Le lourd redressement fiscal infligé par la Commission européenne à Apple met en lumière les relations complexes qu’entretient l’entreprise avec les institutions européennes et les États membres de l’Union. Suite à la décision de Bruxelles, la communication d’Apple a pu apparaître déconnectée des réalités européennes (lire : Optimisation fiscale : le gros problème de communication d’Apple) ; Apple a sous-estimé l’ire de la Commission, un signe que l’entreprise nourrit peu d’atomes crochus avec l’instance régulatrice en Europe.
Cela devrait changer dans les semaines à venir. On trouve ainsi sur LinkedIn une petite annonce postée par Apple (via) pour un poste à Bruxelles de directeur des affaires gouvernementales EMEIA. Il représentera Apple pour les discussions sur les principaux textes élaborés par la Commission sur la régulation et l’environnement, deux domaines dans lesquels Apple veut faire entendre sa voix. Ce n’est pas la première fois que la société poste une offre d’emploi dans ce domaine, mais les effectifs sont toujours bien insuffisants.
Le lobby européen d’Apple, installé Rue de la Science à Bruxelles, n’est pas particulièrement fourni. Le groupe a dépensé moins de 900 000 € dans cette activité entre le 1er octobre 2014 et le 1er septembre 2015, d’après les chiffres compilés par LobbyFacts. Un montant qui dépassait à peine les 200 000 € en 2012, et qui a augmenté l’année suivante. Apple entretient une petite équipe de quatre lobbyistes (ce qui représente en fait 2,5 personnes équivalent temps plein) qui a rencontré à 22 reprises des responsables européens durant la période.
Apple est très, très loin de l’investissement de Google, qui en 2015 a dépensé plus de 4,2 millions d’euros pour peser sur les décisions du régulateur européen. Cet investissement n’empêche pas par ailleurs la Commission de redoubler de vigilance envers le moteur de recherche qui est sous le coup de plusieurs enquêtes pour abus de position dominante. Mais l’absence relative d’Apple dans le saint des saints européens explique en partie pourquoi la facture irlandaise est si salée pour le constructeur… ainsi qu’un certain amateurisme, comme le relate Politico.
Un lobby aux abonnés absents
En janvier, Tim Cook rencontrait Margrethe Vestager, la commissaire chargée de la concurrence, pour évoquer l’enquête sur les largesses fiscales accordées par l’Irlande à Apple. D’après des sources, cette réunion a viré au dialogue de sourds : le CEO a martelé qu’il avait raison, interrompant sans cesse son interlocutrice. Une attitude qui ressemble à celle adoptée aujourd’hui, suite au redressement fiscal record…
Après la décision du 30 août, Bruce Sewell, le directeur juridique d’Apple et responsable légal de l’entreprise pour ses activités de lobbying, n’a pas cru nécessaire de faire le voyage à Bruxelles pour expliquer la position de la Pomme dans ce dossier.
Per Hellstrom, le responsable senior le plus important du lobby d’Apple depuis un an, ne peut peser dans le dossier de l’optimisation fiscale à cause d’un conflit d’intérêt. De 2007 à 2012, cet ancien responsable européen en charge de la concurrence a instruit des dossiers contre Google et Microsoft, ce qui affecte les intérêts de l’entreprise. Sans son patron, l’équipe "lobby" d’Apple se réduit à 3 personnes dans cette affaire.
Plus généralement, Apple n’intervient qu’occasionnellement sur des textes spécifiques, mais n’a aucun engagement sur la durée avec les centaines de commissions consultatives, les groupes d’experts, ou encore dans les forums de l’industrie en Europe. Pas non plus de relations suivies avec des membres du Parlement européen, aucune présence dans les débats.
Apple n’organise que très peu de rencontres dans ses locaux et quand c’est le cas, c’est pour présenter ses produits aux responsables européens, alors qu’ils attendent d’entendre les prises de position du constructeur sur tel ou tel sujet. Si Apple avait investi plus sérieusement dans son activité de lobbyiste à Bruxelles, est-ce que cela aurait changé quelque chose concernant le montant du redressement fiscal ? Sans doute pas. Mais cela aurait sans doute contribué à mieux appréhender le mode de fonctionnement de l’institution, et éviter à l’entreprise de partir sabre au clair dans une croisade qu’elle est à peu près certaine de perdre.
Cette situation rappelle le silence assourdissant d’Apple à Washington avant que la Pomme se décide à défendre sérieusement ses positions sur la santé, l’exploitation des données, l’environnement et d’autres sujets (lire par exemple : Apple veut faire plier Washington avec un nouveau cabinet de lobbying).