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Les agissements troubles du FBI contre Apple

Stéphane Moussie

jeudi 25 février 2016 à 19:32 • 35

AAPL

En dépit de ses allégations initiales, le FBI cherche avec l'affaire de San Bernardino à créer un précédent pour déverrouiller d'autres iPhone. Le gouvernement américain le reconnait dans une réponse transmise au tribunal cette semaine.

Mais ce n'est pas la seule information explosive que contient ce document. Le gouvernement jette aussi le trouble sur Apple. « La position d'Apple a été pour le moins incohérente », écrit l'avocat qui représente le gouvernement. Selon lui, la firme de Cupertino a changé d'attitude depuis que l'affaire est devenue publique.

« C'est seulement récemment, en raison de l'attention du public sur l'All Writs Act délivré dans le cadre de l'enquête sur la fusillade de San Bernardino, qu'Apple a indiqué qu'elle allait exercer un recours judiciaire », écrit-il. Le gouvernement dit-il vrai ? Pour répondre à cette question, il faut remonter à octobre 2015, deux mois avant l'attentat de San Bernardino.

Crédits : EFF CC

Une demande similaire en octobre 2015 pour une affaire de drogue

Le 8 octobre 2015, le gouvernement demande confidentiellement à un tribunal new-yorkais l'aide d'Apple pour déverrouiller un iPhone 5s qui fait partie des pièces à conviction dans une affaire de drogue. Pour cette requête, le gouvernement s'appuie sur l'All Writs Act, une loi de 1789 qui permet d'ordonner à une entreprise qui a un lien avec l'affaire d'assister les enquêteurs — c'est cette même loi qui sera utilisée plus tard dans l'affaire de San Bernardino.

Le lendemain, le juge James Orenstein s'interroge sur le bien-fondé de cette procédure. D'une part, il se demande s'il revient à un tribunal de statuer sur l'utilisation de l'All Writs Act : « La question est de savoir si le gouvernement cherche à combler un vide juridique que le Congrès n'a pas réussi à trancher, ou bien s'il cherche à obtenir du tribunal un pouvoir que le Congrès a choisi de ne pas conférer. »

D'autre part, il pense que toutes les conditions ne sont pas réunies pour accorder son utilisation. Pour faire appliquer l'All Writs Act, il faut que celui dont on demande l'assistance ne subisse pas de « charge déraisonnable ». Or, le juge suspecte que la demande du gouvernement soit déraisonnable pour Apple. Pour en avoir le cœur net, il demande des explications à l'entreprise sur ce point précis.

Le 19 octobre, Ken Dreifach, l'avocat d'Apple, donne sa réponse. Il reprend d'abord à son compte l'interrogation du juge sur la validité de l'All Writs Act, puis explique que la charge est déraisonnable à deux égards. D'abord, si la demande du gouvernement ne pose pas de problème financier à Apple, indique l'avocat, elle pourrait déranger son fonctionnement quotidien :

Chaque extraction [de données] détourne un employé de son travail pendant des heures. [...] Pour une seule affaire, cette charge peut être gérable, mais à une échelle plus importante elle peut être chronophage et demander beaucoup de personnel.

Ken Dreifach souligne par ailleurs qu'un ingénieur qui réaliserait une extraction de données pourrait ensuite être appelé à la barre pour témoigner, encore du temps passé en dehors de son poste de travail.

L'avocat juge également que la demande du gouvernement serait une charge déraisonnable pour l'image d'Apple :

Forcer Apple à extraire des données dans le cas présent, sans ordre juridique valable pour le faire, pourrait menacer la confiance qu'il y a entre Apple et ses clients, et ternir significativement la marque Apple. Cette atteinte à la réputation pourrait avoir un impact économique à long terme, allant au-delà du simple coût de l'extraction de données en cause.

