Dans l’affaire qui l’oppose au FBI, Apple a publié une liste d’amicus briefs, il s’agit de prises de position rédigées par des parties extérieures au dossier mais qui lui apportent leur soutien en développant différents arguments. Plusieurs grands groupes tels que Microsoft, Twitter, Dropbox, Yahoo, Snapchat, Facebook ou Google devraient faire de même incessamment sous peu, avec la volonté d'appuyer la décision d’Apple. Plus de 40 protagonistes de tous horizons vont former cette liste, a appris le New York Times.
Il s'agit de préparer le terrain pour le 22 mars où Apple et le FBI plaideront chacun leur cause devant un tribunal de Californie. Ce pourrait être la première étape d'un marathon judiciaire pouvant conduire jusque devant la Cour suprême des États-Unis.
Dans le cas présent, Apple affiche le soutien de cinq organisations ou personnes, allant des Nations Unies jusqu’à l’époux de l’une des victimes dans l’attaque de San Bernardino. Tous expriment leurs craintes de voir la demande du FBI s'imposer à Apple et que cela n'ouvre in fine une véritable boite de Pandore au niveau mondial.
La fondation Access Now and Wickr, d’origine californienne, redoute qu’en obligeant Apple à accéder à sa demande, le FBI ne créée un redoutable précédent [pdf]. Avec des conséquences au niveau mondial, qui contribueraient à abaisser les défenses des outils de communication dans leur ensemble. La fondation énumère plusieurs cas de journalistes, dissidents ou opposants au Vietnam, en Ethiopie, en Ouganda ou encore au Mexique et en Afrique du Sud qui ont été découverts, arrêtés et parfois assassinés parce qu’ils utilisaient des outils de communication dont les failles de sécurité ou l’absence de chiffrement de leurs données avaient été exploitées.
« Une défaite pour Apple dans ce dossier serait une défaite pour les Droits de l’homme partout dans le monde […] Dans les cas les plus extrêmes, la robustesse d’un chiffrement est tout simplement une affaire de vie ou de mort », écrit la fondation dans un communiqué séparé.
David Kay, Rapporteur spécial aux Nations Unies pour la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression publie deux documents. L’un date d’il y a un an [pdf] et insiste de manière générale sur l’impérieuse nécessité d’avoir des techniques de chiffrement fortes, promues par les états eux mêmes au bénéfice de leurs citoyens. Au lieu qu’ils les combattent et cherchent à les affaiblir. David Kay déplore que l’on ne considère le chiffrement que pour ce qu’il peut apporter aux criminels. En omettant de mettre en avant sa contribution à la défense d’une libre opinion et expression.
Dans son second document publié sous l’égide du haut-commissariat aux Droits de l’Homme, il réitère cette position puis il cible plus particulièrement l’usage qui est fait par le FBI du All Writs Act pour forcer la main d’Apple. En conclusion, il s’interroge sur les efforts qu’a réellement entrepris le gouvernement américain pour obtenir l’assistance d’experts et d’agences afin d’accéder au contenu de ce fameux téléphone, avant d’entamer cette procédure à l’encontre d’Apple.
ACT | The App Association, représente 5 000 sociétés et éditeurs travaillant dans « l’économie mobile ». Elle compte Apple, Facebook, des opérateurs téléphoniques, eBay, PayPal, Intel ou encore Microsoft parmi ses soutiens. Pour l’association, la demande du gouvernement risque de fragiliser toute l’économie numérique bâtie sur la confiance des utilisateurs et des clients à l’égard de leurs apps et services mobiles. Abaisser les mesures de sécurité et de confidentialité des données saperait les bases de cette relation [pdf].
L’association fait valoir que la Federal Trade Commission américaine, a elle-même insisté sur la nécessité pour les entreprises de développer les mesures de protection des données de leurs clients. Enfin, elle estime que c’est au législateur de décider si un changement de politique est nécessaire, et non l’application de l’All Writs Act, une loi « ancienne de 227 ans ».
Le Syndicat des Libertés Civiles Américaines de Californie, [pdf] conteste lui-aussi l’utilisation de l’All Writs Act et estime que même la Constitution du pays proscrit la requête du FBI :
En d'autres termes, les forces de l'ordre ne peuvent obliger des tierces parties innocentes à devenir des agents infiltrés, des espions ou des hackers […] La demande du gouvernement aurait comme conséquence d'obliger une partie privée n'ayant qu'un lien ténu avec l'enquête criminelle en cours à casser la sécurité de ses propres produits, et par là même, à affaiblir la sécurité de tous ses utilisateurs.
En cas de victoire du FBI, le syndicat redoute que ce précédent ne se traduise par de multiples ricochets :
Qu'est-ce qui empêcherait les forces de l'ordre d'obtenir une ordonnance pour obliger un individu à espionner son voisin ; un employé de notre organisation à fournir des informations sur l'un de ses collègues ; une société de cybersécurité à s'introduire à distance dans le réseau de l'un de ses clients pour récupérer des preuves ou l'ami d'un membre de l'organisation Black Lives Matter à essayer d'en savoir plus sur les manifestations prévues ?
Ce n’est pas à la justice de s’engager dans cette question d’ordre constitutionnel, estime en conclusion cette organisation.
Cinquième partie à apporter son soutien à Apple, Salihin Kondoker, le mari de l’une des personnes sérieusement blessées à San Bernardino l’année dernière [pdf] Père de trois enfants, il se déclare musulman et fier d’appeler « son foyer », il explique qu’il a participé à plusieurs réunions du FBI dans les semaines qui ont suivi l’attaque. Il s’est dit d’abord « frustré » par la décision d’Apple de ne pas se soumettre à l’ultime requête du FBI, puis il a changé d’avis :
Plus j'ai lu de choses à ce sujet, plus j'en suis venu à comprendre que leur combat ne se résume pas à ce téléphone mais à quelque chose de plus important. Ils craignent que ce logiciel, que le gouvernement veut qu'ils utilisent, soit employé contre des millions d'autres personnes innocentes. Je partage leur crainte.
Selon lui, il y a peu de chance pour que ce téléphone professionnel du terroriste contienne quoi que ce soit d’utile, tout comme le téléphone professionnel de son épouse — qui travaille pour le comté de San Bernardino — ne renferme rien de personnel. Tous les employés du comté — le terroriste en était un — savent qu’ils sont géolocalisés, leur abonnement téléphonique surveillé et les données de leur téléphone sauvegardées dans iCloud, poursuit Salihin Kondoker.
Il développe un autre argument pour relativiser l’importance de ce téléphone dans cette affaire « Je crois que nous avons besoin de lois plus sévères contre les armes. Ce sont des armes qui ont tué des innocents, pas la technologie ». Il regrette ensuite la manière dont le FBI a conduit son enquête.
Il conclut en apportant son soutien à Apple et redoute une éventuelle issue défavorable pour cette dernière : « Ni moi ni ma femme ne voulons élever nos enfants dans un monde où la vie privée est compromise au bénéfice de la sécurité. Cette affaire aura d’énormes répercussions à travers le monde. De partout des agences voudront obtenir le logiciel que le FBI demande à Apple. Il sera partout dévoyé pour espionner des innocents ».
Source : Apple