Dans son édition de la semaine, le Canard Enchainé se fait l’écho de la pression qu’exercerait Apple sur la presse française, notamment pour la publicité diffusée dans les magazines trop heureux d’accueillir les pleines pages de réclame en ces temps difficiles (comme l’Apple Watch dans le dernier numéro de GQ ci-dessous). Le patron d’une régie pub explique qu’« Apple est un annonceur particulier qui nous oblige à signer une charte pour diffuser sa publicité », déclare t-il sous le sceau de l’anonymat.
Il poursuit : « Tout ce qui est traumatisant, trop dramatique en première page doit être évité pour ne pas perturber le produit Apple exposé en quatrième de couverture ». Exit donc les « unes » sur les sujets sérieux comme les conflits armés ou la drogue, au risque de se faire plumer un budget pub qu’on imagine conséquent. L’affaire a ce parfum de scandale idéal pour faire monter la sauce contre Apple, et il est vrai que lorsque l’on commence à s’intéresser aux coulisses des relations entre le constructeur et la presse, ce n’est pas très ragoutant. Derrière la façade progressiste que se donne volontiers le constructeur de Cupertino, se cachent des pratiques commerciales très dures, ce qui n’est pas un scoop pour qui s’intéresse un tant soit peu à Apple (et au monde de l’entreprise en général).
Mais quitte à jouer la carte du cynisme, on peut aussi dire qu’au moins, Apple a le mérite d’écrire noir sur blanc des exigences que bien d’autres grands groupes estiment comme « bien comprises » et qui poussent les rédactions, pressées par leurs régies pub, à s’auto-censurer pour ne pas déplaire aux annonceurs. Il n’en reste pas moins que ce genre de pratiques, provenant d’Apple ou d’autres, ne participent pas de la liberté de la presse, c’est le moins qu’on puisse dire. On a d'ailleurs vu à l'œuvre encore récemment ce souci de l'auto-censure, avec cette publicité pour le magazine Humanoïde qui a été censurée par les kiosques à journaux affiliés à Mediakosk ; son tort : parodier le logo d’Apple.
Le Canard a posé quelques questions au service com' d'Apple, et a reçu des réponses génériques : le constructeur « prétend ne rien imposer et encore moins influer sur le choix rédactionnel des supports ».
L’article revient également sur Apple News, le « Flipboard » d’iOS 9, pour lequel le Canard s’étonne qu’Apple sélectionne les articles et modifie les titres des publications partenaires. La Pomme a même embauché des journalistes pour assurer la sélection d’articles qui seront mis en avant. L’hebdo parle ici sans trop savoir : d’une part, Apple News comprend une section de favoris composée uniquement de flux RSS de sites web et de publications pour lesquels le constructeur s’est contenté d’ouvrir la porte (uniquement des médias anglophones pour le moment), sans rien toucher aux articles et à leurs titres.
D’autre part, on ignore dans les grandes largeurs à quelle sauce Apple compte manger les articles des publications choisies pour apparaitre dans la sélection de News. Apple a peut-être la volonté de modifier la titraille des articles proposés dans la section Pour vous de News. Mais pour le moment, on n’en sait encore rien. Peut-être qu’Apple voudra aussi s’éviter le risque de la controverse avec une presse américaine qu’on sait chatouilleuse avec son contenu. Et de ce qu’on peut en voir actuellement, les titres apparaissant dans cette section sont identiques à ceux publiés sur les sites web.
Merci à Martin pour les images GQ. Image de une : une de BusinessWeek en février 1996 (James CC BY-SA)