Les fuites, qui font le bonheur des aficionados d’Apple, représentent une menace pour le constructeur. Durant la dernière conférence des résultats trimestriels de l’entreprise, Tim Cook a mis le recul des ventes d’iPhone sur le dos des rumeurs autour de l’iPhone 8. En 2012, le CEO d’Apple mettait les points sur les « i » : la Pomme allait mettre les bouchées doubles pour préserver le secret autour de ses produits et de ses services.
The Outline s’est procuré (ironie du sort, c’est une nouvelle fuite) le compte rendu d’une réunion interne qui s’est déroulée en début de mois entre une centaine d’employés d’Apple et David Rice, directeur de l’escouade “sécurité globale” du groupe, accompagné par Lee Freedman, directeur des “investigations mondiales” et Jenny Hubbert, qui travaille à la formation et aux communications de cette même équipe Global Security.
Cette équipe de choc s’est entourée d’enquêteurs ayant précédemment travaillé au sein de la NSA, au FBI, dans l’armée et même au Secret Service américain. Autant dire des cadors du renseignement et de la sécurité, qui opèrent partout dans le monde, aussi bien chez les sous-traitants qu’à Cupertino.
Greg Joswiak, le vice-président en charge du marketing des produits iOS, explique dans une vidéo qui a émaillé ce rendez-vous que la préservation du secret est devenu d’une grande importance pour Tim Cook : « En fait, cela devrait être important pour tout le monde chez Apple, [les fuites] sont des choses qui ne doivent plus être tolérées ». Histoire de fermer le robinet aux rumeurs, Apple a mis en place cette équipe et une infrastructure digne des plus grandes organisations mondiales.
La TSA, l’organisme en charge de la sécurité dans les aéroports, peut vérifier jusqu’à 1,8 million de personnes chaque jour. En ce qui concerne les 40 usines qui turbinent pour le compte d’Apple en Chine, ces vérifications quotidiennes sont au nombre de 2,7 millions ! Un chiffre qui peut grimper à 3 millions durant la hausse de la production. Chaque personne doit être vérifiée à l’entrée et à la sortie de l’usine, raconte David Rice.
Le nombre de transits annuels dans les différentes lignes de production dédiées à Apple se monte à 221 millions. « À titre de comparaison, le volume maximal des 25 plus importants parcs d’attractions dans le monde est de 223 millions de transits chaque année », souligne-t-il. Ces efforts de surveillance sont le fruit du travail de l’équipe Global Security en Chine, qui a véritablement mené une « guerre des tranchées ininterrompue » pour obtenir ce résultat.
Il existe en Chine un véritable business des pièces détachées volées dans les usines des fournisseurs d’Apple. Les receleurs peuvent proposer jusqu’à un an de salaire à l’ouvrier qui rapportera un châssis d’iPhone ou de MacBook (le salaire moyen sur une ligne travaillant pour Apple est de 350 $ par mois, sans les heures supplémentaires). Un des intervenants du constructeur rapporte une anecdote : « il y a longtemps, nous avons constaté un vol de 8 000 pièces détachées par des femmes qui les cachaient dans l’armature de leur soutiens-gorge »…
Ces composants atterrissent à Huaqiangbei, un des plus grands marchés mondiaux de l’électronique à Shenzhen. 2013 a été une des années noires pour Apple, qui a dû acheter environ 19 000 pièces qui traînaient sur ce marché ; c’était avant le lancement de l’iPhone 5c. Le constructeur a dû remettre la main à la poche pour reprendre 11 000 de ces composants, avant les premières livraisons du smartphone. Il s’agit pour la Pomme de faire en sorte qu’aucune de ces pièces ne se retrouve sur tous les blogs techs de la planète.
Le nombre de vols a ensuite drastiquement baissé. En 2014, 387 pièces avaient été subtilisées, puis 57 en 2015. Quatre châssis ont été volés sur les 65 millions produits en 2016 (le site ne précise pas de quels produits il s’agit). « C’est un ratio d’environ 1 sur 16 millions, du jamais-vu dans l’industrie », se réjouit Rice.
Plus de fuites à Cupertino que chez les sous-traitants
Les efforts en Chine sont tels que la majorité des fuites provient désormais du Saint des Saints, à Cupertino : « L’année dernière [en 2016], ce fut la première fois que les fuites provenant du campus ont été plus importantes que celles de la chaîne d’assemblage ». Pour contrecarrer ces rumeurs, Apple fait participer quelques-unes des équipes en charge des produits à un programme baptisé « Secrecy Program Management », afin de les sensibiliser à la conservation des secrets.
Et quand une fuite apparait sur internet, l’équipe d’enquêteurs de Lee Freedman prend le relais pour mettre la main sur le fautif. Cela peut prendre du temps : une enquête a ainsi demandé trois années pour trouver un fuiteur travaillant sur le campus de Cupertino. Deux informateurs particulièrement importants ont été repérés l’an dernier, un qui travaillait au sein de la boutique en ligne depuis quelques années, l’autre au sein d’iTunes depuis six ans.
Ces gorges profondes alimentaient les blogs et les sites web en informations croustillantes. Le premier a commencé à discuter avec un journaliste depuis Twitter, l’autre connaissait déjà un journaliste. Souvent, les fuites proviennent d’employés qui aiment Apple, et qui sont tellement enthousiastes qu’ils ne peuvent s’empêcher de partager des secrets. Pour Rice cependant, Apple n’a pas instauré une « culture de la peur » : « ce qui est unique chez Apple, c’est que nous n’avons pas de culture de Big Brother ».
Mais si Rice affirme qu’Apple ne demande pas à ses employés d’abandonner toutes relations amicales ou familiales, on sent bien qu’il vaut mieux garder sa langue dans sa poche quand on discute boulot avec les proches. Les employés restent néanmoins libres de se plaindre de leur boss, de donner des informations sur leur salaire, et bien sûr de dévoiler aux forces de l’ordre une illégalité commise par l’entreprise. Mais pas question de divulguer quoi que ce soit concernant des produits ou des services pas encore sortis ou encore sur la disponibilité d’un produit.
Tout cela n’empêche pas, bien sûr, d’obtenir toujours et encore des informations de première main sur de futures nouveautés. Si Apple s’investit beaucoup dans la protection de ses secrets, il est illusoire de vouloir fliquer plus de 100 000 personnes… sans oublier les millions de petites mains qui triment dans la chaîne d’assemblage.
Pour couper l'herbe sous le pied des rumeurs, la Pomme a utilisé une autre technique dernièrement : présenter à l'avance ses nouveaux produits, en l'occurrence l'iMac Pro et le HomePod, ce qu'elle fait très rarement. Il faudra voir si cette pratique se poursuit dans le futur.