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Comment en 210 jours le Mac est passé du PowerPC aux processeurs Intel

Florian Innocente

vendredi 06 avril 2018 à 12:00 • 101

AAPL

« Apple a mené à bien cette transition vers les processeurs Intel en sept mois seulement. 210 jours pour être exact », déclarait Steve Jobs le 7 août 2006. Ce jour-là, Apple annonçait ses premiers Mac Pro et Xserve basés sur des processeurs Intel, des Xeon. L'épilogue d'une migration menée à marche forcée pour effacer le PowerPC d'IBM des Macintosh. La fin — encore une fois — d'une époque chez la Pomme.

Alors qu'Apple semble décidée à se relancer dans une migration de grande ampleur pour ses ordinateurs — cette fois en troquant les puces d'Intel pour des processeurs Arm, cousins de ceux des iPhone, iPad et Apple TV — il n'est pas inutile de rappeler comment s'est déroulée sa précédente transhumance.

En route vers Intel

Le 23 mai 2005, le Wall Street Journal vend la mèche et parle d'une annonce probable de Steve Jobs le 6 juin sur l'abandon du PowerPC au profit d'Intel. Le quotidien ajoute que cela pourrait faciliter l'installation de Windows sur Mac.

Steve Jobs et Paul Otellini, le patron d'Intel

L'une des deux sources du WSJ suggère aussi qu'Apple ne cherchera pas à vendre séparément un Mac OS X Intel pour les PC. Commentaire d'une porte-parole de la Pomme devant ces informations, elle les range « dans la catégorie des rumeurs et spéculations ».

Le 6 juin, lors de la WWDC, Jobs annonce bien le grand chambardement à venir pour la plateforme Mac. Cette fois Apple n'a pas reculé. Au début des années 1990, un projet mené avec Novell, ainsi qu'avec le soutien d'Intel, a consisté à tester le Système 7 sur une architecture x86. Mais le patron d'Apple de l'époque, Michael Spindler, préfèrera remiser ce projet "Star Trek" pour concentrer les efforts vers le passage du 68K au PowerPC.

Si l'on est client d'Apple de père en fils, c'est la troisième transition de processeur à laquelle on assistera (et l'on ne parle même pas de "l'épisode" de la bascule vers Mac OS X). Au vu de la manière dont se sont passées les précédentes (c'est-à-dire plutôt bien), on accueillerait presque cette nouvelle avec philosophie, voire un certain détachement ou pourquoi pas avec impatience.

Les promesses ratées du PowerPC

Bloomberg, qui a fait retentir les cloches pour annoncer cette transition Arm, parle d'une arrivée des premiers Mac sans processeur Intel pour 2020.

Lors de la précédente transition, Apple a procédé en deux temps : elle a d'abord vendu pour 999 $ aux éditeurs un "Developer Transition Kit" avec Xcode capable de compiler pour x86, un Mac Pro contenant un Pentium à 3,6 GHz ainsi qu'un Mac OS X Tiger en cours d'optimisation (lorsque ce Mac OS X a été dévoilé lors la WWDC, ce n'est qu'après l'avoir détaillé que Steve Jobs révéla que sa démo avait fonctionné sur un Pentium 4 installé dans un Power Mac).

Ensuite, Apple a accompagné ce mouvement par des rafales de nouvelles machines équipées des premières vagues de processeurs Intel Core Solo, Core Duo puis Xeon. La grande affaire à ce moment là était que ces processeurs contenaient plusieurs cœurs, synonymes de puissance accrue. Les communiqués de presse pour les premiers MacBook Pro et MacBook Intel n'évoquaient même pas l'autonomie de ces machines ! Il n'y en avait que pour les gains en puissance comparé au G4.

Les comparatifs de performances brutes entre les PowerBook G4 et leurs successeurs sur Core Duo : de 2 à 5 fois plus rapides

Dans sa justification pour aller vers Intel, Jobs avait néanmoins bien insisté sur le ratio performances/consommation plus avantageux : « Nous avons comme projet de vous faire des produits étonnants et nous ne savons pas comment y parvenir avec la feuille de route promise par le PowerPC ». Intel garantissait une importante réserve de puissance avec une consommation électrique bien mieux tenue. Jobs encore : « Dans les années à venir, le PowerPC devrait nous donner environ 15 unités de performance par watt mais la feuille de route d'Intel nous en offre 70 ». Dont acte : au revoir IBM, bonjour Intel.

