Tim Cook avait rendez-vous cette nuit avec les téléspectateurs américains pour expliquer et défendre la position d’Apple dans la bataille qui oppose le constructeur au FBI et aux autorités américaines concernant le cas de l’iPhone d’un terroriste. Apple doit-elle aider le FBI à déverrouiller le smartphone de Syed Rizwan Farook, un des deux terroristes à l’origine de la tuerie de San Bernardino qui a fait 14 morts et 22 blessés le 2 décembre 2015 ?
Pour Tim Cook, la réponse est non, car cela créerait un précédent dangereux. Il l’a martelé devant David Muir, le présentateur vedette d’ABC News, lors d’une longue interview d’une trentaine de minutes dans le bureau du patron, à Cupertino — une première. La demande du FBI de créer un logiciel (l’équivalent d’iOS sans les mesures de sécurité) capable de déverrouiller l’iPhone du tueur est comparée à « l’équivalent logiciel du cancer » : « Nous pensons que ce n’est pas la chose à faire. Nous ne développerions jamais un tel logiciel (…) Ce serait un système d’exploitation très dangeureux ».
La création d’un tel système mettrait en danger des « centaines de millions de clients et aurait des répercussions pour les libertés civiles », estime le patron d’Apple. Peut-être que la justice demandera ensuite de « créer un système d’exploitation pour la surveillance, avec peut-être la possibilité pour les forces de l’ordre d’activer l’appareil photo. Ce que je veux dire, c’est que je ne sais pas où ça va s’arrêter ». Tim Cook, qui a volontiers tiré sur la corde patriotique durant l’entretien, a dit : « Je ne sais pas si c’est ce que je veux qu’il arrive dans ce pays ».
Il n’est pas question qu’Apple conçoive une « clé maître » qui serait en mesure d’ouvrir des « centaines de millions de cadenas ». « Même si cette clé était en possession de la personne en laquelle vous faites le plus confiance. Cette clé peut être volée », s’alarme-t-il. « Je sais qu’il y a des gens qui opposent la confidentialité à la sécurité nationale. C’est trop simple et ce n’est pas vrai », se désole Tim Cook, avant de rappeler que le smartphone contient des données concernant non seulement son utilisateur, mais aussi les membres de sa famille, des proches.
Et si une porte dérobée devait être créée dans iOS, elle deviendrait la cible de tous les hackers, qui n’auraient qu’une ambition : la craquer et subtiliser toutes les données contenues dans l’iPhone. « Certaines choses sont difficiles. Certaines choses sont justes. Certaines choses sont les deux. Nous sommes dans ce cas ».
Concernant l’affaire en elle-même, le CEO d’Apple assure avoir donné au FBI tout ce qu’il était possible de donner. Rappelons que le Département de la Santé de San Bernardino (propriétaire de l’iPhone) a, sur demande du FBI, modifié l’identifiant iCloud de l’appareil, empêchant la synchronisation de ses données dans le nuage d’Apple. La seule manière d’obtenir des informations est désormais de déverrouiller le smartphone par force brute ; mais auparavant, le nouveau système, que le FBI exige d’Apple, doit désactiver la suppression des données après 10 tentatives de code de déverrouillage.
« Nous ne savons pas s’il y a des informations dans le téléphone. Nous ne savons pas s’il y en a, ou s’il n’y en a pas. Et le FBI l’ignore également… ». Apple a transmis toutes les informations possibles, mais ce que demande le Bureau est de nature à exposer les autres utilisateurs d’iPhone, partout dans le monde. L’affaire ne concerne pas seulement la confidentialité, a annoncé Cook, c’est également un problème de sécurité publique.
Ce cas ne concerne pas qu’un téléphone. Ce cas concerne l’avenir. Si nous avions une manière d’obtenir les informations sur ce téléphone — et nous avons donné tout ce que nous avions —, si nous connaissions une manière de le faire, et qui n’exposerait pas la sécurité de centaines de millions d’autres personnes, nous le ferions évidemment… Notre travail, c’est de protéger nos clients.
Depuis le début de cette affaire, Tim Cook a reçu des milliers de courriels d’encouragement : des militaires ont écrit, encourageant Apple à « tenir bon ». Le patron d’Apple a l’intention d’évoquer le sujet directement avec Barack Obama, pour lui demander de prendre « une meilleure voie ». Et il se dit prêt à aller jusqu’à la Cour Suprême s’il le faut, même s’il préfèrerait sans doute un vote au Congrès.
Ce n’est pas une position dans laquelle nous voulions nous trouver. C’est une position très inconfortable. S’opposer à votre gouvernement. On ne se sent pas bien. Nous sommes dans une position où nous devons défendre les libertés civiles, qu’ils [le gouvernement] sont supposés protéger… C’est incroyablement ironique.
L’interview dans son intégralité vaut le coup d’œil. À noter : il est possible d’activer des sous-titres en anglais.