "magique".
Réinventer un produit
Se sent-on investi d'une responsabilité toute particulière lorsqu'on se lance dans la refonte d'un produit apprécié et qui s'est très bien vendu, demande d'abord le journaliste.
Je pense que votre responsabilité va en réalité plus loin que cela. Ça commence par la volonté de ne pas tomber dans le piège de simplement changer les choses. Lorsqu'un produit est très estimé, les gens ont envie d'un nouveau design. Je pense que l’une des choses les plus importantes consiste à le changer, non pas pour le rendre différent, mais pour le rendre meilleur.
Si vous effectuez des changements pour améliorer quelque chose, vous n’avez pas besoin de convaincre les gens de retomber amoureux du résultat. […] D'après mon expérience, si nous nous efforçons d'apporter des améliorations matérielles, les gens les remarquent rapidement et établissent à nouveau le type de connexion qu'ils avaient auparavant avec le produit.
Comme illustration de ce principe, il cite plus loin le nouvel alliage d'aluminium mis au point pour les châssis du MacBook Air Retina et du Mac mini 2018. Leur squelette est désormais fabriqué à partir d'aluminium 100% recyclé :
C'est un formidable exemple de la manière dont on peut résoudre un problème, pas pour faire différent d'une manière artificielle, mais pour faire, sincèrement, mieux.
La "magie" d'un produit
AirPods hier, Pencil 2 aujourd'hui, Apple aime dire de certains de ses produits qu'ils ont un petit côté magique, dans leur fonctionnement. Est-ce que l'on obtient ces résultats après un long travail ou y a-t-il parfois une idée de génie, une sorte de Eurêka! ?
C'est d'abord une combinaison de facteurs, explique Ive, certaines avancées sont devenues possibles par des technologies qui prennent des années à mûrir, la décision d'aller dans une direction est alors arrêtée très en amont. Face ID, dit-il, est la somme de plusieurs technologies sophistiquées, ce n'est pas quelque chose qui a été conçu avec un seul objectif en ligne de mire.
Quant à ce qui peut rendre un produit "magique" cela a trait à un sentiment indéfinissable : « Des attributs qui sont plus difficiles à décrire. De ceux dont vous n'arrivez pas à mettre le doigt dessus pour les expliquer. »
iPad Pro
Il évoque ensuite l'évolution de l'iPad Pro, avec Face ID au lieu d'un bouton d'accueil et un châssis complètement transformé dans ses lignes.
L'une des choses vers lesquelles on tendait depuis longtemps, était que le produit n'ait plus un sens d'orientation principal et un autre, secondaire.
Le premier iPad trahissait le fait qu'il avait été conçu en priorité pour un usage en mode portrait, tout en pouvant basculer en paysage. Il donnait aussi le sentiment qu'il s'agissait d'une association de différents composants. Ce que Ive détaille plus loin en parlant de forme de l'écran.
Avec l'iPad Pro 2018, Apple a pu aller au bout de son désir de faire de l'iPad une tablette sans orientation particulière (lire aussi iPad Pro : que se passe-t-il quand un doigt cache Face ID ?) :
Ce qui à mon goût rend l'iPad Pro tout à fait spécial, c’est qu’il n’a pas d’orientation particulière. Il a des haut-parleurs tout autour de son périmètre. En se débarrassant du bouton Home et en utilisant Face ID, la tablette est capable de fonctionner dans toutes les orientations.
Le dessin du châssis du nouvel iPad change aussi, en perdant sa forme biseauté pour un profil droit et des coins arrondis. Arrondis comme les coins de l'écran. Après les iPhone 2018 et l'Apple Watch Series 4 c'est au tour des iPad de gommer les angles :
Les écrans traditionnels sont complètement rectilignes.Lorsque vous regardez les angles, ils sont essentiellement carrés. J'ai toujours regretté que l'écran ressorte comme un élément séparé avec des coins carrés, inséré dans un design qui a rarement des coins carrés.
Si vous regardez l'iPad Pro, à l'inverse, vous verrez comment le rayon, la courbe dans le coin de l'écran, est concentrique et accompagne le châssis. Ça semble naturel, vous avez le sentiment que ce n'est pas un assemblage de plusieurs éléments. C'est un produit homogène, et sans équivoque.
On peut se demander dès lors si de futures générations d'iPhone ne vont pas aller dans le sens de l'iPad Pro. Avec un châssis qui rappelle celui des iPhone 5 et SE.
Pour Ive, un utilisateur ne pointera pas forcément ce détail des coins d'écran pour expliquer son attrait pour cet iPad « mais [je] crois que nous sommes capables de sentir certaines choses, bien plus que nous sommes aptes à articuler en quoi elles nous plaisent ».
Il explique ensuite qu'Apple a pu rendre complètement plate la tranche de cet iPad car, tout simplement, l'équipe d'ingénierie s'est trouvée en mesure de miniaturiser et rendre plus fin ce qui empêchait jusque-là de le faire.
Pencil
Il parle ensuite du Pencil 2, qui conjugue sa fixation à l'iPad par une surface magnétique invisible. Jusque-là rien de nouveau, mais en sus, le Pencil se recharge par induction dans cette position. Ce genre d'évolution implique de rechercher de nouvelles manières de résoudre des challenges et d'offrir des choses auxquelles les gens n'ont même pas nécessairement pensé, ni même réalisé qu'ils en avaient besoin :
Par définition, vous ne savez pas qu'il y a un problème, jusqu'à ce que vous trouviez un nouveau et meilleur moyen de faire les choses.
Lorsque vous réglez un problème d'une certaine manière depuis longtemps, l'idée même qu'il pourrait y avoir une meilleure façon de le faire peut sembler presque un sacrilège. Cela peut sembler extrêmement improbable, alors vous devez travailler en considérant ça comme un acte de foi.
Une foi basée sur la réflexion suivante : "Je suis déjà passé par là auparavant à plusieurs reprises et, à chaque fois, nous avons trouvé un moyen de faire les choses autrement et mieux". Et il vous suffit de croire que c’est encore le cas et vous continuez à aller de l'avant.