L'urgence était de prouver que le Mac, qui un temps avait repris l'avantage sur le Pentium avec le G3, allait revenir dans la course en adoptant le même moteur que ses concurrents. Ce qui ne ferait pas du Mac un autre PC, promettait Apple dans sa pub, mais un meilleur Mac.

En ce milieu des années 2000, Apple avait retrouvé de sa superbe. Les iMac cartonnaient, les PowerBook étaient parmi les meilleurs portables du marché, Mac OS X avait remis Apple en selle face à Windows, l'iPod était un succès planétaire et financier.

Tout était presque parfait, si ce n'est que la Pomme se trouvait dans une impasse quant à sa stratégie processeur, avec un PowerPC G5, le mieux qu'IBM pouvait lui fournir, inadapté aux portables, trop gourmand pour leurs batteries.

Il arriva même un moment où les meilleurs PowerBook G4 étaient incapables de lire correctement des vidéos QuickTime H.264 en 720p, seuls les Power Mac G5, iMac G5 ou les PC du moment avaient les muscles nécessaires. Humiliant et surtout gênant alors qu'Apple devait être en train de plancher sur le MacBook Air — produit majeur s'il en est — qui sortirait deux ans plus tard.

Jamais Apple n'a pu faire la démonstration d'un PowerBook G5. Steve Jobs s'en désola le jour de l'annonce de la migration, tout comme il concéda volontiers que sa promesse d'un Power Mac atteignant la barre symbolique des 3 GHz ne s'était jamais matérialisée. Apple était dans une impasse et seule une alliance avec l'ancien adversaire pouvait éviter au Mac de verser dans une ornière.

Direction Intel, pied sur le plancher

Pour rendre cette transition plus digeste auprès des utilisateurs, Apple avait conçu Rosetta, un logiciel intégré dans le système capable de faire fonctionner des applications PowerPC sur des Mac Intel, le temps que ces logiciels soient complètement réécrits et abandonnent leur compatibilité avec le PowerPC. Entre les deux états on a connu les applications dites "Universelles", contenant du code PowerPC et du code Intel. Les nouvelles puces Core Duo d'Intel offrant un surcroît de puissance non négligeable, les applications PowerPC tournaient à vitesse raisonnable sur ces Mac de nouvelle génération.

La page décrivant Rosetta, « le logiciel le plus étonnant que vous ne verrez jamais »

Le premier semestre 2006 fut un feu d'artifice de lancements de machines. Entre l'annonce au monde de la migration à la WWDC 2005, et la présentation des premiers Mac Intel — des iMac et des MacBook Pro 15" Core Duo — le 10 janvier 2006, six mois seulement s'étaient écoulés (les portables furent disponibles en février, avec des fréquences plus élevées que celles annoncées initialement).

Fin février, ce fut le tour des Mac mini Core Solo et Core Duo. Début avril, surprise du chef, Apple sort Boot Camp : une assurance pour les utilisateurs de PC qu'ils pourront goûter à leur tout premier Mac sans abandonner Windows. Fin avril, arrive le PowerBook 17" Core Duo. 7 août, mission accomplie, la transition matérielle est achevée avec la présentation des Mac Pro et Xserve sur Xeon 64 bits.

En à peine plus d'un an, Apple aura basculé son système d'exploitation, ses applications, cinq familles de Mac et des éditeurs petits et grands vers l'architecture Intel.

Les premiers Mac Intel arrivent en janvier 2006

En 2007, arrive Mac OS X Leopard, qui maintient une compatibilité PowerPC. En 2009, c'est le tour de Snow Leopard mais l'OS exige maintenant un processeur Intel. Au moins fait-il toujours fonctionner Rosetta. En 2011, Mac OS X Lion tire un trait sur Rosetta mais aussi sur les premiers Mac Intel de 2006, les Core Duo et Core Solo. Toujours en 2011, les ultimes Mac PowerPC sont retirés de la liste des machine pouvant être réparées par les circuits de SAV agréés. Six ans après la grande annonce, le PowerPC a vécu chez Apple.

À la lueur des épisodes passés, l'hypothèse d'une nouvelle grande migration peut être envisagée avec un certain optimisme. Aucune n'est identique à la précédente, mais Apple est pour le moins rompue à l'exercice. Tous ces déménagements se sont plutôt bien passés dans l'ensemble. Il y a toujours un peu de casse, des côtés plus rugueux, mais ces affres sont limitées, temporaires. Le résultat n'a jamais été décevant, on n'a rien perdu en abandonnant les processeurs 68000, puis Mac OS 9, puis le PowerPC.

