Comme d’autres entreprises, Apple possède sa propre formation interne, chargée d’instiller sa culture d’entreprise à ses employés. Baptisée Apple University, son existence n’est pas un mystère, elle a été sous le feu des projecteurs à l’occasion de recrutements et d’un récent changement à sa tête. Mais le contenu des cours et les intervenants sont pratiquement tous inconnus, l’université n’échappant évidemment pas au culte du secret qui entoure la Pomme.
Le New York Times lève aujourd’hui une partie du voile sur ce programme imaginé par Steve Jobs en 2008 grâce aux confidences de trois apprenants qui ont accepté de témoigner sous couvert d’anonymat.
Concernant un aspect très pratique d’abord, les cours ne sont pas obligatoires, mais ils sont recommandés. Ils sont ouverts à différents niveaux d’employés selon le sujet et se passent majoritairement sur le campus de Cupertino, dans une zone appelée City Center. Il arrive parfois que des leçons soient données en dehors du siège, comme en Chine.
La description faite des salles de cours est celle de petits amphithéâtres. Les salles, lumineuses, ont la forme d’un trapèze et les rangs du fond sont surélevés pour que tout le monde puisse bien voir le formateur. Le sens du détail d’Apple est toujours présent. « Même le papier toilette est vraiment bien », raconte un employé bien au courant.
Contrairement à certaines entreprises qui font appel à des organismes de formations externes, Apple gère tout en interne, d’une part par souci de confidentialité, et d’autre part pour offrir une formation vraiment sur mesure. Cela ne veut pas dire non plus qu’il n’y a aucun intervenant externe. Un des enseignants est Joshua Cohen, un professeur de Stanford.
Avec d’autres formateurs, il dispense le cours « Les meilleures choses » (« The Best Things », en version originale). Une appellation énigmatique qui est en fait tirée d’une phrase prononcée par Steve Jobs lors de sa célèbre (lost) interview de 1995 :
On essaye de s’imprégner des meilleurs choses créées par l’Homme et on le réinjecte ensuite dans ce qu’on essaie de créer. Picasso disait : “Les bons artistes copient, les grands artistes volent”. Nous n’avons jamais eu honte de piquer les bonnes idées.
Ce cours rappelle donc aux employés qu’il est primordial de faire attention aux « meilleures choses » environnantes, que ce soit des collègues talentueux ou des matériaux de grande qualité, pour réaliser un excellent travail.
Un autre cours concerne spécialement les fondateurs de sociétés absorbées par Apple. Ils apprennent comment intégrer en douceur leurs équipes dans ce nouvel environnement. Une formation cruciale puisque certaines sociétés sont avant tout acquises pour leur staff, plutôt que pour leurs technologies — on parle d’acquhiring en anglais, contraction de acquisition et hiring (embauche) . Si la greffe ne prend pas et que les nouveaux employés se font rapidement la malle, l’opération est alors un échec pour Apple.
C’est d’ailleurs dans cette optique qu’un cours pourrait être spécifiquement destiné aux employés de Beats qui commencent à être intégrés. Une nécessité pour que le choc de cultures se transforme en un beau mariage mixte.
Des cours reviennent sur les décisions capitales qu’Apple a prises au cours de son histoire, comme rendre compatibles l’iPod et iTunes avec Windows. Une stratégie à laquelle était opposé Steve Jobs au départ — Schiller et Rubinstein ont dû lourdement insister et en ont pris la responsabilité —, mais qui a payé. En s’ouvrant à l’immense marché du PC, le couple iTunes + iPod a prospéré.
« Communiquer chez Apple » est dispensé par Randy Nelson, un ancien cadre de Pixar. Les étudiants apprennent notamment comment partager efficacement leurs idées et comment communiquer clairement sur les produits à la pomme. Pour faire comprendre la communication made in Apple, Randy Nelson dresse un parallèle avec une œuvre de Picasso. Dans la série de lithographies Le Taureau, l’artiste simplifie au fur et à mesure l’animal pour n’en garder que le strict minimum. Le taureau finit par être représenté par une dizaine de traits seulement, mais il n’en reste pas moins identifiable.
« Vous multipliez les itérations, jusqu’à ce que vous puissiez livrer votre message de manière très concise. C’est la façon dont Apple procède », résume un employé qui a participé au cours. Un procédé qui s’applique aussi au design, comme l’a expliqué Jonathan Ive :
La simplicité […] c’est quand vous essayez de définir l’essence de quelque chose et de trouver une solution qui semble complètement inévitable et évidente. Je pense que beaucoup de personnes voient la simplicité comme l’absence de désordre. Et ce n’est absolument pas le cas. La vraie simplicité c’est, eh bien, d’essayer encore et encore jusqu’au point de dire “Mais oui, bien sûr.” C’est quand il n’y a plus d’alternative rationnelle.
Randy Nelson enseigne également « Qu’est-ce qui fait d’Apple, Apple ? ». Dans ce cours, c’est la différence de la marque qui est mise en exergue. La télécommande d’un appareil Google TV a 78 boutons ? Celle de l’Apple TV n’en a que 7. Les designers de Cupertino ont débattu jusqu’à trouver ce qui était vraiment nécessaire dans une télécommande, explique le professeur — on retombe là sur le procédé du taureau de Picasso.
Si la télécommande de la Google TV a tellement de boutons (Google va changer son fusil d’épaule avec Android TV), c’est parce qu’il n’y a pas eu de compromis au sein de Google et que chaque personne impliquée a eu ce qu’elle voulait. Pour résumer, ce qui différencie Apple des autres entreprises, c’est que pour chaque oui, il y a des milliers de non.