Rarement Jonathan Ive et les autres responsables d'Apple ont été aussi bavards auprès des médias. C'est à nouveau au tour du patron du design de raconter son métier, son approche de la conception de produits avec son équipe et, naturellement, de parler de l'Apple Watch. Il s'est exprimé dans How to spend it — un site dépendant du Financial Times pour les lecteurs aisés et dépensiers lorsqu'il s'agit de belles choses.
Une bonne partie des propos est déjà connue des habitués du personnage mais quelques passages sont plus nouveaux. Extraits :
On l'oublie facilement aujourd'hui, mais dans les années 1990, les préoccupations tournaient autour de la technologie. On discutait vitesse du processeur, taille du disque dur. Nous avons fait bouger les choses pour ajouter une question comme "Quelle couleur je prends ?"
Ive élude naturellement la question sur le nombre de montres qu'Apple espère vendre, de même il dit ne pas ressentir le poids qui pèse sur les épaules de son équipe, alors que celle-ci compte pour une part non négligeable dans le succès d'Apple.
Elle [l'équipe] n'est pas distraite ou ne se sent pas concernée outre mesure par les implications de ce que nous faisons, parce que nous sommes à ce point obsédés par le design et par cette volonté de trouver des solutions à des problèmes.
Ce « fanatisme » pour tout ce qui relève du design et cette « myopie » sur les questions financières sont de son point de vue « fondamentales de l'approche choisie par l'équipe design d'Apple. Plutôt que de spéculer sur le nombre de montres vendues, il préfère répondre :
Je suis bien plus intéressé par savoir comment on peut encore les améliorer, plutôt que de m'inquiéter sur le nombre que l'on en vendra. Nous ne nous épargnons aucune autocritique, si brutales soient-elles et nous faisons un nombre incalculable d'itérations.
Quand bien même cette montre est à quelques semaines de sa commercialisation, cette recherche d'améliorations se poursuit sans relâche.
Même aujourd'hui, alors que le design de l'Apple Watch est incroyablement abouti et qu'il est passé au travers de milliers et de milliers d'heures d'évaluation et de tests, nous continuons de travailler à l'améliorer. Vous essayez de rendre chaque chose fluide jusqu'au bout parce que tout est à ce point interconnecté. Les meilleurs produits sont ceux où vous avez optimisé chacune des caractéristiques, tout en étant très attentif aux autres facettes du produit qui contribuent à ses performances.
Interrogé justement sur la nécessité de recharger régulièrement cette montre, Ive reprend pour partie le discours d'Apple sur le sujet. Celui déjà déroulé par Tim Cook à quelques reprises, lorsqu'il expliquait qu'on se servira beaucoup de cette montre. Mais aussi parce que sa batterie est le reflet de la taille de cette montre : elle est si légère (ndlr : on ne sait pas encore les poids des deux modèles) et si fine. Une batterie plus grosse, résume Ive, se serait traduit par une montre plus lourde, plus encombrante et moins « séduisante ».
Plus loin, il parle du rapport très différent que l'on entretient avec une montre. On développe une intimité, on la porte au poignet, elle ne traine pas dans une poche, mais on a une relation quelque part plus distraite aussi avec cet objet :
Une des choses qui m'ont frappé, c'est le nombre de fois où je vais jeter un oeil à ma montre et devoir le refaire l'instant d'après, parce que je n'ai pas mémorisé l'heure qu'il était. Si j'avais regardé quelque chose sur mon téléphone j'aurai probablement été plus attentif, parce qu'il faut d'abord faire cet effort d'aller le prendre et le sortir de sa poche. Quelque part j'aime bien cette forme d'insouciance, de simplement jeter un coup oeil. Je pense que pour certaines choses le poignet est l'endroit idéal pour cette technologie.
L'une des singularités d'Apple c'est que nous avons un portefeuille très resserré de produits ciblés, du coup tout ce que nous faisons est important. Et même si la montre est une extension des fonctions de l'iPhone, c'est une nouvelle plateforme pour nous. Nous avons investi beaucoup d'argent et nous avons bataillé avec quantité de difficultés.
Ive soulève une autre différence dans la manière dont son équipe a travaillé sur l'iPhone comparé au chantier pour l'Apple Watch. Dans les deux cas, les designers d'Apple n'avaient pas du tout le même rapport face aux téléphones et montres qui existaient déjà sur le marché :
C'était différent avec le téléphone — chacun de ceux qui travaillaient sur le premier iPhone avaient un mépris absolu pour les téléphones que nous avions à l'époque. Ce n'est pas le cas ici. Les gens dans notre groupe adorent leurs montres. Ce qui signifie que l'on va travailler sur quelque chose tout en ayant une très haute considération pour ce qui existe déjà aujourd'hui.
Le design n'est pas qu'une affaire de lignes et de fonctions, cela peut être aussi une cause morale. Tout le monde n'y est peut-être pas sensible de prime abord ou alors de manière diffuse, mais il est vital de s'en préoccuper.
Ce que je vais dire est difficile à décrire et cela pourrait être facilement mal interprété, mais c'est comme s'il s'agissait d'être au service des êtres humains qui vous entourent. Il y a des gens qui ne sauront peut-être pas exprimer pourquoi ils se sentent concernés et pourquoi ils préfèrent une chose à une autre, mais je pense vraiment que la plupart des gens en sont parfaitement capables.
Suivent des explications sur le packaging en général chez Apple et celui de la montre en particulier (lire aussi Inside Apple : Jobs et Lytro, Apple et son packaging). La boite du modèle Edition, le plus cher, ne sera pas qu'un emballage devenu inutile une fois vide, il fera aussi office de socle chargeur. Un coffret en cuir aniline à l'extérieur (du même type que les coques d'Apple pour l'iPhone) et tapissé de tissu ultra suede à l'intérieur (rappelant le daim), avec un connecteur au dos et un socle à induction intégré sur lequel on posera sa montre.
On ne voulait pas que l'emballage soit une sorte de raccourci facile pour ajouter de la valeur : faire absolument une grosse boîte avec des matériaux qui coûtent chers. Nous avons toujours aimé cette idée selon laquelle en étant ambitieux dans nos objectifs nous pouvions avoir la main légère lorsque vient le moment de leur réalisation. Il y a une grande vertu à fabriquer des emballages plus petits, c'est bien pour l'environnement, c'est plus facile à ranger (ndlr, on peut en transporter plus dans un avion pour le même voyage) et vous ne vous retrouvez pas avec un dressing bourré de grosses boites de montres qui ne vous servent à rien.
J'aime bien l'idée que tout cela fait partie d'une seule expérience, de ce que nous ressentons à propos de quelque chose et que chacun de ces éléments peut jouer un rôle positif et intéressant.
L'article se conclut sur une démonstration… d'ouverture de boite, avec un Jonathan Ive qui tient la partie supérieure et laisse la partie inférieure se désolidariser toute seule, à pas mesurés.
Nous travaillons sur ce qui nous paraît être la durée optimale pour que la partie inférieure se détache complètement, puis nous partons de là pour bosser sur les tolérances et même sur le frottement des matériaux que nous utilisons. C'en est déraisonnable.