Apple est particulièrement fière de son dernier produit : le tout nouveau campus Apple Park, une installation flambant neuve qui a commencé à accueillir ses premiers employés le mois dernier, après de longues tractations avec la mairie de Cupertino, puis des années de travaux. Un long article signé Steven Levy pour le magazine Wired, qui en fait sa couverture, revient sur la genèse et la vision qui a présidé à ce campus exceptionnel.
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Le coût de l’installation (estimé à 5 milliards de dollars) et le temps passé à construire les différents bâtiments sont d’ailleurs, peut-être, la raison pour laquelle certains observateurs ont pu se plaindre de la cadence ralentie des lancements de nouveaux produits ces derniers mois. Mais il fallait bien un écrin à la mesure de l’une des plus grandes entreprises au monde, un lieu exceptionnel désiré et imaginé par Steve Jobs avant qu’il ne disparaisse.
La conception du campus a réclamé à Apple la même énergie et le même engagement que pour un produit du constructeur, décrit Levy. Mais au contraire de l’iPhone ou du Mac, l’Apple Park est unique et on ne peut pas réellement parler d’amortissement. « Il est frustrant de parler de ce bâtiment [le fameux Ring, ce “vaisseau spatial” circulaire] en termes de gros chiffres, c’est absurde », explique Jony Ive.
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L’Apple Park, c’est pêle-mêle, 12 000 employés, 9 000 arbres, des portes de verre de 26 mètres de haut pour l’entrée du Café, un bâtiment de 1 000 places, le Steve Jobs Theater, pour les futurs keynotes, un Ring de 26 hectares, un centre fitness de 9 300 mètres carrés pour les employés…
Les chiffres sont impressionnants, mais vous ne vivez pas dans une statistique. Même s’il s’agit d’une merveille technique que de fabriquer de tels panneaux de verre, ce n’est pas un accomplissement. La réussite ici est de construire un bâtiment où tant de personnes peuvent se connecter entre elles et collaborer et marcher et parler.
L’amortissement de ce campus se réalise en fait d’une manière très différente des habituels produits d’Apple, explique le designer. « Nous ne le mesurons pas en nombre de personnes. Nous pensons en termes d’avenir. Le but est de créer une expérience et un environnement qui sont le reflet de ce que nous sommes en tant qu’entreprise. C’est notre maison, et tout ce que nous ferons à l’avenir débutera ici ».
L’idée d’un nouveau campus date de 2004, selon Ive. Lui et Steve Jobs ont commencé à évoquer le sujet alors qu’ils se baladaient dans Hyde Park, à Londres. Ce n’est qu’en 2009 que l’idée a commencé à se transformer en projet, le constructeur commençant à acquérir des parcelles autour de son campus historique du 1, Infinite Loop. En juillet de la même année, Steve Jobs a fait appel au fameux architecte Norman Foster.
Ce dernier a rameuté ses équipes du cabinet Foster + Partners : au plus fort du développement du projet, ce sont plus de 250 architectes qui ont planché sur l’Apple Park. Les réunions avec Steve Jobs, véritable chef d’orchestre du nouveau campus, pouvaient durer jusqu’à deux heures, ce qui a largement occupé le fondateur d’Apple dans les deux années avant sa mort.
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Steve Jobs étant Steve Jobs, il avait une idée précise de la plupart des éléments qui allaient composer le campus… jusqu’au type de bois pour les murs des bureaux, et quand précisément il convenait de le couper : « en hiver, idéalement en janvier », se remémore Stefan Behling un des architectes, « pour que le bois contienne le moins de sève et de sucre ». Pour finir, Apple a créé son propre placage en bois recyclé.
Un des concepts imaginés par Steve Jobs pour les bureaux était de ne pas les compartimenter. « Ce devait être des bureaux où les gens sont ouverts sur les autres, et ouverts sur la nature ». La clé, c’est la conception modulaire sous forme de sections baptisées « pods ». « L’idée de Jobs, c’était de multiplier les pods encore et encore : un pod pour le travail individuel, un pod pour le travail de groupe, un autre pour socialiser ». Le tout sans véritable hiérarchie, « même le CEO n’a pas de “suite” ou quelque chose d’approchant ».