Avant de basculer officiellement vers Intel, Apple avait pris soin de compiler chacune des nouvelles versions de Mac OS X pour l'architecture x86, en plus du PowerPC, « juste au cas où », plaisanta Steve Jobs (sans dire qu'à l'origine tout cela fut grandement facilité par l'initiative d'un seul ingénieur, lire : OS X sur Intel : aux origines du projet Marklar).

Qui imagine que les mêmes précautions n'ont pas été prises depuis quelques années avec des macOS fonctionnant sur puces Ax ? Surtout qu'en concevant ses propres processeurs, Apple peut les modeler précisément à ses besoins.

Cela illustre à quel point la situation d'aujourd'hui est différente de celle d'hier. Il y a 13 ans, se jeter dans les bras d'Intel revenait à signer une sorte d'assurance-vie. Oui Apple perdrait de sa singularité. Il y aurait un peu de raffut dans les rangs, chez ceux qui n'avaient que mépris pour Intel, tout comme il y eu du mouvement et des éclats de voix lorsque Steve Jobs signa la paix avec Bill Gates en 1997. Mais la Pomme a su continuer à proposer des Mac gardant une forte personnalité (quitte à bien se tromper parfois).

Une vie sans Intel

Une décennie plus tard, Intel reste le maître des ordinateurs personnels mais ses fondations s'affaiblissent. Le fondeur a loupé le coche de l'extrême mobilité (lire : Otellini revient sur les loupés d'Intel avec l'iPhone et les mobiles).

Il est présent dans les iPhone mais seulement au travers de ses modems. Une place qu'il doit partager avec Qualcomm et dont la viabilité sur le long terme n'est même pas garantie, si d'aventure Apple se sentait prête à utiliser des composants radio conçus par ses soins. Même Microsoft essaie de détacher Windows de son ancien et plus fidèle allié, avec des premiers résultats mitigés (lire : Le premier PC Windows 10 sur ARM est un escargot).

Jusqu'au milieu des années 2000, on aurait eu peine à imaginer un monde des ordinateurs personnels sans Intel. Depuis l'avènement de l'iPhone, d'Android et de la place prise par ces "non-PC" dans notre quotidien, cette perception s'est troublée. Intel vit encore largement de ses ventes de puces pour PC, mais elles déclinent et c'est son activité dans les centres de données qui a le vent en poupe. Le fondeur se qualifie lui-même aujourd'hui d'entreprise "data-centric" plutôt que "PC-centric".

Chaque sortie d'une nouvelle génération de processeur Ax, avec systématiquement des bonds en performances, est l'occasion d'atténuer l'idée que l'on se fait de la suprématie du fondeur. Ce qu'Apple traduit par une question ingénue dans sa pub pour l'iPad Pro : « C'est quoi un ordinateur ? ».

En 2005, lorsqu'Apple s'affranchit d'IBM, le Mac pesait 45 % de son chiffre d'affaires annuel : 6,2 milliards sur un total de 13,9 milliards de dollars. Aujourd'hui, le Mac a représenté seulement 11,2 % du CA de l'année écoulée.

Ce qui ne veut pas dire que cette possible transition peut être menée la fleur au fusil, avec insouciance. Le Mac c'est tout de même un business annuel de 25,8 milliards de dollars en 2017 (21 milliards d'euros), c'est plus de la moitié de celui de Facebook (40 milliards). On voit toutefois à quel point l'enjeu est différent et la dépendance d'Apple vis-à-vis de cette activité sensiblement moindre.

Avantage supplémentaire pour la Pomme, elle peut s'appuyer sur 10 ans de pratique des processeurs Arm. Elle a construit avec iOS un gigantesque écosystème logiciel et dispose d'une armée de développeurs tiers aguerris à cette architecture.

Les conditions techniques d'une telle transformation du Mac restent à préciser mais les premiers concernés, les éditeurs, ne sauteront pas dans l'inconnu (lire : Marzipan : est-ce une bonne idée d'unifier les apps iOS et macOS ?). Avec les Mac Intel tout était à (re)faire, aujourd'hui une bonne partie du chemin est déjà faite.

Est-ce qu'à l'exemple de 2005 Apple annoncera en juin prochain son projet d'abandonner Intel ? Ou laissera-t-elle sans réponse cette question qui sera sur toutes les lèvres ? Bloomberg dans son article parle d'une première livraison de machines Arm à l'horizon 2020, on est loin du sprint couru par Apple en 2006. Pendant ce temps, soit environ 18 mois, il faudra écouler des machines dont l'architecture est condamnée.

