Lors de son dernier keynote, Apple a présenté une nouveauté assez différente des autres. ResearchKit est une plateforme qui permet à des hôpitaux et autres centres de recherche médicaux de réaliser des enquêtes auprès d’un grand nombre d’utilisateurs. Ces établissements peuvent mettre au point une application que tous les utilisateurs d’appareils iOS peuvent télécharger — il y en a déjà dans l’App Store — pour répondre à un questionnaire de santé.
Cette fonction se distingue de bon nombre d’autres mises au point par Apple par son ouverture. ResearchKit est une plateforme lancée par le constructeur, mais qui ne lui est pas réservée. Son code sera disponible librement et tout le monde pourra l’utiliser, par exemple dans une application Android. L’ensemble sera disponible en avril, d’abord aux États-Unis, mais les ambitions d’Apple sont très claires : il ne s’agit pas d’un produit commercial destiné à être fermé sur l’écosystème d’Apple, mais bien un produit ouvert, pour tout le monde.
Cela vous rappelle quelque chose ? Si vous suivez l’actualité Apple depuis quelques années, cela devrait, en effet. Remontons le temps en 2010, plus précisément au mois de juin : comme tous les ans, Apple tient sa conférence d’ouverture de la WWDC. Et cette année-là, le constructeur en profite pour présenter son nouveau téléphone, l’iPhone 4. C’était le premier appareil à disposer d’un écran Retina, le premier aussi à ajouter une caméra à l’avant.
Les égoportraits n’étant pas encore à la mode, cette caméra à l’avant appuyait surtout le nouveau service lancé par Apple dans la foulée : les appels vidéos avec FaceTime. À l’époque, le service était beaucoup plus limité que ce que l’on connaît aujourd'hui, on ne pouvait « appeler » en vidéo qu’entre deux iPhone 4 et uniquement en Wi-Fi. Mais ce qui est le plus intéressant dans cette annonce, et ce qui la lie avec celle de ResearchKit, c’est que FaceTime devait être un protocole ouvert, que n’importe quel constructeur devait pouvoir utiliser.
Près de cinq ans plus tard, le constat est sans appel : FaceTime est resté un protocole fermé et même si on peut désormais l’utiliser en audio en plus de la vidéo et sur les réseaux cellulaires en plus du Wi-Fi, il est toujours réservé aux produits Apple. Que s’est-il passé ? On ne sait pas exactement, mais John Gruber, souvent très bien renseigné sur Apple, a rapporté une anecdote intéressante à ce sujet dans le dernier épisode du Talk Show, son podcast hebdomadaire.
Avant de parler de l’USB Type-C, le blogueur est revenu sur la présentation de FaceTime et sur l’annonce de son ouverture qui n’a jamais abouti. Steve Jobs étant toujours en fonction lors de la WWDC 2010, c’est lui qui a présenté cette nouvelle fonction et c’est aussi lui qui a annoncé l’ouverture. Mais contrairement à ce que l’on aurait pu croire, ce n’était pas préparé du tout.
Selon John Gruber, le cofondateur d’Apple a eu l’idée d’ouvrir FaceTime pendant les répétitions de la conférence et il a ajouté le passage ad-hoc sans en parler aux ingénieurs qui ont travaillé sur la fonction ni au département juridique de l’entreprise. Il précise même que les développeurs ont découvert que FaceTime devait devenir un protocole ouvert en même temps que tout le monde, sur scène. C’était un coup de tête comme Steve Jobs en avait de temps en temps, une décision qu’il a prise seul et qu’il a imposée sans consulter personne.
Steve Jobs était impulsif. Je sais que l’équipe derrière FaceTime a découvert qu’Apple allait en faire un protocole standard en même temps que nous, quand il l’a annoncé sur scène. C’est quelque chose que Steve Jobs avait décidé pendant les répétitions, la semaine avant les annonces. […] Mais rien n’avait été codé avec l’objectif d’en faire un standard ouvert.
John Gruber n’en sait pas plus, mais la suite semble couler de source. FaceTime a été développé pour être un protocole fermé sur l’écosystème Apple et quand il a fallu en faire un standard ouvert, l’entreprise a probablement rencontré de nombreux problèmes techniques et surtout légaux. Rappelons que FaceTime a entraîné Apple dans plusieurs procès et que l’entreprise a été condamnée au moins une fois à payer une amende de plusieurs centaines de millions de dollars pour violation de brevet.
Dans la discussion, le blogueur évoque aussi un changement de protocole opéré par Apple qui a rendu FaceTime techniquement inférieur, pour des raisons légales. Ce domaine est tellement contrôlé par des brevets qu’une ouverture de FaceTime en standard était probablement impensable. Et c’est sans doute ce qui explique qu’Apple n’a, jusque-là, jamais mis en pratique la promesse formulée par Steve Jobs en juin 2010.
Les temps ont changé et Tim Cook n’est pas un PDG qui prend ce genre de décisions à la légère, sans consulter les parties concernées. On peut imaginer que l’ouverture de ResearchKit était prévue assez tôt dans sa conception et que le développement s’est fait dans cet état d’esprit. L’avenir le dira…