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Un concept plutôt inédit pour une entreprise connue pour son goût du secret. « Jobs semblait proposer une structure plus poreuse où les idées sont partagées plus librement entre les espaces communs ». Il ne s’agit pas de jouer la transparence totale bien sûr : le studio de design de Jony Ive est protégé par des vitres translucides. La forme du bâtiment central, le Ring, a émergé en juin 2010 ; c’est en 2012 que le conseil d’administration d’Apple approuve les travaux de Foster + Partners.
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La construction du bâtiment central a nécessité un lourd investissement de la part non seulement d’Apple bien entendu, mais aussi de ses fournisseurs. L’entreprise allemande Seele Group, qui s’était occupée des panneaux de verre du « Cube » de l’Apple Store de New York, a été mise à profit. Fabriquer un panneau de verre courbé pour le vaisseau spatial (haut de 13 mètres) nécessitait 14 heures, or Apple en avait besoin de… 800 ! Il a donc fallu que Seele développe une nouvelle machine capable de produire cinq panneaux de verre en même temps.
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Sans surprise, Steven Levy revient sur les fameuses poignées de portes qui ont fait l’objet d’un soin maniaque (lire : Campus 2 : un soin maladif apporté aux détails). Celles-ci doivent servir aussi bien pour les portes coulissantes que pour les portes pivotantes, et pour parvenir à ce résultat il a fallu de nombreuses itérations. Certains prototypes sont « longs et à peine saillants », d’autres sont « plus serrés » et ils demandent de les serrer plus fermement dans la main. « Tous semblent être conçus dans le même aluminium que le MacBook Pro ».
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Les tables des bureaux peuvent être ajustées en hauteur via des supports muraux qui contiennent tous les câbles indispensables. Deux boutons sont présents sous la table, un convexe pour soulever le bureau, un concave pour l’abaisser. Là aussi, la conception de ces équipements a demandé beaucoup de travail.
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Tous ces efforts ont été consentis dans un seul but : que tout le monde donne son meilleur. Et ce, dès le départ de la conception du futur campus : Francesco Longoni, le grand manitou de l’Apple Park Café, est l’un des inventeurs d’une boîte à pizza ronde qui empêche la pizza de ramollir — un brevet déposé en 2010 alors qu’Apple phosphorait dur sur ce nouveau projet. Cette boîte est d’ailleurs utilisée depuis des années, selon nos informations.
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Par bien des aspects, l’Apple Park est le dernier « produit » jamais imaginé par Steve Jobs. Le « cadeau » de Steve Jobs, selon l’expression qui revient dans la bouche de plusieurs dirigeants. L’ancien patron d’Apple a pris ici une décision pour « cent ans », rappelle son successeur. « Est-ce que nous aurions pu faire des compromis ici ou là ? », se demande un Tim Cook qui répond immédiatement : « Ça n’aurait pas été Apple. Et cela n’aurait pas envoyé le message à tous ceux qui travailleront ici que le moindre détail compte, que le soin, ça compte ».
Un jusqu’au-boutisme qui correspond bien à Apple, quitte à provoquer le débat et la controverse. Le Ring est un « cocon rétrograde », selon le critique d’architecture du Los Angeles Times. Le bâtiment principal serait « trop rigide », l’Apple Park ne pourrait pas s’adapter à la croissance à venir de l’entreprise ni aux futures façons qu’auront les gens de travailler.
Pour d’autres, l’Apple Park est un lieu isolé alors que la tendance architecturale actuelle est plutôt à l’intégration des salariés au sein des villes… Et puis l’Apple II a été imaginé dans un garage, l’iPhone dans les bâtiments actuels et plutôt banals du constructeur. Une telle débauche de moyens et d’efforts pour un campus flambant neuf était-elle nécessaire ?
Norman Foster balaie ces critiques du revers de la main. Le bâtiment circulaire central s’est bâti sur la « passion de Steve Jobs ». « L’idée d’un superbe objet qui descend sur ce paysage verdoyant et luxuriant, et qu’il sera occupé par 12 000 personnes : voilà une vraie vision utopique. Une partie de mon travail, c’est de m’opposer aux critiques et de dire “Vous devez être fous” ».
L’Apple Park, c’est « la vision, le concept de Steve Jobs », poursuit Cook. « Son plus grand projet ».