Est-ce que les ventes de Mac PowerPC ont souffert de l'annonce de Jobs ? Pas franchement. Pendant les six mois qui ont suivi sa déclaration d'amour à Intel, Apple mena ses affaires comme si de rien n'était. Elle lança l'iBook G4, l'iMac G5 et des Power Mac G5 Dual et G5 Quad. Au dernier trimestre 2005 elle annonça avoir vendu 1,2 million de Mac (PowerPC) soit 1 % de plus qu'au trimestre précédent et 20 % de plus que sur la même période de 2004. On a vu pire désaveu pour des machines en sursis. Financièrement toujours, Bank of America Merrill Lynch estime qu'Apple pourrait commencer par économiser 500 millions de dollars vis-à-vis d'Intel en commençant par basculer la moitié de sa gamme la première année.

L'annonce de la migration vers Intel a été suivie par le lancement de plusieurs Mac G4 et G5 qui se sont bien vendus.

Pour le client final, devant pareille situation il peut y avoir deux approches lorsqu'il est en pleine réflexion d'achat. Soit de reporter à plus tard pour ne pas investir sur une architecture vouée à s'en aller. Soit de jouer au contraire la sécurité, avec une plateforme rodée, qui recevra quelques mises à jour système majeures et sera prise en charge pendant plusieurs années encore.

Ce qui amène une autre question, quelle machine recevra une puce Arm la première ? Bloomberg parle des portables. Logique si l'on considère que ce sont ceux qui auraient le plus à gagner (pour l'autonomie) et qui n'ont pas besoin de faire étalage d'une grande puissance (si l'on pense à des machines comme le MacBook et le successeur attendu du MacBook Air).

Apple pourrait faire un joli coup en lançant rapidement une grosse machine, puissante, sur une base Arm. On pense au futur Mac Pro, mais il arrivera l'année prochaine. Une approche plus raisonnable pourrait consister à installer des Arm dans les portables et rester sur Intel pour les Mac les plus puissants, jusqu'à ce que les puces d'Apple soient en mesure de rivaliser avec des Xeon ou gros Core i7/i9 (lire : Intel : Core i9 pour portables et cœurs supplémentaires pour de futurs Mac).

Autre supputation, quid du Mac mini dont l'avenir ne paraît pas complètement bouché si l'on en croit Phil Schiller ? On se prend à rêver d'un nouveau "Developer Transition Kit" qui serait l'occasion de présenter un Mac mini refait de neuf et démontrant toutes les capacités de la plateforme Arm. Apple, cette semaine, a promis le Mac Pro pour 2019 mais elle n'a pas eu un seul mot pour cette petite machine.

Quel avenir ensuite pour Windows sur Mac si Intel en est chassé ? Il y a une dizaine d'années cela a permis de provoquer des switch de clients lassés par Windows, par Vista, par les virus. Est-ce que dans les années à venir, si iOS déverse sa logitechèque sur macOS, une absence de Boot Camp serait préjudiciable pour le Mac ? Est-ce que les efforts de portage de Microsoft de Windows 10 sur Arm peuvent servir les intérêts d'Apple par ricochet ?

Enfin, une dernière interrogation, mais c'est celle qui précède toutes les autres, qu'est-ce qu'une telle transition apportera in fine ? Pour Apple on comprend que c'est la garantie de ne plus dépendre d'Intel pour l'évolution de ses ordinateurs et ses plannings de lancements. Si l'iPhone, avec lequel elle réalise l'essentiel de ses bénéfices, a pu fonctionner sans ce fondeur, pourquoi pas le Mac ?

La migration vers Intel a permis il y a dix ans de lancer une machine comme le MacBook Air, dont on connaît l'impact pour Apple et l'informatique portable. Quel serait "le MacBook Air" d'une génération de Mac sur Arm ? Les portables tels qu'on les connaît aujourd'hui sont déjà ultra-fins et légers. Leur autonomie n'est pas si mauvaise et si personne ne se plaindra de gagner quelques heures de plus, on peut espérer d'autres inovations.

Est-ce qu'Apple se contentera de porter macOS sur une architecture nouvelle ou en profitera-t-elle pour en revoir plus profondément l'interface, les interactions possibles ? Y aura-t-il matière à apporter de tout nouveaux designs matériels ?

Beaucoup de questions, des hypothèses à foison mais il ne reste plus longtemps à attendre pour avoir les premières réponses, la conférence des développeurs est dans seulement deux mois.

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