Jony Ive nourrit une fascination pour les produits polyvalents. Dans son esprit, l'iPhone X représente une sorte de sommet dans le genre, puisqu'il ne s'agit finalement que d'un écran (avec une encoche, c'est entendu). « Ce que je trouve remarquable avec l'iPhone X », explique le designer en chef au magazine Wallpaper, « c'est que ses fonctionnalités sont déterminées par le logiciel ».
En raison de la nature « fluide » du logiciel, l'iPhone X va « changer et évoluer ». « Dans douze mois, l'objet sera capable de réaliser des choses qu'il ne peut pas faire aujourd'hui. Je pense que c'est extraordinaire. Je pense que quand nous nous retournerons [sur l'iPhone X], nous le verrons comme une des références très significative des produits que nous développons ».
Pour autant, Jony Ive se dit aussi « complètement séduit par la cohérence, la simplicité et la manière dont il est facile d'appréhender quelque chose comme le premier iPod », un appareil très simple, quasiment mono-fonction. Mais « en toute honnêteté, je suis plus intéressé et plus intrigué par un objet dont les fonctions changent profondément et évoluent ».
Il est évidemment toujours un peu difficile de lire l'avenir d'Apple dans les propos d'un dirigeant aussi capé, mais Ive donne assez clairement l'indication qu'on n'a pas encore vu tout le potentiel de l'iPhone X. Plus loin dans l'entretien, il explique aussi que l'objectif de son équipe a toujours été, d'une manière ou d'une autre, de faire disparaitre le design.
Nous sommes un groupe assez tenace de designers curieux jusqu'à l'absurde, et constamment en recherche d'alternatives. Certaines d'entre elles peuvent exister ici et maintenant. D'autres sont au-delà de la technologie actuellement disponible. Elles existent en tant qu'idées, elles existent pour galvaniser le développement des technologies. Et certaines porteront leurs fruits, d'autres pas.
Au contraire de Google et d'autres, Apple n'entretient pas de projets futuristes, les fameux « moonshots » qui ont accouché d'une technologie de conduite sans chauffeur au sein du moteur de recherche par exemple (de son côté, SpaceX imagine la vie sur Mars). Rien de tout cela du côté d'Apple. « La manière dont nous travaillons est la discrétion », confirme Jony Ive. « Nous sommes visiblement différents [d'autres entreprises de hi-tech], et c'est une partie importante de ce que nous sommes ».
L'Apple Park va précisément servir cette volonté de travailler dans une certaine discrétion, tout en facilitant la coopération entre les équipes. Plusieurs campus en phase de construction, pour Facebook et d'autres groupes, ont été imaginés pour être flexibles : les bâtiments peuvent changer de forme, s'agrandir ou se rétrécir en fonction des projets.
L'Anneau gigantesque de l'Apple Park semble aux antipodes de cette volonté de souplesse. Ive assure pourtant que l'imposant bâtiment est flexible… mais à l'intérieur. « Je ne pense pas qu'il soit nécessaire d'être explicite concernant la flexibilité [des lieux] ». Cette souplesse est aussi « puissante » que dans des bâtiments qui affichent sur leur façade "Hé, vous pouvez tout reconfigurer ici".
Le "Ring" est « très facile à configurer », défend-t-il, « et on peut très rapidement créer un grand open-space ou configurer beaucoup de petits bureaux privés. Le bâtiment va changer et il va évoluer » (le même discours que pour l'iPhone X, au passage). « Je suis sûr que d'ici 20 ans, nous imaginerons et nous développerons des produits très différents. Et rien que ça poussera le campus à évoluer et changer ».
Ces nouveaux bâtiments impliquent un changement dans les habitudes de travail, pour les employés d'Apple comme pour le studio de design de Jony Ive. « C'est une des choses pour lesquelles je suis le plus emballé ». Les bureaux des designers étaient physiquement « vraiment déconnectés » les uns des autres. « Maintenant, nous pouvons partager le même studio. Nous pouvons avoir des designers industriels assis à côté d'un concepteur de fontes, assis près d'un designer sonore, qui est lui même à côté d'un graphiste expert des mouvements, assis avec un designer spécialiste de la couleur, qui est assis près de quelqu'un qui développe des objets avec des matières souples ».
Tout ce petit monde peut se rendre dans un large espace de collaboration au milieu de petits bureaux fermés. « Ce n'est pas simplement un couloir ; ce sont de grands espaces que l'on retrouve tout au long du bâtiment ».
Le travail avec les équipes du studio d'architecture Foster + Partners, maître d'œuvre des lieux et principal partenaire d'Apple pour les boutiques du constructeur, a été finalement assez simple. « Une connexion que nous avons eue très rapidement a été que leur approche pour résoudre des problèmes est étrangement similaire à la nôtre », explique Ive. « Nous faisons beaucoup de prototypes et d'essais. Nous fabriquons des prototypes parfaitement à l'échelle de parties du bâtiment, nous créons des prototypes à examiner et qui servent à explorer les matériaux ».