« En conclusion, écrit l'avocat, l'application de l'All Writs Act dans cette affaire impose une charge déraisonnable réelle à Apple, pour son activité commerciale et pour sa réputation. »

Le refus farouche d'Apple

Le 22 octobre, le gouvernement réplique avec un argument massue : « Apple a déjà apporté son aide aux forces de l'ordre pour extraire des données d'iPhone verrouillés dans le cadre de l'All Writs Act. »

Oui mais voilà, l'entreprise ne savait pas qu'elle avait coopéré en application de l'All Writs Act. Dans une réponse transmise dès le lendemain, Ken Dreifach explique que quand cela s'est produit, « Apple n'avait aucune visibilité » sur la procédure sous-jacente. « La situation présente est très différente », défend l'avocat de Cupertino. S'ensuit un long argumentaire qui s'attache à démontrer que le gouvernement fait une utilisation abusive de l'All Writs Act en l'absence de décision du Congrès et que c'est la sécurité de tous ses clients qui est en jeu.

« Apple se soucie profondément de la vie privée et de la sécurité de ses clients, conclut l'avocat. Sans ordre juridique valable, Apple ne devrait pas être obligée d'agir comme "l'expert scientifique" du gouvernement pour désactiver des mesures de sécurité qu'elle a créées pour le bien de ses clients »

Retour à San Bernardino

Revenons à l'affaire de San Bernardino. Ainsi, selon le gouvernement américain, Apple aurait changé d'attitude depuis que cette affaire a été rendue publique. Or, l'affaire de drogue à New York montre que l'entreprise n'a pas attendu l'attention des médias et du public pour remettre en cause l'utilisation de l'All Writs Act et la création d'un outil qui saperait la sécurité de l'iPhone.

Qui plus est, dans au moins 7 autres dossiers impliquant l'All Writs Act, Apple a refusé d'aider le gouvernement à déverrouiller des iPhone. Difficile de parler d'« incohérence ».

Dans le document remis au tribunal le 22 février, le gouvernement soutient qu'Apple s'est engagée à l'aider à ouvrir l'iPhone du terroriste : « Même dans cette affaire, Apple a expressément convenu d'aider le gouvernement à accéder aux données de l'appareil jusqu'à ce que son aide ait été rendue publique par la Cour. » Nous n'avons trouvé aucun document où la firme donnerait son accord pour aider le FBI. Peut-être est-il toujours classifié.

Dans un article publié le 19 février, le New York Times indique par ailleurs qu'Apple avait demandé au FBI de faire sa requête de manière confidentielle, ce qu'il n'a pas fait. Si Apple avait été véritablement disposée à aider à déverrouiller l'iPhone du terroriste, le gouvernement n'aurait eu aucun intérêt à aller contre sa volonté en portant l'affaire sur le devant de la scène. D'autant que pour l'affaire de drogue de New York, il avait fait sa requête sous le sceau du secret.

Au bout du compte, il apparait que le gouvernement a vu cette affaire de terrorisme comme une occasion favorable à la création d'un précédent.

Une question de sécurité nationale

James Comey, le directeur du FBI, a fini par tomber le masque aujourd'hui. Il a déclaré que l'affaire de San Bernardino pouvait créer un précédent légal : « Je pense réellement que quelle que soit la décision en Californie, elle sera instructive pour d'autres tribunaux. »

Il a aussi repris à son compte ce qu'Apple demandait bien avant l'attentat de San Bernardino, c'est-à-dire que le Congrès s'empare de la question de l'accès aux appareils verrouillés et la tranche au niveau national. Si ce débat parlementaire devait avoir lieu, le gouvernement pourra ainsi ressortir l'argument de la sécurité nationale.

Sur ABC News, Tim Cook s'est dit surpris de la façon dont le FBI a géré l'enquête. Il a sous entendu que le FBI n'avait pas cherché à collaborer efficacement avec Apple.

Les meilleures choses se produisent quand les gens travaillent ensemble. Le meilleur moyen de savoir ce que contenait ce téléphone était la sauvegarde dans le nuage. Malheureusement, une erreur a été faite, et c'est impossible.

Dans les heures qui ont suivi l'exécution des deux terroristes, le FBI a demandé au comté de San Bernardino, l'employeur de Syed Rizwan Farook et le propriétaire de l'iPhone, de réinitialiser le mot de passe iCloud du téléphone, ce qui a empêché toute nouvelle sauvegarde (la dernière datait du 19 octobre).

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