Aussi sûrement que chaque automne apporte de nouveaux iPhone, cette grande saison commerciale d'Apple avec ses iPhone 6s est l'occasion de relancer le débat sur la fameuse obsolescence programmée. Il y a deux ans, les Amis de la Terre s'étaient indignés de l'arrivée probable du nouveau connecteur Lightning. Pensez donc, il allait mettre au placard le connecteur Dock utilisé depuis… 10 ans (lire Opinion : Apple change de connecteur ? La belle affaire !).
Cette année, c'est le tour de l'association HOP (Halte à l'Obsolescence Programmée), à la faveur d'une tribune de sa présidente et fondatrice, Laetitia Vasseur, publiée dans Libération. Le titre : « L'iPhone 6s, déjà obsolète ? » Une question dont la réponse est apportée immédiatement après avec cette assertion sans équivoque : « Apple sort vendredi son dernier smartphone, un nouvel objet conçu pour ne pas durer ».
Suit plus loin une autre explication coup de poing qui se veut apparement sérieuse : « Design révolutionnaire (sic), encore plus rapide, 3D touch… Le nouvel iPhone 6S a tout pour plaire. Seul bémol, il sera obsolète dans dix-huit mois, soit la moyenne à laquelle les Français changent de smartphones, voire dans seulement neuf mois pour les Parisiens. »
Une visite sur le site de HOP rappelle quelques définitions de cette obsolescence dont se rendent coupables nombre d'industriels et donc, au premier chef, Apple avec ses téléphones.
Qu’elle soit esthétique (sic), technologique, technique ou logicielle, l’obsolescence programmée regroupe l’ensemble des techniques visant à réduire délibérément la durée de vie ou d’utilisation d’un produit afin d’en augmenter le taux de remplacement
Obsolescence programmée "esthétique", "technologique"… Traduction pour les amateurs de complots : Apple et ses partenaires ont toutes les technologies nécessaires à 3D Touch fin prêtes depuis un an ou deux mais ils ne s'en sont surtout pas servi. Pourquoi griller cette cartouche tout de suite et prendre ainsi encore plus d'avance sur la concurrence… ? On range tout ce travail dans un tiroir et on attend.
Le plus agaçant dans cette réthorique n'est pas tant qu'elle cible Apple systématiquement (elle y survivra et elle n'a pas besoin de notre aide). Mais plutôt que cette cause importante qu'est l'environnement est décidément bien mal servie par ceux qui prétendent la défendre et nous rééduquer à mieux consommer. Glissons sur le détail qui fait que Samsung déverse chaque année sur la planète bien plus de téléphones et de smartphones neufs en tous genres, que ne le fait Apple avec sa maigre gamme. On est dans la communication et la Pomme est une cible simple… pour un message qui ne devrait pas l'être.
L'iPhone vieillit bien et longtemps
Au vu de notre activité chez MacG, nous avons une certaine habitude des iPhone, depuis le premier modèle de 2007. Tous les ans, ou presque, nous renouvelons une bonne part de notre équipement. Disons, pour simplifier, qu'il y a à chaque fois un quart de l'équipe qui reste deux ans sur le même modèle tandis que les autres passent sur le nouveau. Autant utiliser le matériel qui alimente les sujets de nos articles…
Nous nous rendons ainsi coupables de ces renouvellements annuels. Mais c'est là que les choses deviennent très intéressantes.
Quel sort est réservé à ces iPhone remplacés ? La présidente de HOP pose aussi la question : « Mais que deviennent alors tous les anciens modèles, à peine sortis, déjà mort-nés ? Recyclés, revendus ou tout simplement jetés, ces téléphones accumulés contribuent à la raréfaction des terres rares, à la surconsommation d’énergie et à la pollution des sols, des eaux ou de l’air ».
Que l'on nous présente — nous, les clients de produits Apple — comme des pollueurs d'air, d'eau et de terre, passe encore, on a entendu bien pire. Mais insinuer que nous pourrions jeter un iPhone qui n'a même pas fêté ses deux ans… voilà qui dépasse l'entendement, sinon le supportable.
Mais alors, donc, où sont allés ces iPhone soudainement rendus "obsolètes" par l'arrivée de leurs successeurs ? Ces téléphones « morts-nés ». Eh bien, pour la plupart, aussi étonnant que cela puisse paraître, ils fonctionnent encore. C'est la triste réalité, ces bougres ne meurent pas si facilement.
Est-ce que nous sommes représentatifs d'une majorité des clients Apple ? Aucune idée, vous aurez tout loisir de confronter votre expérience à la nôtre dans les commentaires.
Où vont nos iPhone ?
J'ai un iPhone 6 et je vais peut-être le garder encore un an. J'avais précédemment un iPhone 5 (sorti en 2012) qui m'a donc (beaucoup) servi pendant deux ans. Jeté ? Non, quelle horreur. Il est utilisé par ma compagne, à la fois pour son usage personnel et professionnel (dans sa boutique, il est associé à un lecteur de cartes de crédit). Autant dire qu'il ne traine pas au fond d'une poche. Sa batterie faiblit, mais elle se changera facilement.
Cet iPhone 5 a servi deux ans, après avoir remplacé un iPhone 4 (sorti en 2010). Dans une poubelle celui-là ? Mais non. L'une de mes filles s'en sert en Wi-Fi (pas de carte SIM) comme baladeur avec Spotify, pour son mail, pour Skype et pour prendre des photos et des vidéos. Au risque de provoquer un choc chez HOP, le Wi-Fi de ce vieil appareil fonctionne encore avec les bornes vendues aujourd'hui. On peut y brancher un casque Beats et on arrive sans peine à ouvrir ses photos sur nos Mac et même sur des PC. L'an prochain, quand elle aura besoin d'une fonction téléphonie, on y glissera une SIM.
