C’est au tour d’Eddy Cue de monter au créneau, en langue espagnole, pour expliquer la position d’Apple dans le dossier de San Bernardino. Ce fils d’immigrés cubains s’est exprimé à l’occasion d’une interview donnée à Univision, un très important groupe de médias latino-américains.
Le patron des services internet d’Apple a répété certains des propos tenus depuis quelques temps par ses collègues, notamment celui du risque de créer un précédent dangereux en donnant une “clef” au FBI pour ce fameux téléphone. Mais il a aussi insisté sur le rôle d’Apple comme instrument capable d’améliorer la sécurité de tous.
Prenant le contre-pied de propos récurrents contre la décision d’Apple — tels ceux du responsable de l’unité anti-terroriste de New York, John Miller, qui assenait la semaine dernière que : « des ravisseurs, des voleurs et des meurtriers incarcérés à Riker’s Island, qui ont été écoutés dans leurs conversations avec l’extérieur, disaient ’Vous devez utiliser iOS 8, c’est un don de Dieu — parce que les flics ne peuvent pas le craquer » — Eddy Cue estime qu’Apple participe au contraire à la défense de chacun :
Les ingénieurs d'Apple travaillent contre les terroristes, contre les criminels. Nous essayons de protéger les gens de ces individus. Nous ne protégeons pas le gouvernement. Nous voulons aider. Ils ont un travail très difficile, ils sont là pour nous protéger. Donc, nous voulons aider autant que possible, mais nous ne pouvons pas les assister d'une manière qui aidera plus de criminels, des terroristes, des pirates. Nous réfléchissons toujours à comment nous pourrions le faire d'une manière plus sûre. Il est très important d'avoir toujours un coup d'avance sur les terroristes et les criminels.
Après le début de cette affaire, le FBI a concédé que l’accès à ce téléphone de San Bernardino permettrait potentiellement d’en débloquer d’autres. C’est justement ce qui inquiète Cue, la perspective d’une banalisation de cette procédure, alors que 200 dossiers sont en attente, rien qu’à New York « Ce ne sont pas que des affaires de terrorisme, il y a de tout, je ne sais même pas à quoi elles ont trait ».
Une fois qu’un enquêteur aura obtenu un feu vert, ses homologues essaieront naturellement d’obtenir la même chose, puisque rien ne pourra plus les en empêcher :
Où est-ce que cela s'arrêtera ? Dans un cas de divorce ? Dans un dossier d'immigration ? Dans un contentieux avec le fisc ? Un jour on nous demandera d'activer secrètement le microphone du téléphone. C'est quelque chose qui ne devrait pas arriver dans ce pays.
L’exemple de l’immigration résonne particulièrement dans le cas de Cue qui a rappelé à cette occasion ses origines cubaines : « Mes parents sont venus dans ce pays pour bénéficier de libertés civiques, de la démocratie. Ce que le gouvernement peut faire a des implications très, très importantes. Et donner de tels moyens au gouvernement n’est pas une bonne chose. »
Eddy Cue n’a pas trouvé de mots pour décrire ce que peuvent ressentir les familles et proches des victimes de San Bernardino « J’en suis vraiment, vraiment désolé et cela ne devrait arriver à personne dans le monde et c’est pour cela qu’il est si important que nous essayions d’assurer au maximum la sécurité de tous. » Et le gouvernement n’est pas toujours le mieux placé pour cela, a poursuivi Cue :
Au cours de ces dernières années, le gouvernement a perdu plus de cinq millions d'empreintes digitales, celles de ses propres employés. Ils ont perdu des centaines de millions de numéros de cartes de crédit, de systèmes financiers. Ce genre de chose se produit de plus en plus. Et la seule façon dont nous pouvons nous en protéger est de rendre le téléphone plus sécurisé.
À ce titre, il a souligné la certaine opposition qui existe entre le FBI et la NSA, cette dernière n’ayant pas apporté de soutien particulier à l’agence fédérale : « Le Secrétaire à la défense, Ashton Carter, qui est responsable de la NSA, veut que le chiffrement continue à se renforcer de plus en plus. Car il sait que si nous créons une ouverture, les criminels et les terroristes s’y engouffreront, et ça ils n’en veulent pas ». À l’inverse du FBI qui assure vouloir à la fois la sécurité et la clef pour franchir cette sécurité « Soit vous avez la sécurité soit vous ne l’avez pas », martèle Cue.
Eddy Cue a réitéré qu’Apple était prête à aller jusqu’à la Cour Suprême pour faire valoir son bon droit, car cela prendrait trop de temps pour que le Congrès s’accorde sur la question. Il insiste sur la nécessité de voir cette affaire tranchée par le législateur et non par un simple tribunal. C’est le 22 mars prochain qu’Apple et le FBI se retrouveront justement devant une juge en Californie, laquelle décidera de la suite à donner pour Apple à l’ordonnance du FBI.