Utilisé pendant deux ans aussi, cet iPhone 4 a pris la place d'un iPhone 3G (2008, rappelez-vous, Bienvenue chez les Ch'tis). L'honnêteté commande de dire que la coque en plastique de celui-ci est fendillée ici ou là. Mais ma mère ne s'en émeut guère, son forfait à 2 € lui permet d'appeler, d'envoyer des SMS, elle prend des photos et elle a un vrai écran multitouch. Ses photos sont très moyennes au vu des critères de qualité actuels, mais elles sont en couleur et on reconnaît bien les visages.
À cette énumération, ajoutons d'autres matériels. Nous avons deux tablettes à la maison : le premier iPad mini et l'iPad 3, de 2012 tous les deux. Ils sont utilisés quotidiennement par mes enfants et ils ne montrent aucun signe de fatigue (ni les tablettes, ni les enfants).
iOS 9 aime aussi les vieux
Si l'on écoute HOP, la longévité de ces matériels est tout bonnement a-nor-male : « L’obsolescence programmée technique et logicielle porte atteinte directement aux droits des consommateurs, victimes des produits conçus pour ne pas durer ou ne plus fonctionner normalement ». Oui mais chez nous ils fonctionnent, alors quoi, Apple a encore triché ?!
Apple force à ce point ma famille à renouveler mon équipement que cet iPhone 5 et ces deux iPad qui ont 3 ans sont compatibles avec le nouvel iOS 9 sorti ce mois-ci. Certes, toutes les fonctions ne s'y retrouvent pas, mais ces matériels vont pouvoir fonctionner encore un bon moment. Combien de téléphones Android de 2011/2012 vont bientôt passer sur Marshmallow sans bidouille aucune ?
Si le directeur financier d'Apple avait fait passer la consigne de rendre vite obsolètes les iPhone et iPad des dernières années, les ingénieurs sont de toute évidence passés outre. Pire, cela fait des années que ça dure et personne ne dit rien.
Ce constat d'iPhone qui passent de mains en mains et évitent à leur propriétaires d'acheter du neuf, nous l'avons tous fait. L'iPhone 4S de l'un de mes collègues est chez son frère après avoir été utilisé par sa compagne. L'iPhone 4 d'un autre a connu deux propriétaires et il est toujours en service.
Bien sûr, ils vieillissent, oui la batterie finit par tenir moins longtemps et doit être changée (c'est possible !), oui le bouton Home est plus mou à la pression. Mais ces téléphones marchent. Ils sont adaptés aux besoins plus simples de leurs nouveaux propriétaires qui ne ressentent aucune urgence de s'en défaire, hypnotisés qu'ils seraient par la communication d'Apple.
Un jour viendra où effectivement ils seront bons à ranger dans un tiroir. Au moins, Apple se charge-t-elle de leur collecte avant recyclage. Bien sûr que des gens changent frénétiquement leur téléphone tous les ans, ce qui fait le bonheur d'autres personnes, qui les rachètent ou les récupèrent, sans parler des réparateurs de toutes sortes qui prolongent encore la longévité de ces appareils. Les millions d'iPhone vendus pendant une année ne finissent pas, immuablement, dans une énorme décharge l'année suivante.
Non contente de tirer à côté, Hop se trompe de cible. Quitte à jouer la facilité en choisissant Apple, il serait plus pertinent de s'intéresser par exemple aux ordinateurs portables. Il y a quelques années encore, on pouvait aisément changer le support de stockage et la mémoire de son Mac. Les temps ont changé.
Toujours dans ma famille, le MacBook Pro acheté en 2009 est encore bon pied bon œil. Il a reçu un SSD il y a deux ans et une batterie flambant neuve ce mois-ci. Mieux, Apple a eu l'aimable attention de le rendre compatible avec son nouveau El Capitan. Son ancienneté fait qu'il n'a pas Handoff, pas la toute dernière norme Wi-Fi, ni d'écran Retina. Mais il marche et plutôt bien même. Aucune de ces lacunes n'est handicapante, de la même manière que l'absence de Touch ID, de 3D Touch ou de NFC sur un iPhone ne le rend pas subitement inutilisable.
Ce genre de mise à niveau est impossible dans les portables actuels, surtout chez Apple. On peut s'en accommoder (les machines sont plus fines, plus légères et plus compactes) ou s'en plaindre. Mais le sujet serait à la rigueur nettement plus pertinent que cette tarte à la crème de l'iPhone comme parangon d'une société de consommation devenue folle. Et d'une Apple obsédée par la conception de téléphones supposément jetables. Ce débat sur l'environnement et la place de nos objets électroniques mérite mieux que ces éternels raccourcis et ces approximations.
« Il s’agit de repenser notre modèle économique pour en finir avec le gaspillage organisé et rendre son droit au consommateur à des produits durables et de qualité », souhaite, à raison, Laetitia Vasseur. Pour ce que vaut notre expérience d'utilisation de nombreux iPhone depuis le premier modèle de 2007, nous lui suggérons très respectueusement de jeter un œil sur le marché de l'occasion. Un bon iPhone n'est pas nécessairement un iPhone neuf.